Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

OPPOSITION - Soixante-deux tentes abritent chaque nuit quelque 300 jeunes Le sit-in, place de la Liberté, se poursuivra jusqu’à la naissance d’un Liban nouveau (PHOTOS)

Le rassemblement des jeunes, place des Martyrs, est né spontanément le vendredi 18 février. Ce soir-là, des milliers de Libanais s’y sont rendus pour prier, comme à l’accoutumée, sur la tombe de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et ses sept compagnons, assassinés cinq jours plus tôt, et signer par la même occasion une pétition, invitant le gouvernement Karamé à démissionner. Ce même soir, Sami Gemayel et son ami ont décidé de passer la nuit sur la place, et ont dressé à cet effet une tente. Aussitôt, des jeunes du Courant patriotique libre (CPL) se sont joints aux locataires de la place, construisant un abri avec des matériaux trouvés sur les lieux. Le lendemain, d’autres manifestants ont rejoint le petit groupe. Aujourd’hui, le camp compte soixante-deux tentes représentant les différents partis et courants politiques libanais, mais aussi des universitaires et des membres de la société civile. Quelque 200 à 300 jeunes y dorment quotidiennement. Plus d’un millier d’autres se relaient pour assurer une permanence continue. Cinquante jours déjà qu’ils ont élu domicile à la place de la Liberté. Certains y ont dormi dès la première nuit, d’autres depuis quelques jours. Et ces jeunes manifestants ne comptent pas déserter les lieux avant la réalisation de toutes leurs revendications, « parce que nous ne pouvons pas décevoir les deux millions de Libanais qui ont participé aux manifestations et événements que nous avons organisés dans le cadre de l’intifida de l’indépendance 2005 », souligne Maher Mohammed Daher, du CPL. « Une partie de nos objectifs est déjà atteinte, note Ghassan Atallah, du CPL. Elle se traduit notamment par la démission du gouvernement le 28 février et, à présent, par le retrait syrien. En ce qui concerne la vérité sur les circonstances de l’attentat, elle s’est concrétisée par la commission d’enquête internationale. Notre rêve serait de suivre les législatives à partir de la place pour appuyer et célébrer la victoire de tous les candidats de l’opposition. » « Je ne pense pas que nous allons retourner chez nous de sitôt, affirme Omar Harkous, de la Gauche démocratique. Tout ne sera pas fini dans un mois. D’ailleurs une simple analyse des positions des autorités permet de constater qu’elles essaient de prolonger autant que possible le mandat de la Chambre. Pour ces raisons, il faut que le sit-in se poursuive et qu’il continue à jouer son rôle politique. » « Nous, les jeunes, aspirons à des objectifs plus nobles encore, précise Khodr Ghodban, du Parti socialiste progressiste. Nous voulons construire ce pays comme nous l’entendons. En ce sens, nous refusons toute ingérence étrangère quelle qu’elle soit. Nous respectons bien sûr la légalité internationale mais nous refusons une tutelle sur le Liban. Nous ne voulons pas finir de la tutelle de Anjar pour tomber sous celle de Awkar. De plus, les exemples irakien et palestinien ne sont pas encourageants. Nous ne comptons pas déserter avant de réaliser tous les objectifs que nous nous sommes fixés. Nous avons du souffle. D’ailleurs que sont trente, quarante voire trois cent soixante-cinq jours comparés à trente années d’occupation ? » Depuis le 14 février, la motivation des jeunes manifestants n’a pas baissé d’un iota… bien que les choses se présentent actuellement sous un angle différent. « La situation est différente maintenant, signale Sami Gemayel. Lorsqu’on combat une occupation, la motivation est naturellement plus grande que lorsqu’on combat pour la démission d’un chef des services de renseignement ou la désignation d’une date pour les élections. Le processus est déclenché, il est irréversible. Les élections vont finir par avoir lieu. L’essentiel est réalisé. Et, grâce à nous, les yeux du monde sont braqués sur le Liban. En ce qui concerne les élections, nous avons peur qu’il n’y ait pas un vrai changement. Nous craignons que les mêmes figures restent. Le changement réel n’aura lieu que lorsque la nouvelle génération prendra les rênes. C’est à ce moment-là que nous témoignerons d’un Liban remodelé et pensé différemment. » Une image réduite du Liban Le camp est une image réduite du Liban, toutes confessions et tendances politiques et civiles confondues. Certains des jeunes ont laissé tombé leur travail pour assurer une permanence dans le camp. D’autres essaient de diriger leurs affaires à partir du camp. De modestes toilettes ont été aménagées sur les lieux, des télévisions sont installées dans les tentes et deux repas sont assurés au quotidien aux manifestants. Le déjeuner est souvent offert par des ONG ou des particuliers. La permanence