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Conférence - Une sommité européenne de la psychanalyse de l’enfant au Liban L’infantile dans le comportement des adultes : le point avec Florence Guignard(photo)

« L’enfant est le père de l’homme ». Cette citation du poète britannique William Wordsworth pourrait paraître paradoxale. Elle trouve toutefois écho dans le vaste monde de la psychanalyse. À quel point l’enfance détermine-t-elle notre vie d’adulte ? Cette question et tant d’autres ont fait l’objet d’une conférence donnée, au théâtre Monnot, par Florence Guignard, psychanalyste, membre titulaire et ex-vice-présidente de la Société psychanalytique de Paris (SPP), membre de l’Association psychanalytique internationale (API) et fondatrice de l’Association pour la psychanalyse de l’enfant (APE) et de la Société européenne pour la psychanalyse de l’enfant et de l’adulte (SEPEA). Mme Guignard participait à des séminaires sur la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, à l’invitation de Mme Yolande Gueutchérian, psychanalyste et membre de la Société libanaise de psychanalyse, de la SPP, de l’API et de la SEPEA.

Le théâtre Monnot affichait salle comble. L’audience, formée de spécialistes et de profanes, était suspendue aux lèvres de Mme Guignard, qui clôturait son séjour au Liban par une conférence sur « L’enfant dans l’adulte » : un thème basé sur la découverte freudienne concernant la sexualité infantile et l’organisation psychique du sujet-enfant. « Nous gardons toujours des manières de réagir issues de notre enfance, même si, plus tard, nous sommes amenés à être raisonnables et rationnels, explique Mme Guignard. En effet, c’est dans la partie enfant de tout un chacun que résident les émotions, les désirs ou les pulsions les plus spontanées et qui sont à la fois les plus créatifs et les plus difficiles à canaliser. »
« Dans une cure analytique, nous communiquons avec cette partie refoulée quel que soit l’âge du patient, poursuit-elle. Freud avait démontré d’ailleurs que ce qui est refoulé demeure le plus actif dans notre comportement, nos humeurs, nos relations avec les autres et dans nos choix de vie. »
L’enfant est également présent dans l’adulte psychanalyste. « C’est une composante très importante de sa relation avec son patient pour le meilleur et parfois même pour le pire puisqu’il est sollicité au niveau de ses émotions et de ses pulsions les plus infantiles, insiste Mme Guignard. Mais si le psychanalyste n’accepte pas que cet infantile soit mis en jeu dans son travail, il ne serait pas dans une relation psychanalytique avec son patient, mais dans un système explicatif, cérébral et intellectuel. »
« Très souvent, le psychanalyste porte un jugement un peut hâtif sur les parents d’un enfant qu’il soigne et se dit, lors de la cure thérapeutique, qu’il va agir mieux que les parents, poursuit-elle. C’est une illusion. Car l’enfant répète avec l’analyste des situations traumatiques et douloureuses qu’il a vécues non pas avec ses propres géniteurs mais avec ses parents internes. » La psychanalyse de l’enfant se basant essentiellement sur des jeux, des dessins, de la pâte à modeler, vient le jour où le psychanalyste découvre, parmi les dessins de l’enfant, une méchante sorcière. « Il est évident que la sorcière n’est pas la mère de l’enfant, mais la psychanalyste sur laquelle l’enfant projette toutes ses peurs, remarque Mme Guignard. Celle-ci se sent tout à coup prise dans son propre infantile, puisqu’une enfant, qui a peur elle aussi des sorcières, somnole quelque part en elle. Nous avons souffert, nous aussi, du complexe d’Œdipe qui s’est manifesté par une rivalité avec notre mère ou notre père. Mais il faudrait surmonter le déplaisir qui vient de notre infantile et essayer de voir pourquoi l’enfant voit en nous une sorcière, sinon nous n’aboutirons à rien dans la cure. »
Le psychanalyste doit donc travailler sur lui-même de la même façon qu’il le fait avec son patient. Il bénéficie toutefois d’une longueur d’avance, puisqu’il a toujours suivi une cure analytique personnelle avant de se lancer dans son activité.

