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Actualités - OPINION

Fin de règne

J’ai un ami syrien. Il n’est ni espion ni agent des services de renseignements, encore moins un cacique du parti Baas. Il est comme vous et moi, il a souffert et souffre toujours des abus d’un pouvoir imposé, il aspire à un avenir meilleur et voit dans notre « intifada de l’indépendance » un exemple, un espoir, un potentiel de contagion. Il fut un temps où j’adressais régulièrement des lettres de reproches à cet ami syrien. Il était en quelque sorte l’exutoire et le dépositaire de mes colères, de mes angoisses, celui à qui je faisais part de mes appréhensions, enfonçant chaque jour un peu plus le clou dans la plaie béante de ses frustrations, de sa honte. C’était le temps où, d’un claquement des doigts, le ban et l’arrière-ban d’une classe politique pourrie étaient convoqués à Damas pour y recevoir les ordres, de « bons conseils » prodigués au nom de la fameuse complémentarité entre les deux pays, de cette non moins fameuse « unité du destin ». Triste privilège que la docilité de ces pantins de l’après-Taëf avait vite fait de « dévaloriser » : au fil des ans, ce n’était plus de Damas que les directives étaient données, mais de Anjar, besogne subalterne que la classe politique syrienne déléguait aux sous-fifres des services de renseignements. Opération « mains sales » assignée à des despotes sans âme catapultés gouverneurs d’un pays saigné à blanc. Tout cela, c’était hier. Jusqu’à ce tragique 14 février quand tout a basculé, quand Rafic Hariri a rallié le cortège des martyrs, quand la colère, longtemps retenue, a explosé, entraînant dans son sillage toutes les forces vives de la nation, des jeunes venus de tous les horizons et qui, sans même s’en douter, ont fabriqué l’histoire. Depuis hier, les Libanais comptent les heures, les minutes. La page est déjà tournée, ils le savent bien, mais c’est le symbolisme qui compte, et c’est à Rayak, ce matin, que le sort en sera jeté, que l’ère nouvelle s’ouvrira, une ère d’espoir pour le Liban, d’incertitude pour la Syrie. Rustom Ghazalé, nous apprennent les agences de presse, sera présent à Rayak : après avoir longtemps officié dans les salles obscures de Anjar, il espère encore réussir sa sortie, une cérémonie officielle d’adieux, un dernier pied de nez risible à ceux qu’il a longtemps humiliés, bafoués, ceux-là mêmes qui ont fini par obtenir son départ dans l’opprobre. Opprobre qui risque de le poursuivre jusqu’en Syrie où des voix s’élèvent déjà en coulisses pour réclamer des comptes à ceux qui ont conduit au désastre annoncé. Boucs émissaires ou vrais coupables, la question n’est pas là. L’essentiel est qu’un débat s’ouvre et que le congrès du Baas, appelé à se tenir en juin, en tire les conclusions qui s’imposent. Dans ce climat de fin de règne, mon ami syrien garde la tête froide. Il sait fort bien que la stabilité en Syrie est désormais tributaire de celle du Liban, et qu’il est loin le temps où Damas pouvait se permettre, en toute impunité, de jouer au pompier pyromane. Mon ami syrien est inquiet. Il se pose, et me pose, des questions perturbantes, irritantes : « Qu’en sera-t-il, dans les mois à venir, du Hezbollah et de la question de son désarmement ? Les fermes de Chebaa continueront-elles à constituer une bombe à retardement ? Le statu quo sera-t-il maintenu dans les camps palestiniens ou cette poudrière latente sera réactivée pour des raisons obscures ? Pourquoi Khatami évoque-t-il les risques d’une “nouvelle guerre civile” au Liban et pourquoi Kaddoumi lie-t-il le désarmement des camps palestiniens à l’application préalable de toutes les résolutions de l’Onu ? » Autant de questions, autant de pièges posés par la Syrie et qu’elle a maintenant tout intérêt, encore plus que le Liban, à désamorcer au plus vite. Mon ami a raison de s’inquiéter : depuis la libération du Liban-Sud en l’an 2000, la Syrie a multiplié les erreurs. Elle aurait pu sortir du guêpier libanais dans l’honneur. Elle en sort aujourd’hui précipitamment et sans gloire. Et les conséquences pour le régime n’en seront que plus préjudiciables. Il est dans l’histoire des nations des retournements de situation qui ne pardonnent pas. La Syrie en fait aujourd’hui la cruelle expérience. Nagib AOUN
J’ai un ami syrien. Il n’est ni espion ni agent des services de renseignements, encore moins un cacique du parti Baas. Il est comme vous et moi, il a souffert et souffre toujours des abus d’un pouvoir imposé, il aspire à un avenir meilleur et voit dans notre « intifada de l’indépendance » un exemple, un espoir, un potentiel de contagion. Il fut un temps où j’adressais...