Crapauds*, Crapules

Tant et tant de crapules. Sans scrupules. Tarentules suçoteuses. Chuchoteuses. Charognardes talentueuses. Mauvais génies d’affaires pustules. Avides complices du moindre tas d’immondices. Blanchiment d’argent, paradis fiscaux, ballets roses : drôle de vitrine liliale pour une vermine sépulcrale.
Payer plus d’impôts qu’une vaste entreprise : en quel pays de macs un salarié modeste a-t-il jamais cette chance inouïe de fille soumise ?
Voici la Flamboyante qui s’avance dans le parc, en chemise, les pieds nus dans le sable. Ineffable, étrange, pureté de cette beauté du diable. De cette exquise figurine à la Watteau. Où va-t-elle dîner, Vatel, ce soir aux chandelles, cette Circé minuscule, cette Ava ressuscitée mais éphémère ? Chez les crapauds de Cythère.
Car cela s’empiffre de tout, à tire-larigot, du faisan doré comme de ventripotents, opulents, faux bigots. Dans ce monde vénal de gales à magot. Où les ego frimeurs font de l’épate, tout en se tirant dans les pattes. Pour éblouir, séduire, suborner, les naïves Margot. Autant que nous autres, pauvres gogos.
Des escrocs plantureux, qui plantent leurs crocs à venin dans les contrats juteux de dame Administration. Sans fonds propres, sans caution, grâce à de vagues relations interlopes de petites salopes. Pour conclure et signer, un toast : du madère de madrés, de la fine de finauds, tchin-tchin à ta santé. Et les voilà riches, aux nues catapultés.
Pendant que toi et moi, bernique, on s’échine et on peine. Pour rembourser par-ci. Se faire piller par-là. Être enfin quitte de tout. Et de soi.
Puis survivre de haine rentrée. En rêvant que, chiche, on deviendra riche. Et qu’un beau jour, au crépuscule, on sera à notre tour les rois…
Des crapules.

Jean ISSA

* Frogs, de George Mc Gowan, avec Ray Milland et Sam Elliott, 1972.