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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Les silences d’Alger

À quoi servent les sommets arabes ? À dégager périodiquement, ou à les dépoussiérer, des plateformes d’entente entre les 23 États membres d’une Ligue arabe vouée aux divisions. Mais aussi ? À faire éternellement du surplace, tant il est vrai que le consensus est l’ennemi juré de l’initiative : sacrifiées sur l’autel de la sacro-sainte unanimité, les résolutions des rois et chefs d’État sont le plus souvent vagues et inconsistantes. Langue de bois ne peut que rester lettre morte. La conférence d’Alger qui s’est ouverte hier ne pouvait échapper à cette règle. Ainsi, la Jordanie se proposait de faire approuver par ses pairs une version plus souple du plan de paix saoudien adopté lors du sommet arabe de 2002 à Beyrouth et qui offrait une normalisation générale des rapports arabes avec Israël en échange d’une évacuation des territoires occupés en 1967, de la création d’un État palestinien et d’une solution décente du problème des réfugiés. Invoquant l’impératif de marketing, le projet jordanien déclinait en termes plus généraux les conditions arabes, ouvrant ainsi la porte aux interprétations les plus larges. L’audace pouvait-elle s’avérer payante ? Cette politique d’ouverture avait-elle réellement quelque chance d’amener Sharon à composition ? On ne le saura jamais, car truffé d’amendements par les soins des ministres arabes des AE, le plan jordanien n’apporte plus rien de nouveau désormais : d’un sommet à l’autre, d’un Abdallah à l’autre, le produit reste pratiquement le même, l’emballage n’a pas changé et l’on cherche toujours acquéreur. Au plan des réformes de même, peu de progrès ont été accomplis depuis le dernier sommet de Tunis, au cours duquel les monarques et présidents arabes se décidaient à démocratiser leurs systèmes politiques : cela en se défendant vigoureusement d’obéir aux injonctions modernisatrices de l’Administration US et en insistant pour qu’il soit tenu compte de leurs spécificités propres. Quant à la Ligue arabe elle-même, qui célèbre cette année son soixantième anniversaire, elle n’est pas près de se doter d’un mode de fonctionnement plus adapté aux exigences du siècle. Hier encore, le secrétaire général Amr Moussa se voyait contraint de rappeler aux États membres leurs engagements financiers. Et ce n’est certes pas le projet d’un Parlement arabe qui pourra faire illusion, à l’heure où les Assemblées nationales librement élues brillent cruellement par leur absence aux quatre coins du monde arabe. C’est par rapport au Liban cependant que le déroulement de ce sommet confine au surréel. Membre fondateur de la Ligue, objet d’une résolution en règle du Conseil de sécurité de l’Onu exigeant la fin de la tutelle que lui imposait un autre pays arabe, théâtre par ailleurs d’un formidable élan populaire pour l’indépendance et la démocratie, notre pays joue néanmoins les fantômes à Alger. Qu’en ces heures graves où son propre sort politique est débattu sur la scène publique, le président Lahoud ait jugé le voyage superflu, délicat ou hasardeux, on comprend. Qu’il persiste à ne voir dans le processus d’émancipation en cours qu’un vil complot israélien fait en revanche sourire ; il en va de même d’ailleurs pour les pathétiques efforts du chef de la délégation libanaise, le ministre des AE Hammoud, visant à faire accroire que le retrait des troupes syriennes est une affaire strictement interne. Cela dit, pourquoi les Arabes jouent-ils le jeu, omettant d’inscrire l’affaire libanaise à l’ordre du jour de la conférence d’Alger et préférant se rabattre sur les classiques consultations en coulisse ? L’impossibilité de toute unanimité sur la question, bien sûr, mais aussi ce code de pudeur qui porte les puissances arabes à se ménager l’une l’autre, à s’épargner des situations gênantes dans l’espoir que l’on saura renvoyer l’ascenseur un jour. Il est bien connu que l’Égypte et l’Arabie saoudite ont exercé ces dernières semaines des pressions énormes sur la Syrie pour la convaincre de se soumettre à la résolution 1559, une nécessité qu’a rappelée en soirée au président Assad le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan ; mais il est significatif qu’à la séance inaugurale du sommet, seuls des invités non arabes – Zapatero, Barnier et Solana – aient explicitement évoqué, dans leurs allocutions, le texte onusien. Il y a plus fort que la pudeur toutefois, et c’est la peur. Le temps n’est plus, c’est vrai, où le Maroc et l’Algérie se livraient à une âpre guerre de frontières, où l’Égypte nassérienne envahissait le Yémen et où l’Irak de Saddam s’emparait du Koweït : ce n’est donc pas l’échec fracassant des visées syriennes sur le Liban qui peut donner des nuits blanches aux uns ou aux autres. Ce qui inquiète en réalité nombre de rois et chefs d’État de la Ligue, c’est le spectacle de la déferlante et triomphante « intifada de l’indépendance », de cette irrésistible mobilisation des foules libanaises pour le rétablissement de la démocratie : c’est la victoire annoncée du peuple sur ces instruments de pouvoir que sont invariablement les polices politiques dans les républiques et les monarchies environnantes. Si bien qu’en définitive, jamais le Liban passablement absent, le Liban occulté dans les beaux discours, n’aura été plus présent dans les esprits.

À quoi servent les sommets arabes ? À dégager périodiquement, ou à les dépoussiérer, des plateformes d’entente entre les 23 États membres d’une Ligue arabe vouée aux divisions. Mais aussi ? À faire éternellement du surplace, tant il est vrai que le consensus est l’ennemi juré de l’initiative : sacrifiées sur l’autel de la sacro-sainte unanimité, les résolutions des rois...