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Une rencontre rare, placée sous le signe de l’urgence

C’est la toute première fois que le chef de l’État (exception faite des condoléances protocolaires présentées à Kardaha lors du décès du président Hafez el-Assad) se rend au-devant de son actuel homologue syrien. Qui, lui-même, n’a pas manqué de visiter le Liban. Dans les temps tendus actuels, la nécessité de la coordination s’impose doublement. D’une part, à cause des lourdes menaces militaires israéliennes, ainsi que des vives pressions US. D’autre part, parce que le président Bachar el-Assad est sur le point d’effectuer une tournée diplomatique importante en Europe. Où, échange de bons procédés, il devrait défendre les causes libanaises (dont le rejet de l’implantation), comme les présidents Lahoud et Hariri avaient milité pour les positions syriennes lors de leurs périples, multiples, dans le Vieux Continent. Parallèlement, point sur lequel les loyalistes mettent l’accent, des tractations triangulaires ont déjà cours avec Paris. Pour que l’Europe se convainque que, contrairement aux assertions israélo-US, la Syrie n’« occupe » pas le Liban. Et ne le prive pas de son libre arbitre. En principe, les deux dirigeants auraient dû se voir à l’occasion d’une réunion du Conseil supérieur syro-libanais. Prévue à Beyrouth cette année, selon les vœux du président Assad. Mais les événements se sont précipités, et l’assemblée ne pouvant être tenue, l’idée d’un sommet bilatéral direct a prévalu. Bien entendu, les professionnels du cru qui s’intéressent surtout à la conjoncture intérieure se demandent ce que la rencontre Lahoud-Assad peut leur réserver comme surprises. « Rien, leur répond sobrement un ministre influent, parce que les nuées régionales sont trop sombres, trop menaçantes pour qu’on parle des petits nuages que vos sueurs froides locales cristallisent au-dessus de nos têtes. » Et de souligner que ce qui compte, pour le moment, c’est de parer à l’éventualité d’une nouvelle aventure guerrière dans laquelle l’incorrigible Sharon pourrait se lancer. En aval, il faut voir aussi comment tenter d’éviter que Sharon ne réussisse à rallier les Américains à ses vues bellicistes. Reflétées, redisons-le, autant par les déclarations incendiaires de Mofaz que par les apprêts militaires israéliens le long de la ligne bleue. Sans oublier « l’avertissement » de la chasse israélienne, dont non moins de 16 appareils, toute une escadrille, ont survolé dimanche le Liban en profondeur, du Sud au Nord, avec un crochet au-dessus de la Békaa. Cette provocation manifeste, il faut le souligner, a été sagement éludée par la DCA libanaise, ou syrienne, qui n’est pas intervenue. Pour que cela ne tourne pas au vinaigre, à l’avantage de l’agresseur. Sur le plan diplomatique, il est assez évident que le président Assad ne voudra pas limiter ses échanges en Europe au dossier syro-libano-israélien. Il évoquera, sans aucun doute, le conflit régional dans son ensemble. Avec toutes ses implications, aussi bien palestiniennes qu’irakiennes. Ou encore les attentats terroristes de Ryad et d’Istanbul, signes avant-coureurs inquiétants d’une déstabilisation générale. Attentats hautement condamnés. Mais dont l’amalgame avec les actes de résistance légitime contre l’occupation n’est pas permis, selon la thèse que défendent conjointement Damas et Beyrouth. De plus, selon les prosyriens, le président Assad tient tout particulièrement à ce qu’en ces temps troublés, difficiles, le Liban apparaisse plus nettement, sur la scène internationale, comme une entité organiquement alliée, certes, mais parfaitement autonome. Il ferait valoir, lors de ses contacts en Europe qu’il coordonne étroitement avec le président Lahoud, qu’il le consulte, tout comme font Schröder et Chirac par exemple, avant toute initiative. Et il soulignerait la spécificité de demandes libanaises qu’il aurait à défendre, dans le cadre d’une solidarité fraternelle, comme Chirac l’a fait récemment pour l’Allemagne. Certifiant ainsi que la Syrie, tout en étant organiquement liée au Liban, ne lui impose aucune domination arbitraire. Sur un autre plan, toujours d’après les mêmes sources, la Syrie est plutôt étonnée que les mêmes parties occidentales, qui avaient contribué à la formation de certaines organisations islamistes, en les équipant et en les finançant, les classent aujourd’hui comme terroristes. Cela avait été le cas, rappelons-le, pour le soutien accordé dans les années 80 à Saddam dans sa guerre contre l’Iran, puis pour les talibans d’Afghanistan, durant la guerre contre les Soviétiques. Cependant, le président Assad pour sa part va certifier aux Européens que la Syrie et le Liban se dressent ensemble contre le terrorisme véritable, tout comme l’extrémisme aveugle, en prônant le modérantisme. En vue d’une paix globale équitable dans la région, sur la base des principes de Madrid. Retour à la case départ : dans les conditions présentes, la plupart des professionnels prévoient, localement, un maintien du statu quo. Bien peu pensent que le président Lahoud va mettre l’accent sur ses difficultés relationnelles avec le président Hariri, car la région est en ébullition. Dès lors, le pronostic général est qu’on ne va plus trop parler d’un départ rapproché des trente. L’on ajoute qu’au contraire les décideurs vont sans doute demander aux Libanais un surcroît d’effort de consolidation du front intérieur, par une meilleure cohésion au sein du pouvoir en place. Il convient enfin de signaler que dans la foulée du président Lahoud d’autres dirigeants libanais, avec lesquels le chef de l’État devrait d’ailleurs conférer aujourd’hui, vont se rendre prochainement à Damas.
Philippe ABI-AKL
C’est la toute première fois que le chef de l’État (exception faite des condoléances protocolaires présentées à Kardaha lors du décès du président Hafez el-Assad) se rend au-devant de son actuel homologue syrien. Qui, lui-même, n’a pas manqué de visiter le Liban. Dans les temps tendus actuels, la nécessité de la coordination s’impose doublement. D’une part, à...