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Actualités - CHRONOLOGIE

La dynamique de la place des Martyrs a opéré une véritable réconciliation intercommunautaire, selon le vice-président de la Gauche démocratique Ziyad Majed : Le mouvement contestataire, une poussée irréversible vers la conscience nationale(photo)

Ziyad Majed a passé pratiquement toute la semaine dernière sur le terrain, avec les jeunes manifestants, place de la Liberté. Vice-président de la Gauche démocratique, il déploie tous ses efforts, aux côtés de son inépuisable camarade, Élias Atallah, et des dizaines de jeunes cadres de différents courants politiques, pour maintenir un minimum d’organisation, de structuration, et faire en sorte que la flamme de la résistance ne s’éteigne pas. Militant politique (il était mercredi soir au nombre des participants à la réunion de Moukhtara), Ziyad Majed est aussi chercheur, élément actif de la société civile (il a été secrétaire général de l’Association libanaise pour la démocratie des élections) et auteur. Son dernier article publié tout récemment dans le quotidien an-Nahar et intitulé Pour mettre en garde contre un isolationnisme chiite lui a valu des menaces de l’un des deux principaux courants représentatifs de sa communauté. Pour M. Majed, le phénomène populaire de la place des Martyrs est d’abord synonyme de réconciliation nationale. « Il y a une prise de conscience chez les différentes composantes que le martyr de l’autre est aussi mon martyr. Cela aura des répercussions importantes à l’avenir, au niveau de la conscience nationale », dit-il. Dans le même esprit, le mouvement a fait preuve de souplesse et il s’est petit à petit créé des mécanismes autorégulateurs. « Personne n’a recherché les excès. Chaque courant a accepté les portraits et les slogans des autres courants, jusqu’à ce que seul le drapeau libanais soit brandi par les manifestants », note-t-il. Une autre réconciliation s’est également opérée, selon M. Majed, entre les Libanais et la rue. « Il y a eu une réappropriation de l’espace public. C’est beau de voir des citoyens non partisans se sentir de nouveau concernés, impliqués, engagés. Ils viennent à plusieurs reprises, et s’identifient au mouvement, réclament le foulard blanc-rouge, etc. Il est nécessaire pour nous d’œuvrer pour maintenir cette adhésion, indique-t-il, d’autant qu’il faudra avoir du souffle pour mener cette bataille à terme. » Autre apport de cette manifestation populaire : « Le mythe du Hezbollah comme seule formation capable de mobiliser des dizaines de milliers de gens pour les faire descendre dans la rue est brisé. Certes, il reste légitime sur le plan populaire, mais toute la campagne que les prosyriens menaient, selon laquelle l’opposition libanaise n’est pas une force motrice capable de mobiliser les Libanais, a volé en éclats. Et le caractère continu de la mobilisation, après le rassemblement à caractère affectif des obsèques, à travers la manifestation devant le Phoenicia, puis les sit-in et la chaîne humaine, jusqu’à l’apothéose de dimanche et de lundi, a également été un formidable pied de nez à ceux qui misaient sur le caractère éphémère du mouvement de protestation. » Une lecture sociologique Dans une lecture académique de la vague de protestation, Ziyad Majed, qui est un laïc convaincu, mais qui considère que les communautés religieuses sont une réalité sociologique dont il faut tenir compte, évoque la participation chiite et sunnite au mouvement de protestation. Si la rue chrétienne est mobilisée, bien huilée et extravertie, et que la rue druze est naturellement militante, la rue sunnite, en période de deuil, s’est surtout exprimée, par dizaines de milliers de visiteurs, par la prière sur la tombe de Rafic Hariri, mais aussi en s’associant à la fièvre de la manifestation devant la statue des martyrs. Elle n’a toutefois pas une culture militante ou mobilisatrice, et même le Courant du futur, qui est une formidable machine électorale, n’est pas une force de mobilisation. « Il suffit qu’ils collent le portrait de Hariri aux vitres de leur voiture ou qu’ils arborent un signe de deuil pour qu’ils participent au phénomène », note-t-il. Quant à la rue chiite, s’il est indéniable que les deux courants qui la monopolisent n’ont pas participé au courant de protestation, cela n’a cependant pas empêché les libéraux et les chiites de gauche – qui ne s’assimilent pas à la communauté – de prendre part à la dynamique. « L’absence des chiites est surtout celle d’Amal et du Hezbollah. Mais en dépit de cela, certains citoyens ont voulu affirmer qu’ils appartenaient à la communauté chiite. Ils ont porté des pancartes pour indiquer qu’ils venaient de Nabatiyeh et de la banlieue sud », dit-il. Entre 1943 et 2005 Ziyad Majed évoque des similitudes entre le « phénomène Aoun » (1989-1990) et « l’intifada de l’indépendance », même si le premier, plus limité, s’inscrivait dans le contexte de la guerre, des barricades, et qu’il n’avait été perçu, ressenti, que par une seule région, et dans une seule zone. « Alors que cette fois, la géographie de la place des Martyrs est importante. Le sit-in est directement sur la ligne de démarcation. Toutes les barrières sont tombées », dit-il. « Les funérailles de Kamal Joumblatt, ceux de Béchir Gemayel et ceux des trois cadres palestiniens assassinés par Ehud Barak à Beyrouth avaient