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Spécial LE FIGARO Allemagne - Après le refus de la Cour constitutionnelle de trancher Le port du voile à l’école laissé à l’appréciation des Länder

Berlin, de Pierre BOCEV

D’habitude plutôt encline à statuer sans tergiversation, la Cour constitutionnelle allemande a, pour une fois, décidé de ne rien décider. Les juges de Karlsruhe « se sont défaussés », regrette le journal conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung. À l’opposé de l’échiquier politique, Wolfgang Thierse, le président social-démocrate du Bundestag, leur reproche lui aussi leur attitude « étrangement couarde ».
L’affaire, il est vrai, était délicate, et continuera à faire du bruit. Fereshta Ludin, une Afghane de 31 ans naturalisée allemande, se bat depuis plus de cinq ans pour son droit d’enseigner dans le primaire en portant le voile islamique. De l’administration scolaire du Bade-Wurtemberg jusqu’à la Cour administrative suprême, elle a essuyé cinq refus.
Appelés à trancher sur la constitutionnalité de ce veto en cascade, les juges de Karlsruhe ne se sont pas prononcés sur le fond. Leur verdict a été acquis par cinq voix contre trois opinions dissidentes : le Bade-Wurtemberg n’avait pas le droit de ne pas la laisser enseigner, mais uniquement parce que le Land n’a aucune loi qui le lui permettrait. Autrement dit, les Länder, compétents en matière d’enseignement, sont libres de légiférer dans un sens ou dans l’autre.
Cette analyse n’est évidemment pas de nature à départager les tenants de la tolérance et les partisans de la neutralité de l’État qui s’opposent sur la question de savoir lequel des deux principes prime. « Cela nous plonge dans un long débat qui créera une situation d’insécurité pour les musulmans », estime Nadeem Elyas, le président de cette communauté religieuse en Allemagne.
Surtout, les législations régionales risquent de différer, même si Klaus Böger, le responsable de l’éducation au Sénat de Berlin, affirme que « nous devons nous mettre d’accord sur une ligne unique » entre les Länder.
Ce ne sera pas le cas. Le Bade-Wurtemberg hésite certes sur la marche à suivre : ses législateurs avaient à l’origine sciemment évité de promulguer la moindre loi, estimant qu’un dossier aussi délicat que le port du voile méritait un examen au cas par cas. Mais la très catholique Bavière, la Hesse, la Basse-Saxe et Berlin avec sa coalition « rouge-rouge » de sociaux-démocrates SPD et de post-communistes PDS, veulent légiférer pour bannir le voile des écoles. La Rhénanie-du-Nord-Westphalie s’apprête à adopter des textes contraires, tout comme Hambourg où le foulard contesté est déjà toléré dans l’enseignement.
Ute Schäfer, ministre des Écoles de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, estime ainsi que « le simple fait que quelqu’un porte le voile ne signifie pas que ce quelqu’un introduit des conceptions philosophiques ou religieuses dans les cours ». C’est donc la tolérance qui, pour elle, l’emporte. À l’opposé, le sénateur berlinois Klaus Böger juge que pareille manifestation extérieure de convictions « porte atteinte à la liberté négative des écoliers, c’est-à-dire à leur droit à ne pas être influencés ».
Le débat déclenché par la marche à travers la justice de Fereshta Ludin concerne davantage le principe qu’une pratique très répandue. Parmi les quelque trois millions de musulmans d’Allemagne, il y a environ 300 enseignantes, et une douzaine d’entre elles portent le voile ou voudraient le faire. Les élèves, elles, le peuvent de toute manière, et cela n’a jamais fait l’objet d’un débat. Implicitement, la décision de Karlsruhe va plus loin, car au-delà de l’enseignement, elle concerne l’ensemble des fonctionnaires et toutes les manifestations extérieures de la foi. Selon les futures législations des Länder, il sera donc possible de se faire verbaliser par un policier portant la kippa ou d’avoir affaire à un inspecteur du fisc en robe de bure.
Sur ce point, les trois juges qui ont voté contre la décision majoritaire ont estimé que le port du voile en classe était contraire à la Constitution : dans leur analyse, le devoir de neutralité d’un fonctionnaire prime sur son droit pourtant fondamental à la liberté religieuse.
Cette liberté a déjà été confirmée pour le secteur privé. Un autre panel de la Cour de Karlsruhe a en effet invalidé le mois dernier le licenciement d’une vendeuse musulmane par une grande surface hessoise avec l’argument que son voile déplaisait à sa clientèle et nuisait donc à son chiffre d’affaires. Là, c’est la liberté religieuse qui l’a emporté sur la liberté d’entreprendre.
En 1995, la Cour constitutionnelle avait décidé que la Bavière ne pouvait pas demander aux écoles d’accrocher le crucifix en classe.
Berlin, de Pierre BOCEVD’habitude plutôt encline à statuer sans tergiversation, la Cour constitutionnelle allemande a, pour une fois, décidé de ne rien décider. Les juges de Karlsruhe « se sont défaussés », regrette le journal conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung. À l’opposé de l’échiquier politique, Wolfgang Thierse, le président social-démocrate du Bundestag, leur...