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Actualités - REPORTAGE

CORRESPONDANCE - Créés au VIe siècle, dissimulés au XIIe et retrouvés au XXe Les bouddhas de Jingzhou à Washington

WASHINGTON-Irène MOSALLI À l’aide de son bulldozer, un ouvrier chinois était en train de niveler le terrain de jeu de l’école primaire de la petite ville de Jingzhou (province de Chan Tang) lorsqu’il a vu émerger de la terre une tête sculptée, puis une autre, puis une autre. Cela se passait en 1996. Il donne aussitôt l’alerte. Les curieux arrivent et, parmi eux, les conservateurs du Musée municipal qui prennent de suite la situation en main. Suivent des fouilles en bonne et due forme. Cela aboutit à l’une des plus importantes découvertes archéologiques du XXe siècle, dont la reproduction grandeur nature de l’armée du premier empereur de Chine. Plus de 800 soldats, réalisés en «terracotta» et enterrés il y a 22 siècles auprès du mausolée de l’empereur, avaient été retrouvés en 1974. Le trésor mis au jour à Jinghzou consiste en un lot de statues de Bouddha et autres objets exécutés au VIe siècle. Ces œuvres sont marquées par les styles des pays voisins. Le site où elles ont été trouvées était un point de passage des voyageurs qui se rendaient en Inde, en Asie centrale ou dans d’autres régions de la Chine. Aériens, élancés et sereins Une quarantaine de ces spécimens sont actuellement exposés à la Sackler Gallery à Washington sous le titre «Le retour des bouddhas: la découverte de Jingzhou». Les experts qui ont restauré et étudié ces œuvres d’art ont appris qu’elles avaient été sciemment et soigneusement mises en terre au XIIe siècle, probablement pour les préserver des vagues de persécution des bouddhistes. Aujourd’hui donc, ces bouddhas ont retrouvé leur splendeur et leur aura, d’autant qu’ils n’ont pas été trop endommagés. On a affaire là à des sculptures travaillées avec infiniment de finesse et de délicatesse. Contrairement à l’image des bouddhas bien en chair et assis en tailleur, ceux-là sont élancés, presque aériens, comme détachés des choses de ce monde, irradiant la spiritualité, le calme et la sagesse. Leurs yeux sont mi-clos, leurs pensées lointaines. Créés entre 534 et 577, ils témoignent de l’art des sculptures peintes et décorées de la Chine ancienne. Les bouddhas et les bodhisattva (les apprentis qui ont atteint le degré permettant d’accéder à l’état suprême de l’illumination, ou «bodhi») déclinent une étonnante palette de couleurs. Leurs tonalités actuelles (un mélange de marron, de jaune, d’orange) révèlent que leur visage et leur corps étaient traités à la feuille d’or et leurs cheveux bleutés, comme le veut la tradition, car c’était là un signe de leur statut. Ils arborent également des vêtements verts et rouges, savamment drapés. Souvent, ces statues se détachent sur un fond de forme ovale (mandorla) richement décoré, avec des flammes ou de rayons lumineux que dégage le Bouddha, ou de dragons qui n’ont rien d’aggressif, comme pour ne pas perturber la quiétude des personnages. Ces bouddhas qui dégagent une profonde sérénité, une intense spiritualité sont la quintessence même des sculptures de Jingzhou. Ils symbolisent des énergies surnaturelles, capables de transcender les souffrances d’ici-bas. Et pourtant, ils ont été façonnés durant une époque marquée par des dynasties qui s’entre-déchiraient et qui faisaient long feu, l’une renversant rapidement l’autre. «Le retour des bouddhas» cultive une esthétique pacifiste, éclairée et rassurante par temps tumultueux et sanglants.
WASHINGTON-Irène MOSALLI

À l’aide de son bulldozer, un ouvrier chinois était en train de niveler le terrain de jeu de l’école primaire de la petite ville de Jingzhou (province de Chan Tang) lorsqu’il a vu émerger de la terre une tête sculptée, puis une autre, puis une autre. Cela se passait en 1996.
Il donne aussitôt l’alerte. Les curieux arrivent et, parmi eux, les...