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Actualités - OPINION

Les gardiens du trésor

Rafic Hariri est aujourd’hui plus qu’un grand homme : un héros. Son assassinat a été un extraordinaire révélateur. Dans cette mort atroce qui lui fut donnée, il a pris sa stature définitive. Voici que le sang de cet homme cimente l’unité des Libanais. Aujourd’hui, nous gardons tous la tombe de Rafic Hariri. Mais la tombe est vide. Sous terre ne reposent que des restes mortels. Rafic Hariri est ailleurs. Pour ceux qui croient, il vit « en esprit et en vérité », auprès de son Créateur. Mais il vit surtout dans l’esprit de ceux qu’il a laissés en pleine bataille pour l’indépendance du Liban. Et ce que nous gardons en réalité, ce n’est pas sa tombe, mais ses valeurs. C’est pourquoi il est utile, à l’heure où nous cueillons les fruits de ce que Rafic Hariri a fait pour le Liban et que nous revivons les exaltantes heures de 1943, d’évoquer aussi ce que le Liban a fait pour Rafic Hariri. Toutes les communautés doivent aller aujourd’hui plus loin que les contingences politiques pour reconnaître et saluer ce qu’elles doivent à l’idée du Liban, cette patrie dont l’identité a, selon les termes si justes de Jean-Paul II, « des racines religieuses ». Ils doivent saluer ce qu’ils doivent à l’idée du Liban, patrie définitive pour leur personne et leurs enfants, mais surtout pour les valeurs qu’ils incarnent. N’est-il pas remarquable que l’aspiration à l’indépendance se manifeste aujourd’hui par des actes de piété à l’égard des défunts ? Par cet aspect également, ce sont les racines religieuses de l’identité libanaise qui se manifestent et, au-delà même des dogmes religieux, la réaffirmation de la primauté du spirituel qui est à la base même de l’identité nationale. L’aspiration à l’indépendance ne doit pas déchoir de cette hauteur où la mort de Rafic Hariri l’a placée. Sélim Hoss a plaidé pour une « troisième voie » ? Mais la voilà, cette « troisième voie », cette voie inespérée, qui s’incarne sous nos yeux, comme jamais Sélim Hoss n’aurait osé en rêver. C’est l’intuition initiale du Liban qui s’incarne, une fois de plus, avec une force inégalée : des communautés soudées par la sensibilité qu’elles ont acquise aux causes les unes des autres. Mais la troisième voie, la voie de la raison, ne saurait être ni celle du compromis ni celle de l’abdication. La troisième voie est celle qui emprunte aux deux autres leurs vérités, non leurs mensonges. Et la protestation de fidélité de Walid Joumblatt à l’esprit des relations d’amitié entre le Liban et la Syrie est là pour le prouver. Il est exceptionnel en effet que la volonté d’indépendance se manifeste, malgré des accidents inévitables de xénophobie, par la haine d’un despotisme, mais sans trace de la moindre inimitié au peuple qui en est autant victime que nous. En ce sens, notre lutte pour l’indépendance est aussi une lutte pour la dignité du peuple syrien. De quelle « troisième voie » plus belle pourrait-on rêver ? Dans le cortège de la nouvelle indépendance, on n’attendait plus que la communauté chiite, et rien n’était plus navrant que de voir le Hezbollah siéger avec les marchands de Aïn el-Tiné. Or voici qu’après avoir réveillé la rue sunnite, la mort de Rafic Hariri semble avoir réveillé la conscience de sayyed Hassan Nasrallah. Le secrétaire général du Hezbollah a rendu hommage, dans sa harangue de l’Achoura, à Walid Joumblatt, celui que le Baas et le Premier ministre ont accusé de traîtrise et de félonie. Ainsi, n’est plus traître celui qui réclame le retrait de l’armée syrienne du Liban. C’est immense. Et c’est un début. Car le Hezbollah doit, comme les autres, garder à l’esprit non seulement ce qu’il a fait pour le Liban, mais ce qu’il doit au Liban et bien réfléchir avant de troquer ce modèle de société pour un autre. Le parti de Dieu doit reconnaître que nulle part au monde il n’aurait pu se nourrir de la sève de la liberté avec autant de libéralité, ni participer au dialogue si fécond des civilisations où chacun trouve dans l’autre l’écho de ce qu’il a de plus unique ou de plus profond. Où donc trouverait-on, en effet, une meilleure correspondance aux principes de loyauté, de rédemption et de sacrifice, si noblement mis en valeur au cours de l’Achoura, sinon dans la Passion du Christ ? Et où la folle générosité dont pouvait faire preuve Rafic Hariri pourrait-elle, mieux qu’au Liban, revêtir les couleurs de la piété ? Ce n’est, ni pour la puissance, ni pour l’argent, ni pour la reconstruction que Rafic Hariri est mort, mais pour le Liban. Et c’est de ce trésor que sa mort, une fois de plus, nous fait les gardiens. Fady NOUN
Rafic Hariri est aujourd’hui plus qu’un grand homme : un héros. Son assassinat a été un extraordinaire révélateur. Dans cette mort atroce qui lui fut donnée, il a pris sa stature définitive. Voici que le sang de cet homme cimente l’unité des Libanais.
Aujourd’hui, nous gardons tous la tombe de Rafic Hariri. Mais la tombe est vide. Sous terre ne reposent que des restes mortels....