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Éclairage Incapables de diriger le pays, Lahoud et Hariri ne s’occupent plus que du conflit qui les oppose C’est la guerre des tranchées, sous gestion syrienne

«Les Syriens n’ont fait qu’accélérer l’adoption du budget, sans se mêler des débats. » Le ministre de l’Information a beau user de tous ses talents de persuasion, plus un Libanais n’est dupe. Parce qu’au-delà du fait, hallucinant, que ce soit l’un de ses propres membres qui confirme ce que tout le monde sait, à savoir le cuisant échec de l’Exécutif, il est clair que les « frères » syriens ne se sont pas contentés de jouer les catalyseurs. Loin de là.
Cela fait longtemps qu’Émile Lahoud et Rafic Hariri ont prouvé qu’ils étaient incapables de gouverner ensemble. Hier, ils ont fini de faire comprendre aux Libanais qu’ils sont dans l’incapacité de gouverner. Simplement. Le grand manitou syrien, Rustom Ghazalé, est intervenu directement auprès des deux pôles de l’Exécutif – surtout du Premier ministre –, d’autant qu’avant-hier mardi, dans la salle du Conseil des ministres, l’intensité de la joute verbale entre les deux hommes avait forcé certains ministres à prendre la porte et à alerter tous les arbitres, de touche comme de chaise, Nabih Berry et les Syriens.
Force est de constater que les apôtres du bon docteur Bachar, finalement pas si mécontent(s) ou agacé(s) que cela par ce que les petites guéguerres libano-libanaises sont devenues – une guerre des tranchées qui ancre encore davantage la tutelle syrienne –, ont plutôt bien travaillé. Puisque le Conseil des ministres a réussi à adopter la loi de finances pour l’année 2004. Cette loi hyperbâtarde porte un nom : c’est le budget de toutes les compromissions. Ils pouvaient donc faire mieux, « obliger » l’Exécutif – les conseils n’étant plus de mise – à suer sang et eau pour pondre un budget à la hauteur de la catastrophe dans laquelle finit de se noyer le pays. En se souvenant que si la santé économique du Liban est bonne, les impacts sur celle de la Syrie ne pourront être que positifs.
Damas a préféré jouer à l’École des fans. En contentant les uns comme les autres. Émile Lahoud a eu ce qu’il voulait : la réunion des Trente a eu lieu au jour et à l’heure qu’il avait souhaités. Rustom Ghazalé a bien fait comprendre à Rafic Hariri qu’il devait impérativement lancer les cartons d’invitation pour hier soir, en insistant sur la nécessité de terminer l’étude du budget avant la fin de la semaine courante, « parce qu’il est inadmissible d’abandonner le pays à la merci des tiraillements et des conflits interprésidentiels, surtout que la situation régionale est ce qu’elle est ».
Émile Lahoud a également réussi à abaisser la rallonge budgétaire de 490 milliards (c’est ce que souhaitaient plusieurs ministres, toutes tendances politiques confondues) à 120 milliards. En amputant le budget du ministère des Travaux publics – ces travaux-là, signe extérieur incontestable de l’héritage Hariri, le chef de l’État les a en horreur, à l’exception des barrages – de 19 milliards et en augmentant le déficit budgétaire d’1 %. Reste à espérer que cette baisse de la rallonge budgétaire a fait pousser un ouf de soulagement à l’ensemble des Trente (un déficit budgétaire de 32 %, c’est aujourd’hui presque létal), même s’il est clair que des dents ont dû sérieusement grincer. À l’instar de celles de Sleimane Frangié par exemple, qui n’a obtenu, pour le ministère de la Santé, que 15 milliards, alors qu’il en attendait 35.
Budget bâtard, budget de compromissions, budget girouette et budget hypocrite. Pourquoi n’a-t-on donné que 15 milliards au ministère de la Santé et 25 à celui de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, alors que le chef de l’État avait répété pendant des semaines, et ses lieutenants avec lui, que ses priorités allaient à la santé et à la l’éducation ? Pourquoi 25 milliards à l’armée et aux FSI ? Pourquoi 45 milliards aux barrages, exigés par le locataire de Baabda ? Un des plus grands économistes libanais, véritable œil de lynx et à égale distance des deux pôles, a certes reconnu, comme le chef de l’État, que de nouveaux investissements dont se chargerait le CDR porteraient un coup fatal au pays. Tout en sentant le coup fourré, et en s’étonnant de l’insistance présidentielle à propos des barrages, « vraiment pas cohérente ».
Que ses aficionados se rassurent : Rafic Hariri a eu, lui aussi, sa part du gâteau : son cher Conseil du développement et de la reconstruction gardera ses 110 milliards, mais sera obligé, en véritable présumé coupable, de présenter dans les deux semaines des preuves de sa probité – du moins celle de ses fiance(ment)s. Ce qui n’est sans doute pas plus mal.
La seule chose qu’Émile Lahoud et Rafic Hariri sont désormais capables de gérer, c’est leur crise. Et après avoir pris un pays en otage, ils ont finalement réussi l’impensable – ce à quoi ils ont travaillé en vain, chacun à sa manière, depuis le début : donner l’impression, le sentiment – certes fugace et illusoire – que la Syrie est réellement indispensable au Liban. Leur dernier avatar – mais malheureusement pas l’ultime : il reste un an avant la présidentielle.

Ziyad MAKHOUL
«Les Syriens n’ont fait qu’accélérer l’adoption du budget, sans se mêler des débats. » Le ministre de l’Information a beau user de tous ses talents de persuasion, plus un Libanais n’est dupe. Parce qu’au-delà du fait, hallucinant, que ce soit l’un de ses propres membres qui confirme ce que tout le monde sait, à savoir le cuisant échec de l’Exécutif, il est...