Traumatismes
et enfants-adultes
Le rôle des traumatismes sur l’enfant dans l’adulte ont de même été au cœur de l’intervention de Mme Guignard. « L’adulte, qui est un ancien enfant traumatisé, maintient toute sa vie une certaine manière de fonctionner, qui s’observe dans une cure analytique, indique-t-elle. L’importance de la cure, c’est qu’elle aide à défaire le cycle infernal de la répétition du traumatisme. »
Les traumatismes rencontrés par les analystes proviennent principalement de la santé de l’enfant (maladies graves ou accident corporel) et des problèmes vécus au sein de la famille (mort de l’un des parents, enfant abandonné, familles désunies...). Il y a également les traumatismes dus aux abus notamment sexuels de la part de l’adulte sur les enfants. « Ces exactions sont le plus souvent commises par des proches, constate Mme Guignard. Cela ne fait qu’augmenter le traumatisme de l’enfant, car ce dernier ne se sent pas le courage de dénoncer quelqu’un que, par ailleurs, il aime. Il dépend donc de cette personne. De plus, il se sent coupable de cet abus, convaincu qu’il en est la cause. »
Mme Guignard note que ce même problème est observé chez les enfants maltraités et battus, qui deviennent souvent des adultes très masochistes, cherchant des situations où ils se font battre psychiquement et physiquement. Il y a également les traumatismes des guerres qui conditionnent la manière d’agir de tout un groupe social. « L’an dernier, lors de ma première visite au Liban, j’ai été frappée par cette hyperréactivité chez les Libanais, qui, en effet, se mettent tout de suite sur leurs gardes dès que quelque chose arrive, confie-t-elle. Vous avez vécu dix-sept ans de guerre, plus récente que celle que nous avons vécue lors de la Seconde Guerre mondiale. Et la résultante de ce conflit au Liban n’est pas encore élaborée, alors que la nouvelle Europe commence à être structurée, cinquante ans plus tard sur l’axe franco-allemand, les ennemis d’antan. Cela est très important, sinon on n’aurait pas l’Europe d’aujourd’hui. Votre conflit est plus récent. Il vous laisse dans un état de douleur et de déchirure qui est encore palpable. »
Existe-t-il des traumatismes communs aux peuples ? « Dans la mesure où la névrose surgit au point de rencontre de l’organisation de l’individu avec la société dans laquelle il vit, nous observons des spécificités à chaque communauté, qui sont cependant assez vite dépassées pour retrouver l’aspect universel de la souffrance et du mal-être de l’être humain, répond Mme Guignard. De plus, avec la diffusion des médias, la télévision en particulier, les différences culturelles ont plutôt tendance à s’atténuer. »
À la question concernant l’importance de la dynamique de groupe, Mme Guignard note qu’il s’agit d’une bonne technique thérapeutique, d’autant que pour certains, il vaut mieux qu’ils soient pris en charge au sein d’un groupe, dans un premier temps. Les problèmes qui y sont rencontrés relèvent cependant d’un autre registre lié notamment à la rivalité entre les frères et sœurs, à la difficulté de s’entendre avec ses collègues, etc. C’est une thérapie qui ne met pas l’accent sur l’aspect inconscient du problème et les moyens de gérer ses désirs et ses peurs profondes. Au sujet des critiques adressées à l’école freudienne, Mme Guignard constate que toutes les découvertes majeures en psychanalyse ont suscité des dissidences. « La découverte du mode de fonctionnement de l’esprit demeure un fait absolument incontournable dans l’apport freudien, ajoute-t-elle. C’est-à-dire, le fait qu’il ait découvert que nous ne sommes pas uniquement dépendants des stimuli extérieurs mais également d’une force interne, les pulsions, qui nous habite toute la vie. »
N.M.

Projets de développement pour le Liban

L’approfondissement de la psychanalyse de l’enfant constituant l’un des plus grands intérêts de sa profession, Florence Guignard a créé, avec sa collègue Annie Anzieu, successivement deux sociétés pour le développement de la psychanalyse de l’enfant : l’Association pour la psychanalyse de l’enfant (APE) en 1983 et la Société européenne pour la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent (SEPEA) en 1993.
« J’ai longtemps œuvré pour que les psychanalystes français d’enfants puissent être en mesure d’installer un enseignement officiel de la psychanalyse de l’enfant au sein de leur société », explique Mme Guignard. Ces psychanalystes, dont fait partie Mme Yolande Gueutchérian, ont été ainsi reconnus par l’Association psychanalytique internationale (API). « Toutes les conditions sont donc réunies pour que la psychanalyse de l’enfant puisse prendre sa place au Liban, être enseignée et se développer », poursuit Mme Guignard. Pour cela, et à l’instar de Mme Guignard, des psychanalystes membres de la SEPEA effectueront de façon régulière des séjours au Liban durant lesquels ils animeront des séminaires et des groupes de travail où seront discutés plusieurs cas d’enfants sur les plans théorique et clinique avec des psychanalystes thérapeutes.
Dans le cadre de ce même projet, Mme Guignard a installé, chez Mme Gueutchérian, une bibliothèque, qui sera enrichie successivement par des ouvrages d’autres psychanalystes européens et à laquelle pourront se référer les psychanalystes et thérapeutes libanais travaillant avec les enfants et les adolescents. D’ailleurs, lors de son dernier séjour au Liban, une vente de quelques titres de ses ouvrages a été organisée, les recettes étant consacrées au développement de la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent au Liban.
« L’enfant est le père de l’homme ». Cette citation du poète britannique William Wordsworth pourrait paraître paradoxale. Elle trouve toutefois écho dans le vaste monde de la psychanalyse. À quel point l’enfance détermine-t-elle notre vie d’adulte ? Cette question et tant d’autres ont fait l’objet d’une conférence donnée, au théâtre Monnot, par Florence...