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L’armée fraternise avec les manifestants, leur cédant le passage jusqu’au centre-ville Place des Martyrs hier, un nouveau soleil s’est levé sur le Liban(photos)

Hier, à 06h05, un nouveau soleil s’est levé sur le Liban. Un nouveau matin porteur de toutes les promesses du bonheur. Ces très rares promesses qui peuvent parfois se réaliser. Et la promesse d’une nouvelle indépendance se réalisera. Indubitablement. Au centre-ville hier, toutes les barricades sont tombées. Des dizaines de milliers de personnes ont bravé les interdits. Leur courage, leur volonté, leur soif de souveraineté, leur détermination surtout a désarmé les forces d’élite quadrillant le secteur. L’armée libanaise, dont on craignait la répression, a fraternisé avec les manifestants, finissant par leur céder le passage par intermittence et avec le sourire. Tout a commencé dimanche soir vers 19h, quand le ministère de l’Intérieur a pris la décision d’interdire les manifestations, laissant à l’armée la tâche de maintenir l’ordre dans le centre-ville, bouclant le secteur à partir de 22h. Et ce n’est pas une quelconque brigade de l’armée qui a quadrillé toute la zone mais bel et bien les commandos, les forces d’élite, au béret rouge. Prise probablement pour décourager les Libanais qui étaient résolus comme la semaine dernière à descendre coûte que coûte dans la rue, cette décision a eu l’effet contraire, confirmant à ceux qui voulaient l’ignorer encore que la situation a atteint le point de non-retour. Il a suffi donc d’un communiqué de quelques lignes et d’une rumeur affirmant que l’armée expulsera les contestataires à 5h pour que les manifestants présents au centre-ville restent sur place et pour qu’ils soient rejoints par des Libanais de tous bords et de toutes catégories sociales. Dans la nuit de dimanche à lundi, peu après minuit, environ 5 000 personnes étaient présentes au centre-ville. Il y avait certes de jeunes partisans et des étudiants, habitant notamment Beyrouth et le Mont-Liban, mais aussi des manifestants n’appartenant à aucun courant politique, venus en famille ou par groupes d’amis, pour « relever le défi » ou pour « participer à une nouvelle indépendance ». Même si la plupart d’entre eux étaient mal équipés pour supporter le froid de Beyrouth la nuit, ils ont tenu à rester sur place. Certains ont réussi à dormir. Il y a les prévenants qui sont sortis de chez eux en emportant leurs couettes ou leurs sacs de couchage. D’autres se sont débrouillés avec les moyens de bord en s’enveloppant dans des couvertures distribuées par « un bienfaiteur » non loin de la tombe de Rafic Hariri, ou encore en se couvrant du drapeau libanais qu’ils brandissaient. Tout était bon pour improviser un coussin : un sac à main, une bouteille en plastique vide, ou le corps d’un ami. Certains se sont allongés à même le macadam. D’autres ont eu plus de chance : ils ont trouvé de la place pour s'étendre sous la tente et sur la moquette bleue installées lors de l’organisation des funérailles de l’ancien Premier ministre. Il y a aussi ceux qui ont passé la nuit à circuler d’un endroit à l’autre, et ils étaient très nombreux. Il faut compter également les militants qui se sont regroupés sous leurs tentes dressées depuis une dizaine de jours sur la place des Martyrs. Il y a aussi ceux qui n’ont pas bougé, qui sont restés assis tout au long de la nuit en plein air et au même endroit. Commentant le mouvement des jeunes et des étudiants, l’un des organisateurs de la manifestation de lundi dernier et de la chaîne humaine samedi, Edgar Barakat (base Kataëb), la soixantaine, souligne qu’il a senti le besoin que les jeunes profitent de son expérience dans l’organisation de ce genre d’événements. « Nous travaillons sous pression et dans l’urgence. Tout le monde est mobilisé. Nous sommes en train de réussir. De ma vie, je n’ai jamais rien vu de pareil », a-t-il indiqué. En fait, dimanche en fin d’après-midi, personne n’avait prévu de mobiliser les manifestants à la place des Martyrs dès 22h. Pourtant l’opposition plurielle a relevé le défi. Jusqu’à 2h, les députés et les responsables se sont relayés à la tribune. Les discours étaient ponctués de chansons patriotiques. Ici et là on allumait des feux de camp. À 5h, les responsables de l’opposition sont à la tribune, la foule qui s’était un peu assoupie se lève, se rassemble pour répéter ce qu’elle a déjà fait tout le long de la nuit : agiter les immenses drapeaux libanais, entonner l’hymne national et scander ses slogans : « Liberté, souveraineté, indépendance », « La Syrie dehors », « Nous voulons dire la vérité : nous ne voulons plus de la Syrie », « Un lion au Liban, un lapin au Golan », « Musulmans et chrétiens, nous ne voulons plus des Syriens » et beaucoup d’autres slogans. Les responsables prennent la parole à tour de rôle. Waël Bou Faour livre le message de Walid Joumblatt : « En 1943, il se sont endormis et se sont retrouvés indépendants. Aujourd’hui, vous