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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Au creux des mots

Le phénomène ne manque pas de cruauté, mais c’est fatalement en période de crise grave que l’expression politique est jugée avec le plus de sévérité. De s’emmurer des semaines entières dans le silence – ce qui était tout de même une bien singulière forme d’expression – n’aura guère épargné au président de la République les critiques, reproches et même accusations d’une opinion publique révoltée par l’assassinat de Rafic Hariri, mais aussi par la manière dont l’État a géré ce terrible évènement. De se décider à parler il y a quelques jours, à la faveur d’un entretien télévisé avec un groupe de journalistes, n’aura pas davantage réussi à Émile Lahoud, qui n’a jamais brillé d’ailleurs par ses talents d’orateur. Trop peu, trop tard, trop mal : le président n’avait aucune chance de convaincre les sceptiques ; et il n’a pas réussi même à redonner quelque tonus à son propre camp, que plonge visiblement dans le désarroi le processus en cours de dé-syrianisation du pays. Faudra-t-il se féliciter un jour de cette erreur monumentale, proprement fatale que commit l’hégémonie syrienne en imposant d’aussi brutale et provocante manière la prorogation du mandat présidentiel ? On est bien tenté de le croire, à la seule idée que la Syrie n’a jamais manqué de présidentiables de rechange, à l’amitié éprouvée ; que la même Syrie aurait pu court-circuiter toute contestation en laissant les apparences sauves, en favorisant une élection régulière au lieu d’en être réduite à menacer ouvertement jusqu’à ses plus proches alliés. Et que siègerait le plus régulièrement du monde, aujourd’hui à Baabda, un président « politiquement correct » (c’est-à-dire tout le contraire), un président fraîchement élu pour six années et dont on ne sait trop, en vérité, au prix de quelles contorsions il se serait adapté ou non au puissant vent de changement qui souffle sur notre pays. Or cette même chance de se fondre dans le paysage nouveau semble être refusée au personnage par trop engagé, trop marqué, à la légitimité trop controversée qu’est désormais Lahoud. Qui, en sus d’une connexion syrienne devenue bien sulfureuse, aura été pour l’opinion l’homme sur qui tablait Damas pour encercler, affaiblir et puis abattre un Rafic Hariri perçu par la même opinion, lui, comme l’artisan posthume d’une deuxième indépendance. C’est dire que même s’il en a jamais eu le souhait, le chef de l’État n’a plus les moyens de se placer au-dessus de la mêlée, dans le Liban de l’ère postsyrienne. Il n’est plus un facteur de solution mais une partie du problème et non la moindre, comme le montre la multiplication des appels à la démission : lesquels, fait significatif, n’émanent plus seulement des chefs les plus radicaux de l’opposition. Omar Karamé, lui, n’a pas trop cultivé le silence. Mais de s’exprimer d’abondance ne lui réussit pas pour autant, notamment quand il entreprend, et avec lui nombre de députés loyalistes, de récupérer le dernier discours de Bahia Hariri en en occultant les points les plus essentiels : ce texte, a dû rappeler l’intéressée hier, forme un tout indivisible. De même le Premier ministre démissionnaire, mais qui s’est vu réexpédier en première ligne, ne peut tromper grand monde en faisant sienne l’idée d’une commission d’enquête libano-internationale sur l’attentat du 14 février : si une investigation internationale s’impose, c’est bien en effet parce que tous, Libanais et étrangers, se méfient comme de la peste des organismes de sécurité et de l’appareil judiciaire locaux, ce qui les élimine d’office. À cet égard, Omar Karamé aura fini par convenir que la recherche de la vérité est devenue la préoccupation première des citoyens. Devenue, un mot qui dit tout : c’est sous la pression de la rue et des gouvernements étrangers que l’on vient à cette évidente priorité et non parce qu’elle s’imposait d’emblée sans délai, sans faux-fuyants, sans réticence, mauvaise grâce et désinvolture, sans provocation et défi, sans tout ce comportement de suspect et même de coupable qui, depuis l’explosion de Aïn Mreïssé, aura été celui du pouvoir. Rien ne sert d’arrondir les angles, pour reprendre la formule de Karamé, car le bon sens commande de commencer par en éliminer les plus pernicieux : les angles obtus.


Le phénomène ne manque pas de cruauté, mais c’est fatalement en période de crise grave que l’expression politique est jugée avec le plus de sévérité.
De s’emmurer des semaines entières dans le silence – ce qui était tout de même une bien singulière forme d’expression – n’aura guère épargné au président de la République les critiques, reproches et même...