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Actualités - CHRONOLOGIE

Le Conseil constitutionnel n’a pas lu Sartre

Dans une démocratie tout scrutin doit être secret. Tout vote public équivaut à l’absence de vote, et toute élection qui se fait sans le respect du secret du vote n’en est pas une. Le secret du vote est assuré par un seul mécanisme : l’isoloir. Pourquoi l’isoloir? La liberté de l’électeur, condition nécessaire pour assurer l’alternance au pouvoir, doit être assurée contre le pouvoir en place au moment de l’élection. Le pouvoir a intérêt à se maintenir par la reconduction de son mandat. Il va donc exercer des pressions sur les électeurs pour qu’ils votent dans le sens qu’il souhaite. Ces pressions vont de l’intimidation de l’électeur aux menaces de nuire à la sécurité de son emploi, à ses intérêts à jouir sur un pied d’égalité des subventions et des services publics étatiques. L’isoloir permet à l’électeur de se libérer des pressions, par le mensonge. Jean-Paul Sartre écrit: «L’isoloir, planté dans une salle d’école ou de mairie, est le symbole de toutes les trahisons que l’individu peut commettre envers les groupes dont il fait partie. Il dit à chacun: “personne ne te voit, tu ne dépends que de toi-même; tu vas décider dans l’isolement et, par la suite, tu pourras cacher ta décision ou mentir”. Il n’en faut pas plus pour transformer tous les électeurs qui entrent dans la salle en traîtres en puissance les uns pour les autres.» C’est une des rares institutions où le mensonge est un mécanisme opérationnel pour assurer la liberté. L’électeur pourra ainsi voter comme il l’entend et déclarer publiquement qu’il a voté en sens contraire afin d’éviter les représailles des pouvoirs en place ou des groupes de pression. Ce principe élémentaire de démocratie n’est plus à démontrer. Depuis un siècle, les manuels contemporains de droit constitutionnel ne prennent même plus la peine de s’étendre sur ce sujet. La loi électorale libanaise du 26 avril 1960 a consacré le scrutin secret dans ses articles 5-47-49-50. Cependant, le Conseil constitutionnel libanais n’est pas de cet avis. En effet, dans sa décision du 17-3-97 qu’il a rendue sur le recours présenté par feu le Dr Albert Moukheiber, candidat malheureux aux élections du Metn, rendant à l’annulation de l’élection du député Raji Abou Haïdar qui s’était faite au vote public sans isoloir, il décrète ce qui suit: «Attendu qu’il peut plaire à une patrie des électeurs ou à l’un d’eux de ne pas cacher son amour pour un des candidats, son vote n’est entaché d’aucun vice s’il déclare son amour en recourant au vote public.» Cet attendu est stupéfiant. Il montre un attachement du Conseil constitutionnel aux déclarations sentimentales des électeurs en oubliant de s’assurer de leur sincérité. Alors que la philosophie même de l’isoloir est de permettre à l’électeur d’être hypocrite et de ne dévoiler ses vrais sentiments que sous le sceau de l’anonymat. La liberté de l’électeur de mentir au candidat qu’il craint est supprimée. Ainsi le candidat tout-puissant peut sanctionner chaque électeur qui entre dans l’isoloir en le soupçonnant de voter contre lui. Cette décision du Conseil constitutionnel a choqué le législateur. C’est ainsi qu’il a tenu à réaffirmer le principe du secret du vote dans la loi n° 171 du 6/1/2000 et spécialement dans les articles 5 et 47. Cependant, la réaffirmation du principe du secret du vote n’est pas de nature à empêcher le Conseil constitutionnel de maintenir sa jurisprudence de 1997. Mais la conséquence pratique est que nonobstant le texte de la loi et les principes fondamentaux de la démocratie, le vote au Liban est pratiquement public car l’organe chargé de sanctionner le secret du scrutin considère le recours scrutin secret facultatif. Cet état du droit depuis 1997 va avoir de lourdes conséquences politiques car il est de nature d’une part à réduire substantiellement les chances de l’opposition d’accéder au pouvoir et d’autre part de rendre les élections au Liban non conformes aux critères internationaux et ébranler ainsi la légitimité du pouvoir issu des élections successives. Une intervention législative s’impose pour inverser la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment en spécifiant explicitement que tout vote en dehors de l’isoloir est nul et en obligeant les chefs des bureaux électoraux à mentionner sur les procès-verbaux le nombre d’électeurs qui ont recouru au vote public. Akram AZOURY
Dans une démocratie tout scrutin doit être secret. Tout vote public équivaut à l’absence de vote, et toute élection qui se fait sans le respect du secret du vote n’en est pas une. Le secret du vote est assuré par un seul mécanisme : l’isoloir.
Pourquoi l’isoloir?
La liberté de l’électeur, condition nécessaire pour assurer l’alternance au pouvoir, doit être assurée contre...