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Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Du vrai de vrai

Du jamais-vu, de l’inédit. Sur toute la ligne. Jamais vue auparavant, dans notre pays, une si ardente communion populaire scellée par l’assassinat d’un chef et qui débouche sur une indépendance insultée, violée, perdue et soudain redevenue à portée de la main. De l’indépendance de 1943 – et soit dit sans méconnaître l’œuvre immense des hommes historiques qui firent le Pacte national –, d’aucuns ont pu dire qu’elle n’avait pas été suffisamment méritée : c’est-à-dire que les foules n’y avaient guère été associées ; de fait, et des décennies plus tard, elles en seraient encore à lorgner qui du côté de l’Occident, et qui de la vaste nation arabe. C’est sur le même horizon que sont pointés enfin aujourd’hui les regards des Libanais. Et le plus extraordinaire, c’est le spectacle de trois générations différentes – celles de l’avant-guerre, de la guerre et de l’après-guerre – jalonnant inlassablement tous les jours et toutes les nuits, avec leurs gorge ou leurs pieds, dans le recueillement et l’exaltation, la voie de l’indépendance. De mémoire de Libanais, on n’avait vu non plus des gouvernements en faillite expirer sous la pression de l’opinion publique selon le rituel funèbre en vigueur dans les grandes démocraties : c’est-à-dire en rendant l’âme dans l’enceinte du Parlement, et non dans les coulisses feutrées du pouvoir. Pour Omar Karamé qui, il y a douze ans, dut une première fois décrocher face aux manifestations contre la cherté de vie, c’est de bien sévère façon que se répète l’histoire. Et c’est une cinglante revanche posthume que remporte un Rafic Hariri littéralement harcelé à mort puis poursuivi, jusqu’après son martyre, par le haineux, l’inqualifiable comportement des officiels. Non moins inouïs sont le grand courage, la détermination – mais aussi l’inattaquable logique – déployés par les députés de l’opposition qui se sont succédé à la tribune hier pour raviver une tradition parlementaire de franc-parler longtemps étouffée par la pesante tutelle étrangère. Il y a quelques années encore, le rugissant octogénaire Albert Moukheïber, député « rebelle » du Metn, était une voix dans le désert, une curiosité historique, une sorte de mammouth rescapé de la grande glaciation. Depuis la funeste reconduction forcée du mandat présidentiel, depuis les lâches attentats qui ont visé Marwan Hamadé puis Hariri sans que fut déclarée close la liste des hommes à abattre, depuis que l’ardeur des foules est venue soutenir la révolte des politiques, l’iceberg s’est mis à craquer de partout. Des choses énormes ont été dites hier, de retentissants « j’accuse » ont été assénés, n’épargnant même pas les sphères les plus hautes. Grâce à cette poignée de braves, c’est le Parlement tout entier, le Parlement des majorités de commande, qui a retrouvé son honneur : quand bien même ce l’était malgré lui. Malgré lui vraiment ? Karamé a-t-il fini par baisser les bras devant l’ampleur sans précédent de la colère populaire ? Lui-même sujet à des colères épiques couvant en permanence sous son flegme, a-t-il perdu les nerfs, et conséquemment la bataille ? Tout n’était-il pas dit dès lors que l’armée, dont la cohésion était imprudemment mise en cause la veille encore par Karamé lui-même, se refusait à barrer aux manifestants l’accès du centre-ville comme il le lui était demandé, fraternisait même avec les pèlerins de l’indépendance ? En claquant la porte, en laissant ses partisans se défouler à coups de fusil dans les rues de Tripoli, le Premier ministre démissionnaire chercherait-il à matérialiser ses sinistres prophéties, à donner à tous un avant-goût des secousses à venir à seule fin de prouver qu’il avait quelque part raison ? On peut se demander encore si Omar Karamé, qui n’avait été nanti il y a quelques mois que d’une confiance étriquée, n’a pas été averti durant la pause de midi d’un glissement en cours dans les rangs loyalistes : en d’autres termes, si l’absent à l’appel des loyalistes n’était pas le Hezbollah qui s’était posé dernièrement en médiateur ; le Hezbollah qu’Israël va jusqu’à mettre en cause (et avec lui la Syrie) dans le récent attentat à la bombe de Tel-Aviv ; le Hezbollah pour lequel pourtant Walid Joumblatt montre les plus grands égards, réussissant à entraîner l’opposition tout entière sur ce terrain riche de perspectives : celui de l’adhésion d’une incontournable composante chiite au même dessein national. Last but not least, et une fois franchie l’étape désormais obligée d’un cabinet neutre de transition, puis celle des législatives, le Liban nouveau pourra-t-il s’accommoder longtemps d’une présidence que la Syrie a cavalièrement maintenue en place et qui est souvent perçue comme une substantielle partie du problème ? Pour les leaders de l’opinion et les foules de l’indépendance, l’ampleur du triomphe d’hier commande une vigilance accrue face aux éventuelles provocations. « Une affaire intérieure » : comme pour la présence militaire syrienne, c’est en ces termes que l’on a sèchement commenté à Damas le départ du gouvernement Karamé. Et pour une fois, on était dans le vrai.

Du jamais-vu, de l’inédit. Sur toute la ligne. Jamais vue auparavant, dans notre pays, une si ardente communion populaire scellée par l’assassinat d’un chef et qui débouche sur une indépendance insultée, violée, perdue et soudain redevenue à portée de la main. De l’indépendance de 1943 – et soit dit sans méconnaître l’œuvre immense des hommes historiques qui firent le...