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Rencontre - L’ancien chef du CSM affirme qu’il a ses chances pour le Conseil constitutionnel Nasri Lahoud : La réforme de la justice commence par la réduction des pouvoirs du ministre (photo)

S’il a eu envie de parler aujourd’hui, c’est, dit-il, à cause des appels répétés en faveur d’une justice équitable. Or, les problèmes de la justice, l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (de janvier à novembre 2002), M. Nasri Lahoud, les connaît bien, puisque tout au long de sa brève présidence, il n’a cessé d’alerter les responsables sur les failles du système, à coups de discours, de lettres adressées au ministre et de propositions qui n’ont jamais reçu d’échos. Et s’il pense avoir ses chances pour présider le Conseil constitutionnel (dont cinq membres ont achevé leur mandat le 26 août dernier), en raison de ses compétences et de son ancienneté, il considère que les deux sujets n’ont rien à voir.
Le personnage est hors normes, et ce n’est pas seulement à cause de son franc-parler et de ses tenues vestimentaires chatoyantes. Toute sa vie est une série d’aventures et de combats parfois drôles, toujours instructifs. Président de l’Union nationale des étudiants et de l’amicale de droit, c’est lui qui, face au candidat Élie Karamé, a proposé la candidature de Nabih Berry, en 1962, et ce dernier a été élu à la tête de l’amicale. Séduit par « l’élégance » des Affaires étrangères, il a présenté le concours qu’il a brillamment réussi en 1957, mais il n’a pas été alors affecté à un poste, à cause, dit-il, de Sélim Lahoud, cousin de son père (et père de Nassib).

Les Affaires étrangères
pour le prestige,
la magistrature pour la vie

Il s’est donc inscrit au barreau, mais dans les années soixante, il a eu un contact désagréable avec un juge qui l’a longtemps fait attendre, le reléguant au rang de quémandeur. Il s’est dit que le métier d’avocat n’était pas pour lui. Revenu aux Affaires étrangères, il est d’abord envoyé au Sénégal, d’où il est rapidement rappelé à cause des conflits au sein de la communauté libanaise. Il est désigné à Cuba, en 1962, en plein blocus américain de l’île, et devient l’ami du frère de Fidel Castro, Raoul. Son père le fait rappeler d’urgence, car ses fréquentations communistes ne lui plaisent pas et en 1963, il est nommé juge ainsi que 24 autres personnes. Pour lui, c’est une révélation. Depuis, il n’a jamais cessé de vouer à la magistrature une passion sincère, car pour lui, être juge, ce n’est pas un métier comme les autres, c’est un apostolat.
D’un défi à l’autre, il a gravi les échelons jusqu’à être nommé, le 28 janvier 2002, président du CSM à cause de ses mérites et de son ancienneté. Avec MM. Philippe Khaïrallah et Mounir Honein, il était en effet le seul magistrat maronite à avoir atteint le grade 22. C’est pourquoi il ne considère pas qu’il doit sa nomination au fait que son frère soit président de la République, puisqu’il y avait droit de facto. Tout comme il pense que si le Parlement le choisit comme membre du Conseil constitutionnel, il le devra aussi à ses mérites et à la décision des députés eux-mêmes. « Le président, dit-il, n’a pas un bloc parlementaire et ce n’est pas à lui que reviendra la décision. » Au moment où le chef de l’État lance une grande opération de réforme, ne serait-ce pas maladroit que son frère devienne président du Conseil constitutionnel ? « Ce sont deux choses différentes. Je suis l’un des principaux magistrats maronites habilités à occuper ce poste. Par équité, je devrais avoir mes chances, comme les autres et c’est aux députés de choisir. » Mais si ce conseil est appelé à se prononcer sur un éventuel amendement de la Constitution favorisant une réélection ou une prorogation du mandat du président Lahoud ? « Si j’étais élu et si une telle proposition était présentée au conseil, je me dessaisirais de ce dossier. Cela n’affecterait pas les décisions du conseil, puisque celles-ci y sont prises à la majorité de sept voix (sur dix). »
Mais ce n’est pas pour parler de cela que Nasri Lahoud a voulu donner cet entretien. Il préfère évoquer les lacunes de la justice. « J’en avais parlé en avril et en mai 2002, dit-il, en sortant de ses propres archives des discours et des interviews. Ce n’est donc pas, comme on l’a laissé entendre, parce que j’étais irrité qu’on ait refusé de prolonger ma présence à la tête du CSM, puisque je l’ignorais encore. » Non, pour lui, il s’agit de thèmes sur lesquels il a longuement réfléchi, tant la situation de la magistrature le blessait dans ses croyances. Et lorsque des membres de l’Inspection judiciaire sont venus soi-disant enquêter sur ses propos accusateurs, Nasri Lahoud leur avait rappelé qu’ils savent qui sont les magistrats possédant de belles villas. Ils n’ont donc pas enquêté pour savoir depuis quand ils possèdent tous ces biens.

