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Actualités - CHRONOLOGIE

De la place des Martyrs au secteur du Saint-Georges « Zoom out » sur la marée humaine des partisans de l’opposition (Photo)

Alors qu’aucun ordre officiel de grève n’avait été décrété ni au niveau des écoles ni au niveau des secteurs économiques, et en dépit de l’incident qui a fait un blessé à Saïfi dimanche soir, la manifestation à laquelle a appelé l’opposition hier a mobilisé une foule impressionnante. Quelque 150 000 manifestants selon un officier de police, de 200 à 250 000 selon les organisateurs, se sont retrouvés à la place des Martyrs, près de la sépulture de l’ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, à midi, avant de prendre le chemin du Saint-Georges, où la terrible explosion a eu lieu le 14 février. Une marée de drapeaux s’est glissée de la place des Martyrs le long de la rue Omar Daouk, avant de rejoindre l’avenue qui mène au secteur des hôtels, au rythme des chansons patriotiques et des désormais traditionnels slogans antisyriens et souverainistes. Beaucoup d’employés dans les commerces avoisinants et de citoyens sur leurs balcons se sont solidarisés avec enthousiasme avec les manifestants, entonnant l’hymne national à plus d’une reprise. Comme d’habitude depuis plus de trois semaines que dure ce mouvement de l’opposition, les slogans et les messages affichés sur les banderoles étaient diversifiés et inventifs. On pouvait noter une nouveauté dans le rassemblement d’hier : les photos des responsables des services de sécurité dont les forces de l’opposition réclament la démission suite à l’assassinat de Rafic Hariri, brandies sur des pancartes par des étudiants qui ouvraient la marche vers le Saint-Georges. Ainsi, les portraits de Adnane Addoum, ministre de la Justice, Jamil es-Sayyed, directeur général de la Sûreté générale, Ali Hajj, directeur général des Forces de sécurité intérieure (FSI), Raymond Azar, directeur des services de renseignements de l’armée, Édouard Mansour, directeur général de la Sûreté d’État, Ghassan Toufayli, responsable du service des écoutes téléphoniques, et Moustapha Hamdane, commandant de la Garde républicaine, étaient accompagnés de l’inscription « Just Go » (« Allez-vous en »). Toutefois, le slogan qui a vraiment dominé la marche d’hier faisait clairement allusion au discours prononcé par le président syrien Bachar el-Assad, samedi dernier. « Zoom Out » a été inscrit en grand sur des banderoles portées par les manifestants, et évoqué à plus d’une reprise par les organisateurs au micro. Le président syrien avait estimé que le nombre de manifestants antisyriens n’était pas très important, ce qui, selon lui, serait clairement apparu aux spectateurs si les caméras avaient pris la peine d’élargir leurs prises de vue. « Nous demandons aux médias de réaliser des “zoom out” afin que le nombre de manifestants apparaisse clairement à l’image », a demandé plusieurs fois une voix au micro. La Syrie, une fois de plus, n’a pas été épargnée dans les slogans scandés à l’unisson par les dizaines de milliers de manifestants, ou écrits sur les calicots. Dans une démarche qui ne manquait pas d’humour, un jeune homme s’est hissé sur un panneau de signalisation, brandissant une pancarte avec les mots « Syria out now » (« La Syrie dehors maintenant ») qu’il a placée juste en-dessous du panneau indiquant la route de l’aéroport. La seconde grande revendication de l’opposition, notamment la vérité sur l’assassinat de l’ancien président du Conseil Rafic Hariri, était elle aussi très présente lors de la marche. Les manifestants ont crié « Abou Baha’a », comme on surnomme le leader assassiné, et ont « suivi la route qu’il a empruntée quelques instants avant sa mort ». Réactions à l’annonce du redéploiement Les manifestants ont donc commencé à affluer à partir de 11h à la place des Martyrs, dont l’armée et les FSI avaient bouclé toutes les issues dès les premières heures du matin. Bien que présentes en force autour du lieu du rassemblement, les forces armées sont restées plutôt discrètes, encerclant et escortant les manifestants lors de leur marche sans intervenir à aucun moment. La foule des partisans de l’opposition était comme d’habitude hétéroclite. Composée majoritairement (mais pas uniquement) d’étudiants, elle venait des quatre coins du Liban pour se rassembler au pied de la statue des Martyrs. Comme tous les lundis depuis l’attentat meurtrier, une minute de silence a été observée par toute la foule à l’heure pile où a éclaté le drame du 14 février, à 12h55. L’annonce faite, la veille, par le président syrien concernant le redéploiement puis le retrait de ses troupes du Liban a provoqué des réactions plus ou moins positives de la part des manifestants. Sceptique, Mouïn, venu avec ses compagnons d’Iklim