rassemblé une masse de citoyens, mais il n’y a jamais eu un phénomène tel que celui de la semaine dernière dans l’histoire moderne du Liban. Cela est dû à une culture pacifique et démocratique qui est en train de se développer. Les médias et les satellites ont beaucoup aidé par la retransmission des grandes manifestations altermondialistes, des révolutions géorgiennes et ukrainiennes. Par ailleurs, il y a cette symbiose culturelle entre la joie et le militantisme, sans violence ni tristesse. La révolte est un exutoire de bonheur, malgré la tristesse et le dégoût après l’assassinat de Hariri. Enfin, toutes les frustrations accumulées durant ces dernières années après l’assassinat de plusieurs leaders ont explosé d’un seul coup. Hariri n’était pas un homme violent, nul n’imaginait qu’il serait tué de cette manière abominable. Le tuer à Beyrouth même, briser le mythe de la reconstruction, c’était franchir toutes les limites », estime M. Majed. Qui note cependant qu’à travers la mort de Hariri, « le peuple s’est réapproprié le centre-ville, qui n’était jusqu’à là qu’un lieu de consommation ». « Hariri est devenu le symbole d’un rassemblement intercommunautaire, authentiquement libanais », poursuit-il, estimant que ses assassins, et ceux qui ont tenté de tuer Marwan Hamadé, ont été bien peu inspirés de s’en prendre à de telles victimes, respectées, distinguées, évocatrices de culture. « En un seul mot, c’était une humiliation pour tous les Libanais. Mais pour ces assassins, l’objectif était surtout de viser des traits d’union entre le Liban, le monde arabe et la communauté internationale, que ce soit dans le cas de Hamadé ou celui de Hariri », dit-il. Ziyad Majed estime que la dynamique de 2005 est différente de celle de 1943 : « En 1943, il n’y a pas eu de mouvement social. Le consensus était élitiste. C’est la première fois que les Libanais se sentent concernés par ce que les députés vont faire. Le 28 février, les Libanais ont obligé les députés à redevenir les représentants du peuple. » Dans ce contexte, il explique l’attitude du Hezbollah, qui craint de se retrouver exclu du nouveau contrat social qui se dessine : « Ils craignent d’être encore plus marginalisés qu’avant. Ils sont dans une situation délicate. Ils ont un grand dilemme. Comment justifier qu’un mouvement de libération nationale, qui a combattu Israël et a libéré le pays, soit en même temps un outil pour maintenir la tutelle syrienne. Ils disaient eux-mêmes que c’est la légitimation de la Résistance qui l’avait renforcée. L’unité nationale est indispensable pour le Hezbollah, bien plus que les SR syriens en tout cas. Même au sein du Hezbollah et de sa base populaire, il y a plusieurs voix qui commencent à se faire entendre sur la nécessité de ne pas couvrir la corruption syrienne au Liban et de ne pas légitimer le pouvoir. Le fait que Nasrallah ait refusé de rencontrer la délégation qui voulait organiser une manifestation parallèle lundi est très important, tout comme il n’a pas pleinement mobilisé pour la manifestation dite du “million” ». « Les jeunes doivent prendre des initiatives » Certes, la dynamique actuelle est multigénérationnelle, mais « sans les jeunes, le mouvement n’aurait pas eu cette relation avec la rue ». Pour Ziyad Majed, « les jeunes doivent prendre des initiatives qui devraient obliger certains leaders à les suivre ». M. Majed évoque l’apport important des partisans, déjà conscients à des degrés divers de la situation, mais il apprécie aussi à sa juste valeur le rôle que jouent les indépendants, des traits d’union issus des universités et de la société civile, et celui de ceux que la politique n’a jamais intéressé, mais qui s’associent maintenant à la dynamique et prennent conscience. « Les groupes laïcs et mixtes sont minoritaires. C’est un obstacle qui empêche un grand nombre de jeunes de s’identifier facilement à l’un des courants. C’est pourquoi le slogan de l’indépendance devient plus important que tout autre slogan », précise-t-il. Il estime aussi que ce mouvement de contestation doit mener à une reproduction des élites, à former de nouveaux leaders jeunes. « On commence déjà à repérer ceux qui ont le sens des mesures, qui sont à la fois posés et enthousiastes, qui savent prendre les bonnes décisions au bon moment », dit-il. Concernant l’avenir du mouvement, Ziyad Majed est optimiste. Il plaide pour une accumulation de petites victoires, sur des principes clairs et sans aucun compromis, plutôt qu’une seule victoire : « Il faut catalyser ce mouvement. Il faut accepter que le mouvement se politise, qu’il soit axé autour d’objectifs précis comme la démission des chefs des SR, le retrait syrien total, ou même les élections. Mais sans compromis de la part des leaders qui pourraient dégonfler le mouvement, l’affaiblir avec une distribution de lots de consolation pour tout le monde. La percée, l’avancée, faite d’équilibre entre efficacité et idéalisme, dépend d’abord de ce mouvement de contestation. » M. H. G.

Ziyad Majed a passé pratiquement toute la semaine dernière sur le terrain, avec les jeunes manifestants, place de la Liberté. Vice-président de la Gauche démocratique, il déploie tous ses efforts, aux côtés de son inépuisable camarade, Élias Atallah, et des dizaines de jeunes cadres de différents courants politiques, pour maintenir un minimum d’organisation, de structuration, et...