Rechercher
Rechercher

Actualités

DILAPIDATION DE FONDS - Formation d’une commission parlementaire d’enquête dans l’affaire Barsoumian La Chambre innocente Siniora

Fouad Siniora n’est pas coupable de dilapidation de fonds publics. Chahé Barsoumian fera l’objet d’une enquête, qui sera menée par une commission parlementaire dirigée par le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, et composée des députés Mohammed Safadi et Yassine Jaber. Le verdict est tombé hier, place de l’Étoile, où la Chambre avait à examiner, pour la première fois dans son histoire, deux dossiers judiciaires susceptibles de conduire deux ministres devant la Haute Cour.

Si la séance s’est tenue à huis clos – même les fonctionnaires n’y ont pas assisté –, cela n’a pas empêché les parlementaires de faire part à la presse, au fur et à mesure qu’ils sortaient de l’hémicycle, de l’évolution des débats qui ont duré près de cinq heures.
Pour commencer, zoom sur les présents : 75 députés sur un total de 128 ont assisté à la séance, et si aucun d’eux n’a levé la main au moment du vote pour la formation d’une commission d’enquête dans l’affaire Siniora, 70 se sont prononcés en faveur de la formation d’une commission ad hoc dans l’affaire Barsoumian. Le gouvernement était représenté par son chef, Rafic Hariri, qui avait annulé son voyage à Barcelone pour soutenir son ministre des Finances, ainsi que par les seuls ministres-députés, conformément à la loi relative à la procédure de mise en accusation devant la Haute Cour chargée de juger les ministres et les députés.
Il était inévitable que la séance commence par un débat juridique s’articulant autour des dispositions de cette loi dont nombre de députés ont relevé les failles au cours des semaines dernières, mais aussi autour des articles 60, 70 et 80 de la Constitution, relatifs à la Haute Cour. Il était aussi tout à fait normal que les députés répercutent les questions posées dans les milieux politiques et populaires au sujet de ces affaires.
D’emblée, M. Boutros Harb relève que de nombreuses affaires en rapport avec des dossiers de corruption restent en suspens. « Pourquoi le Parlement a-t-il choisi ces deux-là seulement ? » s’interroge-t-il, en soulignant qu’il est injuste d’établir une distinction entre les ministres, les députés et la population, sous prétexte que les uns bénéficient d’une immunité et les autres pas, quand il s’agit d’une affaire de droit commun.
Outre M. Harb, le vice-président de la Chambre Élie Ferzli et les députés Hussein Husseini, Omar Karamé, Nicolas Fattouche, Mikhaël Daher, Robert Ghanem et Mohsen Dalloul ont soulevé une série de remarques portant tant sur la forme que sur le fond de la loi contestée qu’il est question d’amender en tout cas.
Grosso modo, les parlementaires jugent que la procédure de mise en accusation des ministres et des présidents doit être clarifiée et rendue dans le même temps moins complexe. Le mécanisme actuel rend difficile de juger un homme d’État devant la Haute Cour, puisqu’il exige avant la formation d’une commission d’enquête, pour ne citer que cet exemple, que la majorité absolue de la Chambre donne son feu vert (65 députés), puis que les deux tiers du Parlement (86 députés), votent de nouveau pour qu’un ministre ou un président soit déféré devant la Haute Cour. Si les points de vue divergeaient autour de la nouvelle formule à adopter et se fondaient, par moments, sur l’expérience française dans le domaine, ils convergeaient sur un même principe : la Haute Cour doit être maintenue.
Les députés estiment aussi que les articles constitutionnels relatifs à la saisine quand il s’agit d’un ministre ou d’un chef d’État doivent aussi être clarifiés et cesser de constituer une jurisprudence. Le texte de l’article 70 de la Loi fondamentale, stipulant que la Chambre des députés est « en mesure » de mettre en accusation pour haute trahison ou pour manquement grave aux devoirs de leur charge le président du Conseil et les ministres, ouvre la porte aux jurisprudences, puisqu’il implique la notion de choix, mais les députés étaient d’accord pour souligner que c’est la Chambre qui s’autosaisit de toute affaire et que le parquet ne peut pas lui imposer d’enquêter sur un dossier déterminé.
Entre-temps, de nombreuses questions sont posées : Pourquoi le parquet a-t-il tant tardé à envoyer les dossiers ? Pourquoi faut-il qu’un ministre, en l’occurrence Ali Abdallah, soit jugé devant les tribunaux ordinaires, alors qu’un autre risque de l’être devant la Haute Cour ? Pourquoi la Chambre a-t-elle attendu que le parquet lui envoie les dossiers pour réagir au lieu de s’en saisir à partir du moment où la Cour de cassation, toutes chambres réunies, avait estimé que les tribunaux ordinaires n’étaient pas compétents pour juger MM. Siniora et Barsoumian ?
M. Husseini prend soin de préciser dans son intervention, que les deux pétitions en rapport avec les affaires Siniora et Barsoumian ne doivent pas être considérées comme des demandes de mise en accusation, mais des demandes d’élaboration de dossiers, afin que chacune des deux affaires puisse être tirée au clair.
M. Ferzli rappelle, à son tour, que depuis 1998, des bruits circulent sur la corruption dans le pays. Quand la Haute Cour a été jugée compétente pour examiner les deux affaires de dilapidation de fonds publics, dans lesquelles MM. Siniora et Barsoumian sont soupçonnés, indique-t-il en substance, on n’a pas arrêté de dire que si le Parlement ne met pas en branle la procédure prévue par la loi, c’est parce que des voleurs veulent couvrir d’autres malfaiteurs et que, s’il le fait, il risque d’être confronté à de sérieux problèmes. On dirait que certains ne veulent pas que la Chambre entreprenne une action positive, estime-t-il, faisant état de campagnes de dénigrement visant l’Assemblée.
Il relève également que la commission d’enquête est habilitée, conformément à la loi, à enquêter au sujet de tout dossier lié à l’affaire dont elle est saisie, avant que M. Fattouche ne se lance dans une diatribe contre la justice, à qui il reproche de vouloir porter un coup à la classe politique. Le député de Zahlé insiste sur le fait que si des magistrats ont enfreint la loi, ils doivent, dit-il en français, être « sévèrement châtiés ».