el-Kharroub, espère que « les Syriens se retireront le plus vite possible, et pas seulement vers la Békaa ». Wassim et Hassan, originaires de Aarsal, village de la Békaa à la frontière syrienne, n’acceptent pas que « les Syriens restent chez nous s’ils ne sont plus présents ailleurs ». « Après tout, notre village fait partie du Liban », poursuivent-ils, indiquant qu’ils participent aux rassemblements depuis le premier jour. Élie, un étudiant universitaire, va plus loin. « Nous n’accepterons pas qu’ils se redéploient seulement vers la Békaa, dit-il. Si c’est le cas, c’est à Zahlé que nous tiendrons nos sit-in désormais. » Un cadre d’une grande institution, qui a requis l’anonymat, considère quant à lui que « le retrait est inévitable ». « Mais les Syriens essayent encore de se cramponner à certains de leurs privilèges, poursuit-il. Ils n’ont pas encore compris qu’une ère nouvelle a commencé, ou alors le changement est très difficile à imposer en Syrie. » Comme lui, de nombreux cadres, patrons et employés avaient fermé boutique ou obtenu une autorisation pour participer à la manifestation. Concernant le rassemblement qu’organisent aujourd’hui les partis loyalistes, notamment le Hezbollah, la plupart des personnes interrogées ont considéré qu’« il est du droit démocratique de tout le monde d’exprimer son opinion ». D’aucuns ont même estimé qu’il ne s’agissait pas à proprement parler d’une contre-manifestation, « puisqu’il existe beaucoup de points communs entre nous ». Même Marie et Denise, deux dames pour qui le rassemblement d’aujourd’hui sera « du théâtre », reconnaissent que « le discours du (secrétaire général du Hezbollah, sayyed) Hassan Nasrallah était modéré ». Nagib, un habitant d’Achrafieh, souligne qu’« il n’existe pas de confrontation puisque le rassemblement des loyalistes est placé sous le signe du refus de la résolution 1559 ». Il se déclare lui-même « favorable à cette résolution, à condition qu’il n’y ait pas d’interférence étrangère ». Wafaa, qui vient du Akkar, déclare, non sans ironie : « Ils ont libéré le Sud de l’occupation israélienne. Ils doivent nous comprendre quand on réclame notre libération de la présence syrienne. » Toutes les personnes interrogées sont convaincues de la capacité du Hezbollah à mobiliser ses troupes, mais estiment que ce n’est pas le nombre de manifestants qui se trouveront aujourd’hui place Riad el-Solh qui compte. Discours axés sur l’enquête et le retrait Plusieurs personnalités de l’opposition se sont par ailleurs succédé à la tribune de la place des Martyrs. Le député Akram Chehayeb a estimé que « les consultations parlementaires sont secondaires par rapport aux revendications de l’opposition concernant l’identification des meurtriers de Rafic Hariri, la démission des responsables sécuritaires et le retrait des troupes syriennes ». « Pour connaître la vérité, il est indispensable qu’une enquête internationale soit menée, parce que nous n’avons aucune confiance dans la justice dont M. Addoum a fait un “émirat” à caractère policier », a renchéri la député Nayla Moawad. Le député Ghattas Khoury est revenu sur les cafouillages de l’enquête, assurant que « si un gouvernement de marionnettes est formé, nous le chasserons avant qu’il ne prenne ses fonctions ». Insistant sur la nécessité de connaître toute la vérité sur l’attentat, le député Walid Eido a proclamé : « Nous sommes pour un premier redéploiement vers la Békaa, mais nous insistons sur un retrait total au-delà des frontières. » Pour sa part, le député Pierre Gemayel a relevé que « quand on nous accuse de tendre vers une tutelle étrangère qui remplacerait la mainmise syrienne, nous leur répondons que nous ne tolérerons ni l’une ni l’autre ». Le député Jean Oghassepian a lui aussi insisté sur l’identification des responsables de l’attentat du 14 février, alors que le député Boutros Harb a assuré que nul ne pourrait ôter au Liban son rêve d’indépendance. Appelant les manifestants à poursuivre leurs rassemblements jusqu’à ce que justice soit faite dans l’affaire de l’attentat qui a coûté la vie à Hariri, la député Ghounwa Jalloul a rappelé la revendication concernant « l’application de l’accord de Taëf et le retrait total des troupes syriennes et de leurs services de renseignements ». Enfin, le secrétaire général du Mouvement de la gauche démocratique, Élias Atallah, a demandé aux jeunes d’avoir du souffle, « parce que la lutte sera longue ». Suzanne BAAKLINI
Alors qu’aucun ordre officiel de grève n’avait été décrété ni au niveau des écoles ni au niveau des secteurs économiques, et en dépit de l’incident qui a fait un blessé à Saïfi dimanche soir, la manifestation à laquelle a appelé l’opposition hier a mobilisé une foule impressionnante. Quelque 150 000 manifestants selon un officier de police, de 200 à 250 000 selon les...