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Actualités - ANALYSE

Chareh annonce du Caire un respect « sans conditions » de Taëf ; Ryad lui demandera aujourd’hui des « informations » sur l’assassinat de Hariri La Syrie désormais seule face au tandem arabo-international

Vingt-neuf ans après son entrée au Liban, treize ans après l’application du volet interne de l’accord de Taëf, et deux semaines après l’assassinat de Rafic Hariri et l’accusation lancée le jour même, de Koraytem, par l’opposition nationale plurielle contre elle et contre les autorités libanaises, la Syrie se retrouve plongée dans l’œil d’un inépuisable cyclone de pressions politiques (mais aussi populaires). Des pressions plus ou moins amicales certes, mais qui s’exercent désormais des quatre coins de la planète, de l’intérieur de la capitale syrienne (avec les centaines d’intellectuels, leurs appels, leur lettre ouverte à Bachar el-Assad en faveur d’un retrait du Liban), du monde arabe, de la communauté internationale évidemment, mais aussi, et surtout, de ce pays devenu, à l’instar de l’Afrique du Sud postapartheid, une véritable « patrie arc-en-ciel » : le Liban et son peuple. L’obstination euro-franco-américano-onusienne est désormais chose connue et bien connue : il ne se passe pas un jour sans que Washington, Paris, le Parlement européen, les Nations unies, entre autres, réitèrent un inébranlable attachement à l’application de la résolution 1559 en général, et des clauses relatives à « l’arrêt de l’occupation syrienne du Liban » en particulier. Allant jusqu’à faire comprendre à la Syrie, plus ou moins directement, que les menaces, toutes les menaces, ne sont désormais plus à écarter. Un tandem est un vélo à deux sièges et deux pédaliers placés l’un derrière l’autre, et quand l’un des cyclistes se fatigue, l’autre redouble d’efforts. Et au vu des développements des dernières semaines, et notamment du week-end écoulé, le monde arabe, emmené comme de bien entendu par Le Caire et Ryad, s’est mis en branle, au même rythme que la communauté internationale, dans le même but (inverser le feu vert donné à la Syrie au Liban il y a plus de vingt ans), mais avec des moyens et une sensibilité souvent radicalement différents. Au Caire, d’abord, Hosni Moubarak a annoncé à Farouk el-Chareh qu’il se rendra très bientôt à Damas pour rencontrer Bachar el-Assad. Et de la capitale égyptienne, le chef de la diplomatie syrienne, certes sans donner de dates ni de détails techniques, certes en conservant les apparences, a lâché les eaux : « La Syrie est engagée à respecter sans conditions toutes ses obligations découlant de l’accord de Taëf », a-t-il dit, affichant la disposition de Damas à dialoguer avec Washington, occultant totalement les menaces de son adjoint Walid Moallem et rendant un hommage appuyé au Caire et à Ryad (c’est-à-dire, concrètement, à la Ligue arabe...) À Ryad justement, une épreuve autrement moins agréable attend Farouk el-Chareh, à qui les autorités saoudiennes demanderont des « informations » sur l’assassinat de Rafic Hariri. Et si l’Arabie saoudite se garde naturellement de lancer la moindre accusation, elle ne se prive pas de bien faire comprendre, fût-ce par le biais d’un responsable anonyme, que la Syrie assume une certaine part, une part certaine, de responsabilité. Et dans une interview au Washington Post, le chef de la diplomatie saoudienne, Saoud al-Fayçal, a affirmé que Damas « doit se retirer en fonction de l’accord de Taëf ». Et si Alger, qui accueillera le prochain sommet arabe, s’est également mis de la partie, avec l’envoi d’un émissaire dans la capitale wahhabite ; si l’Autorité palestinienne, notamment par la voix de Nabil Chaath mais aussi par celle, plus indirecte, de Mahmoud Abbas, a fermement suggéré depuis une dizaine de jours à Damas de soutenir activement la volonté palestinienne de préserver la trêve avec Israël ; la réaction la plus claire est venue de Amman, où le roi Abdallah II en personne a rappelé au Premier ministre syrien Naji Otri l’attachement clair et net de la Jordanie à « la souveraineté, l’unité et la sécurité » du Liban. Quant à la seule alliée affichée de la Syrie, l’Iran, force est de constater que ses réactions sont pour les moins ambiguës, que ce soit les quasi-démentis de Téhéran à Naji Otri et à son « front uni » lors de sa visite il y a quelques jours dans la capitale iranienne, que ce soit les déclarations de l’ambassadeur d’Iran à Paris Sadek Kharazi sur les propos que lui a tenus Rafic Hariri, que ce soit la volonté de Téhéran de coopérer avec la communauté internationale, et notamment l’UE, sur ses dossiers internes à problème... Au Liban, enfin, où l’omerta s’est malheureusement imposée depuis des années, il y a désormais le spectacle simplement éblouissant de la nuit dernière, les images d’un peuple énorme chantant l’hymne national après minuit place de la Liberté des Martyrs, les kilomètres de voitures bloquées, sur décision ministérielle, à toutes les portes de Beyrouth, les mots de Walid Joumblatt, Nassib Lahoud, Ahmed Fatfat, tous les autres, le courage et la force de Nayla Moawad. Tous, absolument tous proposent à la Syrie une sortie « honorable » basée sur l’application de Taëf. Une décision « visionnaire, sage et courageuse » est attendue du président Bachar el-Assad, a dit il y a quelques jours un ancien ministre qui n’en manque pas lui-même – de vision : Ghassan Salamé. Une décision qu’encourage visiblement désormais le monde arabe. Ziyad MAKHOUL Le président égyptien, Hosni