est assurée au camp tout au long de la journée. Pour ce faire, chacune des tentes a mis en place un organigramme à l’intention de ses membres. Chacun assure une tranche horaire. N’ont-ils pas peur des attentats ? « Le premier attentat a causé un peu de panique, mais nous nous sommes habitués, raconte Sami Gemayel. Toutes les caméras du monde sont fixées sur le camp. Je pense qu’il s’agit de l’endroit le plus sûr du Liban. » « Nous assurons personnellement la sécurité du camp de 22h à 10h, explique Mouïn el-Ahmad, secrétaire général du rassemblement du Bristol. De plus, les forces de sécurité entourent le camp. Chaque voiture est minutieusement fouillée et les voitures des membres du camp portent leur nom. Et puis, à partir d’1h, seules les personnes qui dorment au camp restent. Il nous est donc plus facile de repérer les personnes étrangères. » « Ces attentats sont la preuve que notre sit-in pacifique a abouti », affirme Ala’a Cheaïb. « Chaque explosion nous motive davantage, renchérit Ghassan Atallah. Nous sommes ici pour une cause. Et cela implique une confrontation. Nous sommes prêts à la faire. » « Cent kilos d’explosifs ne nous font pas peur, assure Abdel-Rahman el-Souki. Il nous faut au moins le même nombre de kilos qui ont coûté la vie à Rafic Hariri, à ses compagnons et aux onze victimes innocentes. » « Il faut payer cher le prix de la liberté, insiste Khodr Ghadban. Sur le plan politique, le prix a été Rafic Hariri. » « Nous sommes certes révoltés par ces attentats, mais nous poursuivons notre combat », signale pour sa part Édouard Chamoun, du Parti national libre. 13 avril 2005 : ne plus recommencer… Quel sens revêt pour ces jeunes le 13 avril ? « En 1975, c’était le début de la guerre et des différends sur le concept de la nation, répond Édouard Chamoun. Certains considéraient à l’époque que la cause arabe était plus importante que la cause libanaise. En 2005, les Libanais ont appris la leçon. Ils ont compris que tant qu’ils seront divisés, c’est l’étranger qui tire profit du pays. Et en fin de compte, l’occupant ne faisait aucune distinction entre les chrétiens et les musulmans. Les attentats le prouvent. Aujourd’hui, l’entente islamo-chrétienne s’est traduite par le rassemblement de deux millions de manifestants le 14 mars dernier. » « Le 13 avril 1975 était le résultat d’un vieux problème, estime Sami Gemayel. Chacun avait sa propre vision du Liban et essayait d’imposer ses idées, son identité et sa façon de voir le pays. Le 13 avril 2005 n’aura de sens que lorsqu’on aura accepté l’autre et le droit à la différence. Mais aussi lorsqu’on aura opéré une vraie réconciliation sur des bases saines. » « Nous refusons de replonger dans la guerre, constate de son côté Ghassan Atallah. Nous en sommes tous convaincus. Nous voulons nous accepter les uns les autres en conformité avec la démocratie et la loi. Nous voulons un Liban uni. » « Le 13 avril 2005 doit être un jour pour l’unité nationale et pour un Liban nouveau », souligne, quant à elle, Lina Abou Khalil. « L’année 1975 était le début de la crise, l’an 2005 sera un point de départ vers l’avenir », note Élsie Moufarrèj, du CPL. « Il faut bien mémoriser la guerre avec toutes ses tragédies, il faut ouvrir les dossiers de la guerre et apprendre ses causes pour ne plus recommencer », conclut-elle. Une tente de prières à l’intention du Liban Le 27 mars dernier, jour de Pâques chez les communautés catholiques, une tente de prières pour la guérison de Bassel Fleyhane, mais aussi à l’intention des victimes et des blessés de l’attentat du 14 février a été dressée, place des Martyrs. « La première semaine a été consacrée à des prières à l’intention du député Fleyhane, explique le pasteur Chawki Boulos. Nous élevons également des prières à l’intention du Liban qui passe par une période difficile. » La tente a été élevée à l’invitation de l’Église évangélique et le Rassemblement des jeunes Libanais. Des évangiles et des prières sont distribués aux visiteurs de la tente, le but étant « d’inviter les gens à prier à leur façon ». Outre les prières sur place, des processions sont organisées dans la ville et dans d’autres régions du pays. « Nous comptons même effectuer des visites aux dirigeants et aux décideurs, note le pasteur Boulos. Nous allons intensifier nos prières pour qu’ils prennent les bonnes décisions. » La tente est ouverte tous les jours de 17h à 23h et les dimanches de 11h à minuit. Nada MERHI

Le rassemblement des jeunes, place des Martyrs, est né spontanément le vendredi 18 février. Ce soir-là, des milliers de Libanais s’y sont rendus pour prier, comme à l’accoutumée, sur la tombe de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et ses sept compagnons, assassinés cinq jours plus tôt, et signer par la même occasion une pétition, invitant le gouvernement Karamé à...