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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Profession saboteurs

Il avait perdu de précieuses semaines en s’obstinant à former, en dépit du bon sens, un cabinet d’union nationale qui eut été en effet un impossible mariage de l’eau et du feu. Et Omar Karamé, éternel démissionnaire, looser par vocation, vient d’en reperdre deux bonnes autres en s’avérant impuissant à instaurer l’unité même au sein de son propre camp, celui des nostalgiques d’une ère syrienne pourtant révolue. Lesquels, en perdant le maître, ont surtout perdu l’arbitre incontesté qui, d’un simple coup de téléphone à partir de sa bucolique résidence de Anjar, remplie à ras bord de somptueux présents, distribuait souverainement les portefeuilles ministériels, tranchait les querelles, clôturait sans appel tous les débats. Exigées par les Libanais impatients d’aller aux urnes loin de toute influence étrangère, exigées aussi par le monde entier, des élections législatives sont censées avoir lieu au plus tard le mois prochain, date à laquelle expirera en effet l’actuelle législature. Pour organiser ce scrutin, l’idéal aurait été une équipe restreinte de personnalités unanimement respectées et non candidates à l’élection. On a préféré plancher sur un méga-cabinet groupant bon nombre de ces tristes individus marqués au fer rouge de la sujétion : des informateurs, des indics au service … des services. Et en ces heures exceptionnellement graves où le pays se trouve paralysé, où l’économie stagne, où les Libanais sont en proie à la psychose de l’attentat, sur quoi bute la saumâtre entreprise ? Sur la foire d’empoigne à laquelle se livre tout ce beau monde autour des ministères dits, eux aussi on n’en sort décidément pas, de « services » : avantageux départements qui, entre autres bénéfices, permettent à leurs titulaires de réserver la priorité des prestations étatiques – légalement ou frauduleusement dispensées – à leurs propres partisans et électeurs ou aux citoyens qui accepteront de se joindre au lot. Exemples parmi d’autres : Talal Arslane n’a que faire d’un ministère des Déplacés désargenté, et donc incapable de se constituer la moindre clientèle, alors il exige les Travaux publics. Parce qu’il est homme de principes et qu’il est conséquent avec lui-même, Sleimane Frangié refuse pour sa part de réintégrer le ministère de l’Intérieur et de trucider de ses propres mains le projet de loi électorale (les cazas) dont il est l’auteur. Mais tous ces nobles sentiments n’empêcheront certes pas le même Frangié de rejoindre un gouvernement absolument décidé, lui, à retirer ledit projet et à lui substituer la grande circonscription, assortie d’un vote à la proportionnelle, pourvu seulement qu’on le gratifie de la Santé et que l’Environnement échoie à l’un de ses potes. L’histoire ne dit pas quelle sorte de lot de consolation pourrait aller au président de la République, visiblement prisonnier de ses vieilles attaches et néanmoins soucieux de tenir ses promesses électorales faites au patriarche maronite. Cela dit un simple cabinet de transition, d’une espérance de vie n’excédant pas normalement quelques semaines, mériterait-il vraiment que l’on se livre à d’aussi âpres marchandages ? Aurait-on affaire plutôt à une sournoise distribution des rôles, à une comédie mettant en jeu le rassemblement de Aïn el-Tiné et son poulain essoufflé Karamé, qui s’en est allé bouder hier dans son coin du Nord ? Dans les deux cas de figure, on est définitivement fixé sur les intentions d’une majorité parlementaire refusant de faire son deuil de la tutelle, prise de court par la célérité inattendue du retrait des troupes de Damas, en totale rupture avec l’opinion publique et devenue une sinistre association de saboteurs : saboteurs d’élections, saboteurs des aspirations populaires à un retour à la normalité des pays heureux. Si les Syriens s’en vont ce sera à nouveau la guerre civile ou bien alors le vide politique, clamaient-ils, la bave aux lèvres ; répudiée du peuple, la guerre les a récusés. Et il ne leur reste plus d’autre ressource que l’obstruction systématique, que le désert constitutionnel : que ce fameux vide qui les qualifie d’ailleurs si bien. * * * Le hasard du calendrier veut que cette désolante pantalonnade coïncide très précisément avec l’anniversaire de la dévastatrice et interminable éruption de 1975. En un sens, c’est tant mieux : car si l’indépendance est irrésistiblement en marche, si les Libanais répondent nombreux à la communion populaire dont le centre-ville de Beyrouth est ces jours-ci le théâtre, il serait puéril – pire, dangereux – de croire que la partie est d’ores et déjà gagnée sur tous les tableaux. Ce n’est pas tout en effet que d’avoir obtenu la libération du Liban et de sanctionner bientôt, par le verdict des urnes, tous les imposteurs qui, de notre pays, se sont acharnés à faire une sous-province syrienne. C’est de nous-mêmes, de notre splendide égoïsme, de nos obédiences claniques et de notre méfiance atavique de l’État ; de notre goût pathologique pour l’indiscipline et le désordre ; de notre manie d’attribuer tous nos malheurs aux seules manipulations étrangères ; de notre répugnance à assumer notre propre – et lourde – part de responsabilité que nous devons encore nous libérer. Pour notre magnifique jeunesse de l’intifada, qui n’a pas eu de sang sur les mains ou sur la conscience, c’est là que réside le véritable défi.

Il avait perdu de précieuses semaines en s’obstinant à former, en dépit du bon sens, un cabinet d’union nationale qui eut été en effet un impossible mariage de l’eau et du feu. Et Omar Karamé, éternel démissionnaire, looser par vocation, vient d’en reperdre deux bonnes autres en s’avérant impuissant à instaurer l’unité même au sein de son propre camp, celui des...