Moubarak, va se rendre prochainement à Damas pour examiner avec son homologue syrien, Bachar el-Assad, la crise libanaise et les pressions internationales sur la Syrie. C’est ce qu’a annoncé hier le ministre syrien des Affaires étrangères, Farouk el-Chareh, qui a été reçu dans la matinée par le raïs égyptien, à qui il a remis un message du n° 1 syrien. « Les pressions (américaines) visent tous les Arabes, régimes et peuples », a déclaré le diplomate syrien lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue égyptien, Ahmed Abou el-Gheit. Affirmant que « ces pressions sont un signal d’alarme important pour que les Arabes retrouvent leur solidarité et un peu de prestige », Farouk el-Chareh a estimé que « nous ne devons pas seulement nous plier aux ordres qui nous sont dictés : il faut dialoguer et coopérer pour réaliser les intérêts de toutes les parties ». Assurant ensuite que les États-Unis « ne possèdent pas de prétextes pour assiéger la Syrie ou critiquer sa position car, en ce qui concerne le Liban, la Syrie est engagée à respecter sans conditions toutes ses obligations découlant de l’accord de Taëf, qui régit la présence des troupes syriennes au Liban et qui bénéficie de la bénédiction internationale, a dit Farouk el-Chareh. Il n’existe pas de consensus libanais sur la résolution 1559, par contre l’unanimité est totale au Liban sur l’accord de Taëf », a-t-il ajouté, soulignant qu’ « il n’y a pas de grande différence entre l’application de Taëf et la résolution 1559. La mise en œuvre de Taëf est une application indirecte de la 1559 », a estimé le chef de la diplomatie syrienne. Qui a en outre affirmé que son pays était « soucieux de réaliser un consensus libanais autour de sa présence légitime au Liban (...), que des troupes syriennes continuent à stationner ou non dans la plaine de la Békaa ». Rappelons à ce sujet que le ministre de la Défense, Abdel-Rahim Mrad, avait déclaré samedi à l’AFP qu’il « ne pouvait pas donner une date » pour le début d’un redéploiement de l’armée syrienne vers la Békaa, qu’il avait pourtant présenté jeudi comme imminent. « Ce dossier est sur le feu, mais je ne peux pas fixer de date, car ce sont les commandements militaires des deux pays qui prennent la décision, et ils n’annoncent pas (les mesures) à l’avance », a-t-il ajouté. « Dans tous les cas, ce redéploiement se fera en fonction des accords de Taëf, et c’est l’armée libanaise qui sera déployée dans les régions qui seront évacuées » par l’armée syrienne, a annoncé Abdel-Rahim Mrad. Désavouant en outre son Premier ministre, Omar Karamé, il a rejeté les craintes d’un « possible » éclatement de l’armée libanaise : « Grâce à l’assistance syrienne, l’armée libanaise a été reconstituée et elle est unie autour des principes nationalistes et proarabes », a-t-il estimé. Et au même moment où Farouk el-Chareh se trouvait au Caire, le président français, Jacques Chirac, a appelé Hosni Moubarak au téléphone pour discuter des modalités d’application de la résolution 1559. « Le président Chirac voulait connaître le point de vue du président Moubarak sur les moyens d’appliquer rapidement la résolution 1559 sur le Liban », a indiqué le porte-parole de la présidence égyptienne, Sleimane Awad. « Le président Moubarak a exprimé le souci de l’Égypte d’éteindre la mèche de la crise actuelle afin d’alléger la pression sur la Syrie et de préserver le consensus national libanais », a-t-il ajouté. Par ailleurs, le ministre syrien des AE a également annoncé qu’il se rendrait aujourd’hui en Arabie saoudite pour des entretiens avec le prince héritier Abdallah ben Abdel Aziz. Le ministre Chareh sait déjà que Ryad souhaite obtenir de lui des informations sur l’assassinat de Rafic Hariri – c’est ce qu’a indiqué hier un haut responsable saoudien qui a requis l’anonymat, cité par l’AFP. « Nous ne pouvons pas accuser la Syrie ou les services de sécurité syriens d’avoir orchestré l’assassinat de Hariri parce qu’il n’y a pas de preuves à ce sujet. Mais nous espérons que la Syrie aura des informations sur l’assassinat, étant donné sa présence militaire et sécuritaire au Liban », a déclaré le responsable saoudien. « Nous espérons que lors de ses entretiens (aujourd’hui) à Ryad, le ministre syrien des AE nous présentera les informations dont disposent les autorités de son pays sur l’assassinat de Hariri, car, autant que les Libanais et d’autres, nous voulons connaître la vérité », a-t-il poursuivi. À Ryad également, est arrivé hier un émissaire algérien pour une visite de deux jours axée sur les derniers développements au Liban et sur les préparatifs du sommet arabe prévu les 22 et 23 mars à Alger. L’émissaire algérien, Abdel-Kader ben Saleh, s’était rendu mardi dernier à Damas où il avait rencontré Bachar el-Assad. Enfin, signalons que le Premier ministre syrien, Naji Otri, arrivé hier à Amman pour coprésider une réunion du Haut Comité mixte syro-jordanien, a été reçu par le monarque hachémite, Abdallah II, qui a réaffirmé l’attachement de la Jordanie « à l’unité, la souveraineté et la sécurité du Liban » et souligné « la nécessité d’appliquer toutes les résolutions internationales relatives » au Proche-Orient.

Vingt-neuf ans après son entrée au Liban, treize ans après l’application du volet interne de l’accord de Taëf, et deux semaines après l’assassinat de Rafic Hariri et l’accusation lancée le jour même, de Koraytem, par l’opposition nationale plurielle contre elle et contre les autorités libanaises, la Syrie se retrouve plongée dans l’œil d’un inépuisable cyclone de...