Pas de risque de déni
de justice
M. Mikhaël Daher axe son intervention sur des points juridiques. Il répond en quelque sorte aux questions posées par les députés au sujet de la procédure et de la loi, soulignant que la Chambre a parfaitement le droit de se saisir d’une affaire déterminée, six ans après qu’elle se soit produite et qu’il appartient à la Haute Cour de se prononcer au sujet de la prescription.
Il explique certaines nuances juridiques, précisant que la Cour de cassation avait vu que les faits reprochés à MM. Siniora et Barsoumian constituent un manquement aux devoirs de la charge, dans la mesure où ils ont entraîné une dilapidation des fonds publics, alors que dans l’affaire de Ali Abdallah, il y a eu un abus de pouvoir, ce qui explique son jugement devant les tribunaux ordinaires.
Les députés semblent également redouter un déni de justice au cas où la Haute Cour se déclarerait, elle aussi, incompétente dans une affaire déterminée, mais MM. Daher et Ghanem devaient affirmer qu’un tel cas de figure n’est pas à envisager car cette instance a des compétences totales.
MM. Dalloul et Karamé défendent le ministre des Finances, rappelant qu’il s’était opposé au paiement de la dette contractée par la Fédération des municipalités du Metn dans les années 80 pour la construction d’une usine de compostage, qui n’avait jamais vu le jour. « Nous vivons dans un climat où prévalent la corruption, les corrupteurs et les corrompus », fait remarquer M. Karamé, estimant que le ministre des Finances est à 100 % innocent, mais qu’il est nécessaire d’obtenir de plus amples informations sur l’affaire Barsoumian.
Dernier à prendre la parole, M. Berry se dit favorable à un amendement de la loi relative à la procédure de jugement devant la Haute Cour, affirmant qu’il compte également convoquer une réunion qui sera consacrée à l’examen des articles 60 et 70 de la Constitution sur le jugement des présidents et des ministres.

Siniora blanchi
La procédure judiciaire commence. Nasser Kandil assume le rôle du procureur, mais il ne fait en réalité que rappeler les charges retenues contre M. Siniora : avoir signé avec l’Italie, en 1997, un accord qui avait engagé la responsabilité financière de l’État et entraîné la dilapidation de fonds publics. Cet accord portait sur le remboursement d’une dette contractée à la fin des années 90 par la Fédération des municipalités du Metn auprès d’une société italienne pour la construction, à Bourj-Hammoud, d’une usine de compostage, qui n’a jamais vu le jour.
Son discours porte sur des généralités : la pétition n’est pas nécessairement signée pour condamner quelqu’un, mais pour prouver son innocence aussi, dit-il, en allusion à M. Siniora, mettant l’accent sur l’importance de cette réunion dans la mesure où elle peut initier une nouvelle tendance dans la gestion des affaires publiques et le contrôle de l’action de l’Exécutif.
L’avocat de M. Siniora, Sélim Osmane, considère que le discours de M. Kandil lui facilite la mission. Il rappelle seulement les faits et souligne qu’ils sont d’ailleurs consignés dans les procès-verbaux des réunions gouvernementales et parlementaires, durant lesquels il a été décidé de rembourser la dette due à l’Italie et qu’il n’est donc nul besoin de former une commission d’enquête. Il ne prêchait que des convertis : au moment du vote, aucune main ne s’est levée. Le dossier est clos pour de bon. M. Siniora et ses deux avocats ne sont pas autorisés à assister au vote. Sortant du Parlement, le ministre des Finances a du mal à cacher sa joie. « Justice vient d’être faite » : telle est l’essence du discours qu’il prononce devant la presse.

