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Actualités - CHRONOLOGIE

Une marée humaine déferle sur Beyrouth et appelle au retrait syrien Place des Martyrs, les Libanais entament un nouveau chapitre de leur histoire (Photo)

La dignité de tout un peuple. Par sa mort, Rafic Hariri a restauré la dignité de tout un peuple qui s’est souvenu comme par miracle que le soulèvement pacifique est seul capable de changer le cours des choses. Et hier, de l’hôtel « Saint-Georges » à la place des Martyrs, les Libanais ont entamé un nouveau chapitre de leur histoire, saisissant leur destin à bras-le-corps, refusant désormais que tous les crimes commis depuis trente ans, au nom de la « fraternité », demeurent impunis. Un soulèvement pacifique qui ouvrira la porte à tous les changements et qui mènera sans aucun doute à une nouvelle indépendance, indestructible celle-là. Car l’indépendance s’acquiert à prix de sang. Et depuis 1977, le sang des Libanais et de leurs leaders n’a été que beaucoup trop versé. D’ailleurs, la foule qui a marché hier de l’hôtel Saint-Georges à la place des Martyrs a scandé, des dizaines et des dizaines de fois, que c’est la Syrie qui a assassiné Kamal Joumblatt, Béchir Gemayel, Hassan Khaled, René Moawad, et Rafic Hariri, qui a exilé Michel Aoun et qui a emprisonné Samir Geagea. Plus de cent cinquante mille Libanais ont répondu « oui » à l’appel de l’opposition, qui avait invité à commémorer, par un sit-in pacifique sur les lieux de l’attentat, la semaine marquant l’assassinat de l’ancien chef de gouvernement, Rafic Hariri. Et cette invitation au sit-in a mobilisé une foule immense. Une marée humaine qui a déferlé sur Beyrouth pour affronter et relever tous les défis : franchir les barrages de l’armée et de la police qui avaient quadrillé Beyrouth et sa banlieue, faire face à d’éventuelles répressions, comme c’était le cas lors d’autres manifestations, et être au-dessus de toutes les dissensions. Dès 11 heures, les manifestants ont commencé à affluer au secteur des grands hôtels, franchissant à pied les cordons de sécurité installés par l’armée, alors que d’autres patientaient encore dans leurs voitures, notamment aux barrages de l’armée installés à Damour, Choueifate, Hazmieh, Dora et Nahr el-Kalb. Il y avait certes des étudiants à la base de cette gigantesque manifestation, mais aussi des familles entières, des couples, des intellectuels, des cadres, voire une délégation de médecins et du corps infirmier de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu, venus habillés de leurs blouses blanches. La manifestation a regroupé aussi des personnes qui n’étaient jamais descendues dans la rue, et d’autres qui n’avaient pas pris part à de tels rassemblements depuis le début de la guerre du Liban. Tel Wassim venu avec son épouse et ses enfants et racontant à qui veut l’entendre : « J’ai déjà 50 ans et je ne suis pas descendu dans la rue depuis que j’avais 20 ans. » Il y avait aussi des ressortissants français, venus soutenir le Liban. Danielle, la cinquantaine, explique qu’elle habite Beyrouth depuis 30 ans, qu’elle y a vécu toute la guerre. « J’étais ici quand Béchir Gemayel a été assassiné... Je veux soutenir les Libanais et crier au monde entier “ça suffit” », dit-elle, brandissant les drapeaux du Liban et de la France. Midi 55, la foule retient son souffle Les femmes de députés de l’opposition sont également présentes, notamment Nora Walid Joumblatt, pour distribuer des roses blanches et rouges – aux couleurs de ce soulèvement libanais – à l’armée et à la police qui ont quadrillé le secteur. Peu avant midi, plusieurs députés et responsables de l’opposition arrivent sur les lieux de l’attentat. Parmi eux, Pierre Gemayel qui indique que le « peuple libanais aspire à vivre dignement ». Le PDG d’an-Nahar, Gebrane Tuéni, souligne que « cette manifestation constitue une réponse à tous ceux qui prétendent que l’opposition est divisée ». Le chef du PNL, Dory Chamoun, relève que ce rassemblement reflète l’unité du Liban. Massoud Achkar, candidat aux législatives, relève que « tous les Libanais appellent au retrait des troupes syriennes ». Solange Béchir Gemayel est aussi présente sur les lieux de l’attentat. Vers midi trente, le secteur des hôtels est noir de monde. Les étudiants venus à titre personnel ou par groupes à partir de toutes les universités du pays, et appartenant notamment au Courant du futur (Hariri), au PSP, aux courants de gauche, au CPL, aux FL, au PNL, brandissent des pancartes sur lesquelles ils ont inscrit : « La Syrie dehors », « 05 (2005) pour l’indépendance – Tous pour le Liban », « De Kamal Jomblatt à Rafic Hariri, un seul assassin de la liberté », « Nos martyrs ne meurent jamais », ou encore « 1559 ». Pour rallier tous les manifestants de l’opposition, les organisateurs de divers mouvements estudiantins ont opté pour des chansons patriotiques, plus ou moins neutres, plutôt gauchisantes ou datant des premières années de la guerre. Le drapeau libanais et le foulard rouge et blanc, couleurs adoptés vendredi dernier par l’opposition pour marquer ce soulèvement pacifique, ont certes fédéré les manifestants. Mais il y avait aussi côte à côte les étendards du PSP, des FL, du PNL, des