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Un discours présidentiel de choc, qu’on espère salutaire

Le message à la nation du président Émile Lahoud, à l’occasion de l’Indépendance, n’est peut-être pas un discours d’investiture bis. Mais il a indéniablement frappé les esprits, par sa franche dénonciation d’une crise causée essentiellement par les convulsions internes du pouvoir. Plus exactement, par les relations tendues (doux euphémisme) qui règnent au plus haut niveau dirigeant, ainsi qu’entre les ministres.
Encore une fois, le parallèle s’impose entre l’actuel chef de l’État et le premier président-général, Fouad Chéhab. Pour beaucoup, en effet, le cri de conscience lancé par le président Lahoud n’est pas loin de s’apparenter à la fameuse proclamation désabusée de renonciation (à un second mandat) de son illustre prédécesseur, dans les années soixante. Le général Chéhab était suivi, admiré, adulé même par une large frange de Libanais. Cela ne lui avait pas tourné la tête. Et c’est avec beaucoup de lucidité qu’il avait expliqué pourquoi il baissait les bras : impossibilité objective de lutter contre les multiples mécanismes levantins traditionnels, englobant, selon une expression qui lui était familière, une bonne part de fromagisme. C’est-à-dire, tout simplement, de corruption généralisée. Pour Chéhab, le mal paraissait viscéral, irrémédiable, empêchant toute réforme. Tel Achille, Chéhab s’était donc retiré sous sa tente, à Ajaltoun. Prenant figure, comme de Gaulle à Colombey, de mentor sinon de gourou. Sa résidence était devenue, au fil des jours, une sorte de pèlerinage. On se rendait auprès de lui de toutes parts, comme on allait dans les temps antiques consulter l’oracle de Delphes. Ses observations, ses dires, avaient jeté les bases d’une doctrine étatiste, rationaliste, portant son nom, le chéhabisme, qui avait fait école. Et dont ses partisans actifs en politique, ou dans la vie publique, s’étaient inspirés, à travers leur participation au pouvoir, à la Fonction publique ou à la députation.
Quelque quarante ans plus tard, Émile Lahoud à son tour met le doigt dans la plaie et les points sur les i. Pour dénoncer les entraves persistantes à l’émergence d’un véritable État de droit, ou d’un véritable État tout court. Il avoue, tout d’abord, que le problème ne se situe pas, comme c’est le cas dans d’autres pays, au niveau des gens (entendre des composantes du tissu socio-politique), mais bien de l’État. Entendre des autorités. Qui ne songent qu’à s’étriper au nom du partage communautaire des intérêts, laissant de la sorte la corruption administrative s’étendre. Et s’enfermant dans l’ignorance délibérée des préoccupations de la population, pour pesantes ou graves qu’elles soient. Le chef de l’État relève ce postulat de bon sens : le Liban et les Libanais ne peuvent avoir d’avenir sans un État de droit et des institutions. Ce qu’à son avis, les mini-États confessionnels de facto combattent. Ajoutant que cette confrontation ne doit pas éroder la foi que les Libanais portent au concept même de l’État. Il assure, du reste, que sa propre conviction dans ce domaine reste forte, qu’il reste attaché au rêve exprimé dans son discours d’investiture. Car sans État, la nation serait frappée de déliquescence et les particuliers poussés à partir.
Ce qui est d’ailleurs le cas, faut-il le rappeler, depuis des années. Quoi qu’il en soit, au bout de cinq années difficiles, le président Lahoud, qui aborde la dernière ligne droite de son mandat, presse les Libanais de soutenir son projet de réforme. Différant sur ce point précis de Chéhab, il ne renonce pas à la lutte pour l’émergence d’un État au plein sens du terme. Ce qui permet de supposer que, s’il était sollicité pour un nouveau mandat, il ne se déroberait pas.
C’est bien pourquoi nombre d’opposants critiquent ses propos... critiques. En affirmant qu’une telle dénonciation d’une situation désastreuse serait normale de la part de l’opposition, mais ne l’est pas du tout quand elle émane de la tête de l’Exécutif. C’est-à-dire d’un pouvoir qui est responsable de l’état où se trouve le pays.
Il n’empêche que, surmontant des réactions naturelles de rejet, d’autres contempteurs du système espèrent que l’intervention du chef de l’État serve à corriger la trajectoire déviante du pouvoir. Et provoque un choc salutaire dans les rangs des loyalistes, pour qu’ils y voient plus clair, reconnaissent leurs erreurs et se ressaisissent. Afin que les Libanais puissent retrouver cette confiance dans l’État que Lahoud appelle de ses vœux. Ces contestataires reconnaissent que le président n’épargne personne, pas même ses fidèles, dans son sévère diagnostic de pourrissement. Dès lors, indiquent-ils, il ne faut pas s’arrêter à des questions de forme, mais considérer l’appel présidentiel objectivement. Sous son aspect rassembleur et mobilisateur. Des bonnes volontés, qui ne manquent pas, quoi que l’on dise. Il reste qu’un examen de conscience, même généralisé, ne suffit pas face à la force centrifuge des traditions viciées que Chéhab dénonçait déjà en son temps. Il faut une entente sur des mécanismes réformateurs. Que le Conseil des ministres autant que la Chambre devraient initier. Comment y parvenir quand le sens national est si atrophié, chez les uns et chez les autres. C’est là toute la question.

Philippe ABI-AKL
Le message à la nation du président Émile Lahoud, à l’occasion de l’Indépendance, n’est peut-être pas un discours d’investiture bis. Mais il a indéniablement frappé les esprits, par sa franche dénonciation d’une crise causée essentiellement par les convulsions internes du pouvoir. Plus exactement, par les relations tendues (doux euphémisme) qui règnent au plus...