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Actualités - CHRONOLOGIE

Les habitants du Liban-Nord clament leur aspiration à un Liban nouveau De Tripoli à Zghorta, la chaîne de la liberté scelle l’union retrouvée(photo)

Main dans la main, de la place du Tell à Tripoli jusqu’au Tell de Zghorta – symbolisme oblige –, près de 15 000 personnes ont scandé main dans la main les slogans de l’indépendance et de la liberté, et scellé la coexistence à travers une chaîne humaine désormais indestructible. À la veille de la commémoration du 13 avril, une journée lourde d’enseignements pour le peuple libanais, les habitants du Nord se sont donné le mot pour signifier une fois pour toutes leur rejet de la guerre et clamer leur aspiration à un Liban nouveau. Initié par les forces de l’opposition, ce rassemblement en crescendo devait s’inscrire dans un mouvement historique devenu inéluctable : entre Tripoli et Zghorta la hache de la guerre est désormais enterrée. Le choix du lieu de départ et d’aboutissement de la chaîne humaine n’a pas été choisi au hasard : Tripoli et Zghorta ont été le théâtre d’affrontements fratricides exacerbés par une présence syrienne pesante. Un passé que les habitants du Nord ont décidé d’exorciser, dans un mouvement ponctué par les drapeaux libanais. Dans un écho parfaitement harmonisé, la charte de l’unité a été déclamée par un jeune garçon tripolitain et reprise quelques instants plus tard par une jeune fille sur le mont zghortiote. Une manière emblématique de briser « le tabou du cloisonnement qui existait entre les deux régions », dira Sélim Nayla Moawad. « Pour la première fois un espace civique et national est créé entre ces deux régions livrées aux leaderships traditionnels ». Fait également inédit lors de ce rassemblement qui a réuni – très discrètement cette fois-ci – toutes les forces de l’opposition du Liban-Nord, la tribune a été cédée aux jeunes et aux organisateurs, pour donner la voix à ceux qui n’en avaient jamais eu jusque-là. Malgré la présence parmi la foule des députés de l’opposition, ces derniers auront réussi à véhiculer leur message à travers la voix du peuple. S’adressant aux responsables politiques, Antoine Constantine, le conseiller du député Mohammed Safadi, ne mâche pas ses mots : « Les manifestants qui sont dans la rue ne sont la propriété de personne. Ces gens-là attendent de vous un projet d’avenir. Si vous échouez, ils continueront sans vous. » À la place du Tell, ceux qui ont répondu à l’appel de l’union avaient le cœur gros, et beaucoup de révélations à faire. Tortures Ici, les mots de liberté et d’indépendance avaient une autre résonance et l’aspiration à la coexistence, un goût encore plus prononcé qu’ailleurs. Ici, les langues se délient et les témoignages fusent. À Tripoli, la parole a d’autant plus de poids qu’elle a été quasiment radiée des us et coutumes de la ville. Il faut dire que ses habitants « ont payé le prix fort durant la guerre » notamment sous l’occupation syrienne, comme le rappelle le député Misbah el-Ahdab qui affirme que « la barrière de la peur est franchie ». Pour les Tripolitains, l’occasion d’exorciser les souffrances et les tortures subies se présentait enfin. Entouré de sa famille, Yahya exhibe ses mains ankylosées des suites des tortures subies dans les prisons syriennes. « Nous avons beaucoup enduré durant les années de guerre », atteste ce jeune père de 42 ans qui dit que sa participation à cette chaîne humaine est « sa part d’investissement dans un meilleur avenir qu’il cherche à sécuriser pour ses enfants ». Lui, sa sœur, son beau-frère et son cousin ont tous « été sanctionnés dans leur corps et dans leur âme pour avoir résisté contre la présence syrienne ». Son frère de 18 ans a été tué dans le fameux massacre de Tebbaneh perpétré par les Syriens en 1983. Fatalité n’est pas le mot, puisqu’ils sont des centaines voire des milliers de Tripolitains à avoir subi la foudre de l’occupant. Sur un espace de quelques dizaines de m2, pas une seule famille qui n’en ait porté les séquelles. Longtemps membre actif au sein du mouvement fondamentaliste sunnite, al-Tawhid (Mouvement de la réunification islamique), Mahmoud exprime sans retenue son ressentiment « envers les Syriens et tous ceux qui continuent à les soutenir ». Trois ans passés dans les prisons syriennes ont suffi pour nourrir en lui « une haine à vie », comme il dit. Pour lui, l’indépendance est synonyme de « résurrection ». Traînant des souvenirs douloureux des scènes de torture dont il a été victime, il a décidé de mettre un trait final à son engagement passé au sein du Tawhid, « d’autant que ce mouvement continue à ce jour de collaborer avec les Syriens », s’indigne le jeune homme. À ses côtés, Moustapha dénonce les tentatives « désespérées des cheikhs » qui, dit-il, « cherchent à diaboliser les États-Unis en perpétuant une stratégie de division interne ». Selon lui, « ce type de discours ne mobilise plus personne. Les gens veulent simplement vivre en paix ». À douze kilomètres de la capitale du Nord, la mémoire de la guerre était tout aussi vive. Faisant écho à l’endurance des islamistes de Tripoli, plusieurs membres des Forces libanaises qui ont rejoint les manifestants sur la place du Tell à Zghorta ont échangé le clin d’œil de la liberté avec ceux qui, jadis, furent leurs ennemis. Une complicité qui en dit long sur la volonté des Libanais de cimenter leur unité. Jeanine JALKH

Main dans la main, de la place du Tell à Tripoli jusqu’au Tell de Zghorta – symbolisme oblige –, près de 15 000 personnes ont scandé main dans la main les slogans de l’indépendance et de la liberté, et scellé la coexistence à travers une chaîne humaine désormais indestructible. À la veille de la commémoration du 13 avril, une journée lourde d’enseignements pour le peuple...