êtes des résistants et vous avez veillé pour voir l’indépendance. » Pierre Gemayel affirme : « Si nous étions nés, il y a soixante ans, nous aurions été des héros. » Élias Atallah souligne que les manifestations se poursuivront jusqu’à ce que le Liban recouvre son indépendance. Nader Naïb raconte une histoire passée durant la nuit : « Un manifestant s’est approché d’un soldat, ses amis lui ont demandé : “pourquoi tu lui parles”, il a répondu : “c’est mon père”. » Akram Chéhayeb souligne : « Nous attendons que l’armée se joigne à nous. Elle ne sera pas divisée comme le prétendent certains. Et n’oubliez surtout pas que les soldats sont vos frères. » La foule applaudit, chante l’hymne national et scande : « Nous ne voulons qu’une seule armée au Liban, l’armée libanaise. » Au niveau de Saïfi, une autre histoire Tout au long de la nuit, les commandos de l’armée ont facilité la tâche aux manifestants qui arrivaient place des Martyrs, leur permettant d’entrer par vingtaines dans le périmètre quadrillé. En pleine nuit, certains manifestants parlant entre eux de la faim qui les rongeait (malgré les milliers de sandwiches distribués par les organisateurs dans une tente située non loin de la tombe de Rafic Hariri) sont entendus par hasard par des soldats. Ces derniers leur offrent leur propre ravitaillement. Il est presque 6h. Un nouveau jour, plein de promesses, se lève sur Beyrouth. Alors que quelques milliers de contestataires se trouvent place des Martyrs, des centaines d’autres se dirigent vers Saïfi, où des dizaines de protestataires, venus de tous bords et armés uniquement de leurs drapeaux libanais, veulent percer le cordon de sécurité formé par l’armée. Les manifestants de la place des Martyrs courent amener leurs amis. Les barricades humaines formées par les soldats cèdent un peu trop facilement. Dix minutes plus tard, c’est le même spectacle qui se répète. Dans ce secteur du centre-ville, les manifestants ont entonné surtout des chants rendant hommage à l’armée et ont scandé : « Nous ne voulons qu’une seule armée au Liban, l’armée libanaise », « On veut que nos commandos expulsent les Syriens ». Puis ce sont les FSI et leurs brigades antiémeutes qui prennent position avec leurs impressionnants équipements. Ils sont venus de Beyrouth et de Zahlé. Les commandos de l’armée intensifient alors leur présence autour des jeunes comme s’ils voulaient éviter certains débordements dont ils ne veulent pas être tenus pour responsables. La tension monte. Les jeunes des deux côtés attendent. Et il semble qu’un accord a été passé, sur le terrain, entre les responsables des courants de l’opposition et les commandos : tous ceux qui viendront au centre-ville pourront entrer, l’armée cédera le passage. On n’avait pas vu depuis longtemps ce genre de scène de fraternisation entre les civils et les hommes en uniforme vert. Un manifestant tombe, se blesse à la figure, et c’est un soldat qui lui tamponne le front avec de l’eau. Une jeune manifestante, courant pour rejoindre ses amis, trébuche, des soldats l’aident à se lever afin qu’elle ne soit pas piétinée par la foule. Et puis, une voiture de pompiers arrive. La scène rappelle aux contestataires des images passées... Ils s’agitent, grimpent sur le véhicule, s’en prennent à quelques soldats qui ne ripostent pas. Une dizaine de minutes plus tard, un officier effectue un coup de fil, donne des ordres : « N’envoyez plus de grands véhicules de ce côté. Je ne veux en aucun cas avoir des accrochages avec les manifestants », dit-il. Des dizaines et des dizaines de fois, les contestataires iront chercher leurs amis. N’ayant plus peur de l’armée, les manifestants ne courent même plus, marchent tranquillement sous le regard bienveillant des soldats, leur offrant même des fleurs. Raymond Soueidane, ancien détenu dans les geôles syriennes, assiste fier à la scène. Libéré en 1998 après avoir été enlevé en 1993, à Beyrouth, alors qu’il était élève officier au sein de l’armée libanaise, il indique : « Depuis ma libération, j’ai vécu pour voir ce jour arriver. » Venant à pied du secteur SNA et de toutes les petites ruelles de Gemmayzé, les manifestants, avec leurs immenses drapeaux libanais, déferlent sur le centre-ville. Malgré les fils barbelés qu’elle a installés, l’armée, ovationnée, leur ouvre l’accès à la place des Martyrs. Comme toutes les ruelles de Gemmayzé, la place des Canons est noyée sous les drapeaux. De toutes parts on n’entend plus que l’hymne national. Il est un peu plus de 10h. La séance parlementaire a commencé. Les Libanais, tous les Libanais, ont gagné la bataille. Patricia KHODER

Hier, à 06h05, un nouveau soleil s’est levé sur le Liban. Un nouveau matin porteur de toutes les promesses du bonheur. Ces très rares promesses qui peuvent parfois se réaliser. Et la promesse d’une nouvelle indépendance se réalisera. Indubitablement. Au centre-ville hier, toutes les barricades sont tombées. Des dizaines de milliers de personnes ont bravé les interdits. Leur courage,...