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Sa dernière interview accordée à « L’Orient-Le Jour »

Pierre Hélou aura, jusqu’au bout, dénoncé les anomalies d’une politique qui se pose en obstacle devant le redressement du pays et qui l’irritait au plus haut point. Il était, il faut le dire, l’un des rares hommes politiques libanais à avoir le courage de ses positions et, surtout, à ne tenir qu’un seul et même discours, en public comme en privé. La sévérité de ses critiques à l’encontre du Premier ministre Rafic Hariri lui avait valu les qualificatifs de de ministre opposant ou ministre frondeur. Qu’il rejetait d’ailleurs, parce qu’il considérait qu’en tant que membre du gouvernement, il se devait de montrer du doigt ce qui n’allait pas, même s’il était sans portefeuille. Quelques jours avant son décès, il avait accordé à L’Orient-Le Jour une interview qui devait paraître dans le cadre d’un dossier sur la réforme administrative, et dans laquelle il avait expliqué les raisons de son antiharirisme. « Je suis épouvanté par la politique qu’il suit », nous avait-il déclaré.
Mais s’il était déterminé à poursuivre sans relâche cette opposition, il comptait prendre une pause au mois d’août, qu’il allait passer au Canada avec ses enfants. Il envisageait même, nous avait-il confié, d’emmener ses petits-enfants à Las Vegas. Ces vacances, il en avait besoin, pour s’éloigner du capharnaüm politique libanais et des nombreuses obligations sociales qu’il ne pouvait pas refuser et qui le fatiguaient.
C’est les yeux pétillants qu’il avait parlé de ces vacances, qu’il ne prendra pas, et de ses enfants et petits-enfants qu’il se faisait une joie de revoir. Et c’est avec les yeux qui lançaient des éclairs qu’il avait commenté la politique haririenne.
« Vous retiendrez ce que vous voulez de ce que je vous dirai, mais je vous conseille de ne pas faire un long article. Les gens n’aiment pas lire plus de 20 lignes », avait-il conseillé d’emblée. Ce conseil, il s’était fait un point d’honneur de l’appliquer dans sa vie d’homme politique. « J’ai décidé de choisir régulièrement un sujet et de le développer pendant cinq minutes au maximum, dans une conférence de presse au Parlement. Ça fait un choc. Les gens écoutent pendant 5 minutes, mais pas plus. »
Au cours de la dernière réunion parlementaire consacrée aux interpellations des députés, M. Hélou s’était contenté d’une brève remarque au moment où ses collègues se lançaient dans d’interminables interventions. Il s’était seulement indigné de l’incapacité de l’Exécutif à contrôler les carrières.
On comprendra les raisons de son indignation au cours de l’interview : c’est parce qu’il « déteste les solutions de facilité qui sont la caractéristique des gouvernements Hariri ». « On ne peut pas appliquer la loi sur les carrières, alors on les ferme. On ne peut pas régler le dossier de l’électricité, alors on augmente les tarifs », s’était-il indigné.
Il s’était longuement arrêté sur la politique économique haririenne qui l’« épouvantait ». Ce qu’il reprochait principalement au chef du gouvernement, c’est ne pas avoir changé de stratégie lorsqu’il s’était rendu compte que la paix, sur laquelle il misait pour initier un redressement dans le pays, n’allait pas se réaliser de sitôt. « Il n’a pas suivi une politique d’austérité conséquente. Quand il n’y a pas de paix, on n’applique pas de politique de développement intensif », avait-il fulminé, presque hors de lui.
Il était persuadé que notre dette publique a dépassé les 35 milliards de dollars, en citant des banquiers, et avait mis en doute les chiffres avancés par l’équipe Hariri.
Pour lui, chaque jour qui passe rend le redressement plus difficile. « J’ai cette question à poser au président du Conseil des ministres : Comment envisagez-vous la solution ? Il répondra qu’il compte réduire le déficit budgétaire à 25 %, puis à 10 % l’an prochain et que l’an d’après, nous aurons un excédent. » Selon M. Hélou, le chef du gouvernement se doit d’annoncer aux Libanais un programme clair de redressement, fondé sur des données et des chiffres précis. « Malheureusement, je ne crois pas à la réduction du déficit, je ne crois pas aux chiffres qu’il donne et je ne crois pas à sa politique. On me reproche de ne m’en prendre qu’au président du Conseil, mais à qui d’autre voulez-vous que je m’en prenne ? N’est-ce pas lui qui a suivi cette politique et qui est responsable de cette situation ? » avait-il soutenu.
Tout autre que Rafic Hariri n’aurait pas pu endetter autant l’État. Pierre Hélou en était convaincu. « Quand il est arrivé au pouvoir, notre dette était de 1 400 millions, alors qu’on avait de l’or pour 4 milliards de dollars. Je pense franchement qu’aucun autre président du Conseil n’aurait pu arriver aux chiffres astronomiques d’aujourd’hui », avait-il fait valoir.
« Pour faire baisser le dollar à 1 500 livres, au moment où il montait partout dans le monde, on a dû payer 20 milliards de dollars. On a perdu 250 millions de dollars par an en communications téléphoniques internationales détournées. On perdait à peu près deux millions de dollars par jour à l’EDL. » La liste de ses griefs était longue. Épouvantable. C’est un terme qu’il avait répété plus d’une fois. « Je suis épouvanté par tous les problèmes qui se posent aujourd’hui et qui peuvent déboucher sur une situation économique dangereuse. » Il avait refusé de parler d’effondrement, parce qu’en dépit de tout, il voulait rester optimiste.

Tilda ABOU RIZK
Pierre Hélou aura, jusqu’au bout, dénoncé les anomalies d’une politique qui se pose en obstacle devant le redressement du pays et qui l’irritait au plus haut point. Il était, il faut le dire, l’un des rares hommes politiques libanais à avoir le courage de ses positions et, surtout, à ne tenir qu’un seul et même discours, en public comme en privé. La sévérité de ses...