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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB La mort par oubli

On s’imaginait avoir tout vu. On croyait être fixé une fois pour toutes sur la criminelle médiocrité de l’appareil étatique, comme de ceux qui en ont la charge. Restait à constater avec stupéfaction et horreur que 16 jours entiers pouvaient se passer avant que fût enfin déterré, sur le site même de l’attentat d’Aïn-Mreïssé, le corps d’une 19e et innocente victime. Et cela à la seule insistance de sa propre famille poussée à bout, armée de sa colère et de ses pelles, et qui a enfin obtenu que l’on cherche là où le simple bon sens commandait de chercher : sous les décombres. Comme son compagnon de malheur Abou Rjeily enterré vivant dans son propre bureau, à l’intérieur d’un édifice bouclé par les forces de l’ordre, Abdel-Hamid Ghalayini aura désespérément attendu, mobile au poing, des secours qui n’en finissaient plus d’arriver. Avec autant de force que le martyre de Rafic Hariri et de ses compagnons, l’interminable, l’insupportable agonie de ces deux citoyens ordinaires appelle à grands cris une autre mort, laquelle ne fera cette fois que des heureux : celle d’une mentalité de gouvernement qui, dans un pays d’aussi riche culture que le nôtre – et par-delà les dérives politiques résultant de la tutelle syrienne –, professe un choquant mépris de la vie humaine. Il est significatif que la guerre du Liban ait fait dix, vingt, cinquante fois plus de morts parmi les civils que dans les rangs des milices armées. Il est significatif de même – et doublement impardonnable – qu’une fois la paix revenue, ce bien inestimable qu’est la vie de tout citoyen n’ait pas davantage pesé sur la conscience des responsables malgré leurs tonitruants slogans sécuritaires. Dans tous les domaines de la vie quotidienne, sur les routes livrées à l’anarchie comme sur les chantiers sauvages, carence, incompétence, corruption et indifférence se sont depuis longtemps érigées, à leur tour, en pourvoyeuses de mort gratuite. Le scandale n’a cessé d’être là en réalité, même s’il a fallu le choc Hariri (et aussi l’horrible mort lente de Libanais qui, pour leurs proches, étaient plus importants encore que Rafic Hariri) pour en mesurer toute l’inconcevable, toute la sinistre étendue. L’inqualifiable gouvernement Karamé, avec ses outrances d’avant et d’après le séisme, n’est plus qu’un mauvais souvenir. Si devait être satisfaite l’exigence d’une démission des chefs des services de sécurité et de Addoum, avenante figure de proue d’une Justice libanaise qui jamais n’avait connu un tel discrédit local et international, les derniers fusibles auraient sauté pour Baabda : lequel semble bénéficier, pour le moment, d’un incertain sursis. C’est dire que le temps n’est pas encore venu des mauvais souvenirs. Des hommes s’en vont, d’autres sont peut-être en train de boucler leurs valises, d’autres encore vont leur succéder à la faveur des prochaines élections législatives ; il serait terrible cependant que seuls les responsables changent, sans que disparaisse du coup une tradition de désinvolture, de m’en-foutisme solidement ancrée dans tous les rouages de l’Administration et qu’est venu aggraver un comportement politique des plus pernicieux et dévastateurs. Avant que se referment les mémoires, il est impérieux d’exorciser le passé, sans quoi l’on n’aurait pas ménagé l’avenir dans ce qu’il a de plus essentiel, de plus élémentaire et basique : c’est-à-dire le souci étatique de la sécurité et du bien-être du citoyen, le respect de son droit à une vie digne (à la vie tout court ?), de son droit de châtier durement ceux des responsables qui lui ont, avec dédain, dénié ce droit. Pour cela des têtes doivent rouler, du haut au bas de la pyramide. Car malgré la griserie d’une indépendance qui revient et d’une opinion publique qui redécouvre aujourd’hui sa propre puissance, rien n’aura vraiment été fait s’il ne devient pas clair pour tous, hauts et moins hauts fonctionnaires, que le citoyen libanais est en voie de reprendre la place qui lui revient : la toute première. Transiger en la matière voudrait dire seulement que le mal est toujours là. Que le ver est encore dans le fruit.

On s’imaginait avoir tout vu. On croyait être fixé une fois pour toutes sur la criminelle médiocrité de l’appareil étatique, comme de ceux qui en ont la charge. Restait à constater avec stupéfaction et horreur que 16 jours entiers pouvaient se passer avant que fût enfin déterré, sur le site même de l’attentat d’Aïn-Mreïssé, le corps d’une 19e et innocente victime. Et...