Affaire Barsoumian :
des « éléments suspects »
et « des vérités déformées »
Dans l’hémicycle, on s’attaque déjà à l’affaire Barsoumian, en présence de ce dernier et de son avocat, Akram Azouri. C’est M. Sélim Saadé qui assume le rôle de procureur. D’emblée, il explique qu’il ne s’agit pas de mettre en accusation l’ancien ministre du Pétrole, mais constate, en revanche, que son dossier contient des éléments qui éveillent les soupçons, notamment au sujet de la dilapidation de fonds publics en raison des contrats de gré à gré qu’il avait conclus. Ce qui suscite les doutes, c’est une explication du ministre, dit-il en substance, selon laquelle il aurait importé du fuel en fonction de contrats conclus de gré à gré pour l’importation de ce produit, parce qu’un prix « idéal » lui avait été proposé. Comment est-il possible de définir le prix « idéal » en l’absence d’une concurrence découlant d’une adjudication ? s’interroge le député-procureur, en rappelant que tous ces prix avaient été proposés par un même importateur de pétrole, M. Nagi Azar, avec qui l’ancien ministère avait, semble-t-il, conclu la majorité de ses contrats.
M. Saadé pose ensuite les questions suivantes, avant de demander aux parlementaires de voter pour la formation d’une commission d’enquête : Pourquoi, contrairement à Ali Abdallah, Chahé Barsoumian a été déféré devant la Haute Cour ? Est-ce parce que son dossier contient des ramifications et que la justice ordinaire n’ose pas s’en saisir ? Faut-il que ce soit le Parlement qui entreprenne l’opération de déminage, s’il constate que le dossier se subdivise en plusieurs autres ?
C’est au tour de Me Azouri de défendre son client : selon lui, M. Barsoumian a été condamné et jugé par la presse et son dossier contient quatre éléments déformés.
La première déformation, dit-il, concerne l’application de la loi. On reproche à M. Barsoumian d’avoir conclu des contrats de gré à gré, alors que la loi autorise le ministère du Pétrole à acheter et à vendre ce produit comme n’importe quel commerçant, plaide l’avocat, soulignant que les prédécesseurs et les successeurs de son client ont appliqué la même loi, en ayant recours aux contrats de gré à gré.
La deuxième déformation concerne le résultat des activités de M. Barsoumian, poursuit l’avocat, précisant que son client a permis à l’État de gagner 50 millions de dollars, grâce aux activités de son département. Il a accusé les détracteurs de l’ancien ministre d’avoir fixé un prix fictif du pétrole pour accuser son client de dilapidation de fonds publics en comparant ce chiffre à ceux des prix de la vente et de l’achat de carburant par M. Barsoumian.
La troisième déformation de vérité, ajoute l’avocat, se rapporte à l’entrée de cargos chargés de fuel non conformes aux normes internationales au port de Beyrouth, autorisée par son client. Selon lui, ce n’est pas le ministère du Pétrole qui demande que des amendes soient infligées à ces cargos, mais l’EDL.
La quatrième se rapporte à la vente de pétrole brut de la raffinerie de Zahrani sous le label de résidus pétroliers. M. Azouri explique qu’il n’y a pas de pétrole brut à Zahrani. Selon ses explications aussi, il n’est pas à exclure que les importateurs de carburant soient derrière les accusations portées contre M. Barsoumian, dans la mesure où ils auraient voulu se venger de son client qui leur avait repris le secteur du pétrole pour le confier à l’État.
Et si M. Barsoumian s’est contenté de traiter avec cinq compagnies, appartenant toutes à Nagi Azar, c’est parce que M. Siniora, poursuit l’avocat, avait refusé de lui avancer des crédits, affirmant que le ministère du Pétrole devait s’autofinancer. Il n’avait d’autre choix, a encore dit l’avocat, que de traiter avec les seules entreprises qui lui vendaient le fuel à bon prix et acceptaient d’être remboursées 45 jours plus tard, sans intérêts.
L’avocat achève son plaidoyer et sort avec M. Barsoumian pour que la Chambre puisse voter : 70 bras se lèvent sur un total de 75. Les députés hostiles à la formation d’une commission d’enquête sont donc au nombre de cinq : MM. Mikhaël Daher, Nicolas Fattouche (membres de la Haute Cour), Farès Boueiz, Mohsen Dalloul et César Moawad.
Les membres de la commission sont ensuite élus par 66 voix. Dans l’urne qu’on fait passer dans les rangs des députés, on retrouve 9 bulletins blancs.
La commission est formée de MM. Ferzli, Safadi et Jaber et de MM. Georges Kassarji, Sami el-Khatib et Nazem el-Khoury, comme membres suppléants.
Si pour le ministre des Finances une page vient d’être tournée, pour M. Barsoumian, le plus dur vient peut-être de commencer.
Tilda ABOU RIZK
Fouad Siniora n’est pas coupable de dilapidation de fonds publics. Chahé Barsoumian fera l’objet d’une enquête, qui sera menée par une commission parlementaire dirigée par le vice-président de la Chambre, Élie Ferzli, et composée des députés Mohammed Safadi et Yassine Jaber. Le verdict est tombé hier, place de l’Étoile, où la Chambre avait à examiner, pour la...