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Actualités - CHRONOLOGIE

Le pont Charles Hélou croulait sous le poids des manifestants Sur l’autoroute Jounieh-Beyrouth, l’horizon a porté les couleurs du Liban (photos)

Rouge, blanc, rouge et le cèdre au centre. Rien que du rouge, du blanc et du rouge et du vert au milieu. Hier, les autoroutes, les rues et les ruelles menant à la place des Martyrs s’étaient transformées en immenses forêts de drapeaux du Liban. Les Libanais venus des quatre coins du pays ont pris d’assaut dès le matin tous les chemins vers la capitale. Tous ont voulu rejoindre Beyrouth, celle qu’on appelait dans l’Antiquité Béryte la mère des lois. Depuis le 14 février dernier, date de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le Liban s’est réveillé pour refuser que d’autres lois que les siennes soient appliquées. Et depuis un mois, le Liban a repris ses us et coutumes, redonnant spontanément un exemple de démocratie au monde arabe et un exemple de tolérance au monde entier. Hier donc, tous les Libanais ont décidé d’occuper la rue pour se rendre à la place des Martyrs. Et même s’ils avaient quitté très tôt leurs villages, beaucoup n’ont pas pu arriver à temps – à 15 heures – pour le meeting oratoire de l’opposition, place des Martyrs. Ceci ne les a pas pour autant empêchés de poursuivre leur chemin. C’est à la place des Canons qu’il fallait être – à côté de la sépulture de Rafic Hariri – pour demander que les assassins soient démasqués, pour dire un grand « non » à la Syrie et pour montrer surtout que le Liban – tout le Liban – aspire à la liberté, l’indépendance et la souveraineté. Toutes les artères menant à la capitale étaient bloquées. Mais c’est surtout sur l’autoroute du Nord qu’on pouvait se rendre compte avec quel entêtement et quelle patience les Libanais – brandissant leurs drapeaux et entonnant par intermittence l’hymne national – étaient déterminés à se rendre au centre-ville. C’est que cette autoroute relie tout le Liban-Nord (les cazas de Tripoli, Akkar, Bécharré, Batroun...), ainsi que les cazas de Jbeil, du Kesrouan et du Metn à Beyrouth. Et dès 10 heures, les embouteillages ont commencé à se former, sur le littoral, à partir de Batroun. Voitures, minibus, grands cars climatisés, camions déglingués, pare-choc contre pare-choc, klaxons, chansons partisanes, slogans contre le pouvoir et contre la Syrie... Des jeunes hissés sur le toit des voitures, des bus et des camions, des femmes derrière leur volant conduisant vers le centre-ville leurs enfants, neveux et tous les petits de la famille comme s’ils partaient en excursion... Des hommes venus du Akkar avec leur keffieh traditionnel, des femmes âgées bravant la fatigue... Des calicots, des vignettes et des brassards de l’opposition plurielle. Et rien que le drapeau libanais. Hier, sur l’autoroute du Nord, l’horizon a changé de couleurs pour porter celles du Liban. À 13 heures, l’autoroute Jounieh-Beyrouth s’était déjà transformée en immense parking. Et pour laisser passer le temps, tout en cherchant un endroit pour garer leurs voitures et descendre à pied vers le centre-ville, les automobilistes descendaient par intermittence de leurs véhicules afin d’entonner l’hymne national diffusé par des haut- parleurs montés sur certaines voitures ou pour danser la dabké, main dans la main avec des personnes qu’ils ne connaissent pas, au rythme de chansons patriotiques. Tous « Libanais », « 100 % libanais », « Fabriqué au Liban » (comme l’indiquent si bien les brassards et les écriteaux), main dans la main, pour un même but : celui de vivre dignes dans un pays libre et souverain. Toujours sur l’autoroute, avant le pont de Dora, des automobilistes allant à Beyrouth choisissent d’emprunter l’autoroute dans le sens inverse (l’axe Beyrouth-Jounieh). Au bout d’une quinzaine de minutes, l’artère est complètement bloquée et les deux axes routiers ne mènent plus qu’à la capitale. Au niveau du Forum de Beyrouth il faut marcher si l’on tient à arriver à la place des Martyrs. Et les piétons parviennent très difficilement à se frayer un chemin entre les véhicules. Il est déjà 15 heures. Les radios des voitures stationnées ne diffusent plus que le meeeting oratoire de l’opposition. Atmosphère de liesse Le pont de la Quarantaine, peu après 16 heures. Deux marées humaines se rejoignent, celle qui arrive à pied de Dora et celle qui quitte le centre-ville. Le pont Charles Hélou semble crouler sous le poids de la marée humaine qui brandit très haut les drapeaux libanais. Et cette importante artère de Beyrouth est trop petite pour les manifestants venus de tout le pays. Ceux-là parviennent à peine à marcher, à se frayer un chemin. La scène est la même dans les ruelles de Gemmayzé et d’Achrafieh. Il y a ceux qui ne reconnaissent plus les rues tellement elles grouillent de monde, ceux qui ne parviennent pas à retrouver leurs camarades, tentant de les joindre au téléphone en vain. Les réseaux sont complètement saturés. Les manifestants se ravitaillent par centaines dans les boulangeries et les sandwicheries de la zone. Il est presque 17 heures à Achrafieh. Les ruelles menant à la place Sassine, notamment dans les secteurs Zahret el-Ihsan et Ibrine, sont pratiquement bloquées. Et plusieurs automobilistes, ayant pris part à la manifestation de la place des Martyrs et voulant simplement rentrer chez eux sont – durant plus d’une heure – prisonniers de leurs voitures, au point qu’ils ramènent en arrière leurs sièges pour se reposer, voire piquer un somme. La place Sassine, peu avant 18 heures. Pour nombre de manifestants comme pour beaucoup d’habitants d’Achrafieh – par simple respect de la tradition –, c’est ici qu’il faut se retrouver pour célébrer une victoire. Les voitures surmontées de haut-parleurs diffusent à fond la caisse des chants partisans. Des rythmes accueillis par le signe de la victoire et les drapeaux qui s’agitent. Comme sur l’autoroute de Dora avant la manifestation de 15 heures, des jeunes s’installent sur le toit des voitures, des piétons font le signe de la victoire et tout le monde agite le drapeau libanais. Jusqu’à une heure tardive de la nuit, des convois de voitures et des jeunes brandissant très haut le drapeau du Liban ont sillonné les rues dans une atmosphère de liesse. Même s’ils réalisent la gravité de la situation, même si tous portent en eux les blessures de la guerre, et même s’ils sont étranglés par la tristesse et l’amertume, les Libanais – tous les Libanais – ont choisi hier de vivre une journée de fête. Patricia KHODER

Rouge, blanc, rouge et le cèdre au centre. Rien que du rouge, du blanc et du rouge et du vert au milieu. Hier, les autoroutes, les rues et les ruelles menant à la place des Martyrs s’étaient transformées en immenses forêts de drapeaux du Liban. Les Libanais venus des quatre coins du pays ont pris d’assaut dès le matin tous les chemins vers la capitale. Tous ont voulu rejoindre...