Kataëb, même des Hourrass el-Arz (« Gardiens du Cèdre »), ainsi que les drapeaux du Liban frappés du sigle aouniste, ou encore d’une croix et d’un croissant entourant le cèdre. La foule agite les portraits de Kamal Joumblatt, Rafic Hariri, Béchir Gemayel, Samir Geagea, Dany Chamoun, et Michel Aoun, scandant les pires slogans contre la Syrie et le pouvoir. À midi 55, heure à laquelle Rafic Hariri a été assassiné, à l’appel des organisateurs, et après un compte à rebours, l’immense foule retient son souffle. Elle observe une minute de silence à la mémoire du Premier ministre assassiné. Une minute de silence qui se termine par un tonnerre d’applaudissements et l’hymne national entonné à pleins poumons. Puis c’est la marche vers la place des Martyrs. Des drapeaux de tous les partis de l’opposition flottent au-dessus de la foule qui scande « Liberté, souveraineté et indépendance », « L’occupant dehors », « La Syrie est criminelle » ou encore « Nous voulons dire la vérité, nous ne voulons pas de la Syrie ». À l’un des organisateurs, muni d’un haut-parleur, qui demande qui a assassiné Kamal Joumblatt, Sélim Lawzi, Béchir Gemayel, Hassan Khaled, Dany Chamoun, René Moawad et Rafic Hariri, les manifestants répondent : « La Syrie ». Manifester pour la dignité de l’armée Le cortège grossit au fur et à mesure qu’il avance vers la place des Martyrs. Les manifestants rassemblés au secteur des hôtels sont rejoints par d’immenses groupes venus d’Achrafieh ou encore par des employés et des cadres dont les bureaux se trouvent au centre-ville. Non loin du ring, un groupe brandissant des balais, clin d’œil à la déclaration de Walid Joumblatt (qui avait assuré qu’un jour la saleté sera balayée hors du pays) se joint à la marche. À proximité du Sérail, où l’armée et la police se sont massées, les manifestants lancent : « Nous ne voulons qu’une seule armée au Liban, l’armée libanaise », ou encore « Nous manifestons pour votre dignité, pour le cèdre que vous arborez ». Arrivés au niveau de la Maison des Nations unies, un groupe de jeunes remet à la secrétaire exécutive de l’Escwa, Mirvat Tellawi, un message adressé au secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, l’appelant « à former un comité international d’enquête sur l’attentat et à agir au plus vite pour le Liban ». Alors que les premiers manifestants arrivent place des Martyrs, d’autres se trouvent toujours à proximité de l’hôtel Saint-Georges. En attendant l’arrivée du cortège, des filles voilées et des garçons arborant la croix portent un immense drapeau où sont épinglés des portraits de Rafic Hariri, Kamal Joumblatt, Béchir Gemayel, René Moawad, Michel Aoun et Samir Geagea. Les jeunes scandent « De Beyrouth à la montagne, nous ne voulons plus des Syriens », ou encore « Musulmans et chrétiens contre la présence syrienne ». Un peu loin de la cohue, des pères de familles portent sur les épaules leurs enfants. Les petits arborent en bandanas, pour se protéger du soleil, les brassards rouge et blanc de l’opposition. Il est presque 14 heures, la place des Martyrs est noire de monde. À la tribune, des députés et des responsables de l’opposition. On distingue notamment Nayla Moawad, Marwan Hamadé, Ghazi Aridi, Akram Chéhayeb, Farès Souhaid, Pierre Gemayel, Boutros Harb, Waël Abou Faour, Élie Karamé, Carlos Eddé, Nadim Gemayel et Gebrane Tuéni. La foule agite ses drapeaux, scande ses slogans, chante ses chansons partisanes, entonne l’hymne national. Abou Faour et Tuéni prennent la parole. Devant un microphone portant le sigle de la MTV, Ghazi Aridi donne lecture du message du chef du PSP, Walid Joumblatt : « Ce pouvoir est en faillite, il est sous tutelle, et il a bafoué la Constitution », dit-il. Rendant hommage à Rafic Hariri, il indique « Abou Bahaa, ton cercueil, porté à bout de bras, est ton trône », et s’adressant indirectement aux dirigeants, il déclare : « Leur trône est leur cercueil », soulignant en conclusion que tous les Libanais se sont réunis pour réclamer un Liban libre et souverain. À la fin de la manifestation, les organisateurs rappellent que les sit-in se poursuivront tous les soirs à partir de 18 heures place des Martyrs, jusqu’à ce que le Liban recouvre sa souveraineté. Fin de la manifestation. La statue des Martyrs, qui avait arboré les banderoles de tous les courants de l’opposition lors du rassemblement, porte – à côté de la flamme de la liberté – plusieurs drapeaux du Liban. Probablement depuis leur première installation au centre-ville, bien avant la guerre, les éléments de la statue n’ont jamais paru aussi grands. Hier, dominant la mer, la montagne et la foule, les quatre géants de bronze avaient l’air fier pour une fois d’appartenir à un peuple qui a payé un trop lourd tribut, mais qui a décidé – après des années de déchirement – d’unifier le sang de ses martyrs. Patricia KHODER
La dignité de tout un peuple. Par sa mort, Rafic Hariri a restauré la dignité de tout un peuple qui s’est souvenu comme par miracle que le soulèvement pacifique est seul capable de changer le cours des choses. Et hier, de l’hôtel « Saint-Georges » à la place des Martyrs, les Libanais ont entamé un nouveau chapitre de leur histoire, saisissant leur destin à bras-le-corps, refusant...