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Actualités - OPINION

La guerre réduite Anatomie d’un assassinat et d’une insurrection

Par Melhem CHAOUL Sociologue L’assassinat L’assassinat d’un homme politique, a fortiori d’un homme d’État, parallèlement à sa dimension criminelle et civile, marque la confrontation politique d’un sceau de violence et de communication brutale. En effet, tout conflit, toute confrontation se déroule dans le cadre d’un ensemble de règles et de logiques qui n’acquièrent leur « légitimité » qu’à partir du moment où les partenaires/joueurs/protagonistes les acceptent en tant que tels et en font le code commun de leurs actions et manœuvres. Cette soumission des acteurs aux règles donne toute sa force à leur double fonction de référents et d’outils de décodage des comportements. Avant 1989, l’assassinat des acteurs politiques libanais et non libanais était considéré dans le champ sémantique de la guerre au Liban comme un outillage inclus dans le code du système de violence en cours. Ainsi, l’assassinat du président René Moawad en 1990 concluait une ère et en fondait une autre, celle de la décennie 1990-2000. Et si le sens public se plaît à étiqueter cette dernière, de période d’après-guerre ou de la fin de la guerre, journalistes et chercheurs, plus perspicaces, utilisent pour cette tranche d’histoire la dénomination prudente de « fin des hostilités militaires » ou d’« arrêt des opérations militaires », se gardant dans les deux cas de qualificatifs tels que « le retour de la paix » ou « l’instauration de la paix ». En réalité, la terminologie objective faisant une nette dissociation entre « le militaire », « le politique » et « le civil », seul ce dernier terme, qui implique « la société », méritait d’être associé à une paix excluant le politique et, bien entendu, le militaire. On parle alors de « paix civile ». Théoriquement, le nouveau « code » de 1990-2000 excluait le recours à la violence militaire et, par-là l’assassinat politique de personnalités de premier plan (comme le président Rafic Hariri) dans le système de la confrontation politique interne. Cependant, une certaine ambiguïté subsistait, entretenant une faille et ouvrant la voie aux fautes, ou « fouls » pour utiliser une terminologie sportive, cela en liaison justement avec les intérêts du dispositif de la résistance au sud du pays (le nouveau code ne s’appliquait pas dans ce cas) et son corollaire d’anathèmes, d’accusations de trahison et d’intelligence avec l’ennemi. Cependant à partir du retrait israélien de 2000, cette « faille » ayant évidemment rétréci, le recours à la violence meurtrière dans le jeu interne devenait de moins en moins justifiable. Si l’assassinat du président Moawad annonçait la fin d’une époque, celui de Rafic Hariri marque, à l’inverse, le commencement d’une nouvelle ère. Nouvelle ère, nouvelles règles de jeu, nouveau code, restructuration des acteurs et de leur typologie, reformation des alliances et des camps. Ainsi, l’assassinat, dans sa mise en scène de folie meurtrière, non seulement annonce la fin d’un système de règles, mais encore proclame de manière sanglante l’inclusion à nouveau de cette forme de violence (et peut-être d’autres !) dans la confrontation politique interne actuelle au Liban. Malheureusement, cela signifie que le centre décisionnel qui a ordonné les deux assassinats de Marwan Hamadé (échec) et de Hariri (réussite) se trouve toujours dans cette logique de « guerre réduite » et il n’y a pas, à l’heure actuelle, de raison de croire qu’il compte en rester là. Il est indéniable qu’un acteur important sur la scène libanaise a besoin de cette forme de violence pour défendre sa situation et ses intérêts, n’étant plus en mesure de faire jouer à son avantage les autres moyens en deçà de cette pratique. L’assassinat du président Hariri est l’annonce pratique d’un nouveau/ancien moyen désormais inclus dans la confrontation politique au Liban, ce qui oblige les autres joueurs soit à l’adopter en ripostant de la même manière, soit à capituler et se soumettre à la volonté de celui qui en est l’ordonnateur. L’insurrection Un regard global sur l’ensemble des mouvements de l’opposition nous montre que celle-ci s’oppose dans le fond à la nouvelle logique et tente d’imposer celle de l’insurrection pacifique démocratique. Il est absurde d’y voir « un copiage » de l’extérieur et l’importation d’un modèle ukrainien ou autre. C’est la logique même d’une action politique démocratique fondée sur la mobilisation populaire couplée avec la cadence de la pression au sein de l’enceinte parlementaire, lieu par excellence de la confrontation non fondée sur les codes de la violence meurtrière. Donc, dans son aspect principal, l’insurrection démocratique pour l’indépendance, la souveraineté et la justice constitue un ensemble de règles et de codes qui sont la négation même du code instauré par le système du patriotisme mafieux de l’après-1990. C’est pourquoi il est tendancieux et de franche mauvaise foi de prétendre que le mouvement vise un renversement des rapports de forces politiques et communautaires dans le pays. L’insurrection ne porte pas de projets stratégiques bouleversants et ne peut objectivement le faire de par sa structure de large front, fait de forces multiples. Par contre, l’insurrection propose et défend un changement radical des règles et des codes de la pratique politique afin d’atteindre des buts légitimes et de réaliser des projets communs. Dans le Liban d’aujourd’hui, il est essentiel de sauver les objectifs stratégiques en éliminant les acteurs et les politiques (de plus en plus agressives, répressives et violentes) responsables de leur défiguration et de leur dysfonctionnement, et cela par le simple fonctionnement des règles démocratiques. Ce qui semble insupportable à ceux qui se sentent visés par ce projet de nouvelle donne et préfèrent reprendre leur outils et leurs hordes de dinosaures échappés du Jurassic Park de la politique arabo-libanaise.
Par Melhem CHAOUL
Sociologue

L’assassinat
L’assassinat d’un homme politique, a fortiori d’un homme d’État, parallèlement à sa dimension criminelle et civile, marque la confrontation politique d’un sceau de violence et de communication brutale. En effet, tout conflit, toute confrontation se déroule dans le cadre d’un ensemble de règles et de logiques qui n’acquièrent...