Les commissions,
un instrument de dépendance
Pour lui, et il l’a répété à plusieurs reprises dans ses discours, si on veut une justice saine et efficace, il faut des magistrats qui s’y consacrent à plein-temps. Et pour cela, il faudrait faire cesser les deux fléaux qui empêchent les magistrats de faire pleinement leur travail. Sur les 325 juges civils, il y en aurait une soixantaine qui donneraient plus de cent heures d’enseignement par an dans différentes universités. C’est ce qui l’avait poussé à soumettre un projet au ministre de la Justice exigeant un maximum de cent heures d’enseignement pour les magistrats en fonctions.
D’autres poursuivent leur doctorat alors qu’ils sont aussi en fonctions. Pourtant, le doctorat, cela prend du temps et nul ne songe à les rappeler à l’ordre. M. Lahoud relève d’ailleurs que le président et le directeur de l’Institut des études judiciaires n’exercent pas non plus leurs fonctions à plein-temps. Pour lui, c’est naturellement inconcevable, l’institut étant le véritable berceau des juges et ceux qui en ont la charge devraient s’y consacrer entièrement.
Mais le pire fléau pour les magistrats réside, selon M. Lahoud, dans les commissions. C’est le ministre de la Justice qui détient le pouvoir discrétionnaire de nommer les juges dans les diverses commissions, leur permettant ainsi d’arrondir leurs fins de mois, puisque le salaire d’un membre de commission tourne autour de 2 millions de livres. Théoriquement, le ministre ne peut nommer un même juge dans plus d’une commission à moins de le justifier explicitement. Mais selon M. Lahoud, une centaine de juges bénéficieraient des faveurs du ministre et feraient partie de plusieurs commissions en même temps, ce qui leur permet d’avoir un double salaire. Toujours selon M. Lahoud, les magistrats en sont réduits à « courtiser » le ministre (indépendamment de la personne de celui-ci) afin d’être nommés dans des commissions. Lui-même (il n’a jamais fait partie d’une commission, dit-il) aurait alerté le ministre sur cette situation, proposant un système de rotation équitable dans le choix des membres de commissions, afin que tous les juges aient leur part à tour de rôle et dans une seule commission à chaque fois, en tenant compte toutefois de leur productivité.
Toutes ces mesures sont donc destinées à permettre aux magistrats de se consacrer à leur travail afin de faire ce pour quoi ils sont à leur poste : rendre des jugements. « Ils doivent être porteurs d’un message non d’un salaire », se plaît à répéter Nasri Lahoud.
Il reste un autre volet, tout aussi important : comment rendre la justice indépendante du pouvoir politique. Pour cela, il faudrait, selon M. Lahoud, réduire les prérogatives du ministre, qui reste, lui, un poste politique.

Ni nommés ni élus,
mais désignés de facto
Pour M. Lahoud, les membres du Conseil supérieur de la magistrature ne doivent ni être nommés par le Conseil des ministres ni être élus par les juges, comme c’est le cas actuellement. Car, dans les deux situations, ils sont tributaires de ceux qui les nomment ou de leurs électeurs. Il a donc prévu un système où les membres du CSM sont désignés de facto selon leurs compétences, leur itinéraire au sein de la magistrature (il faudrait avoir gravi les échelons l’un après l’autre du juge unique à la première instance, à l’appel puis à la cassation) et leur grade.
Selon M. Lahoud, si la nouvelle loi, promulguée en décembre 2001, donne plus de pouvoir au CSM dans les nominations au sein de la magistrature, ce n’est qu’une apparence. En effet, officiellement, c’est le CSM qui propose et soumet les noms au ministre. Mais le train de nominations ne peut être adopté sans l’accord du ministre. En cas de conflit entre le CSM et le ministre, le CSM réexamine sa proposition et procède à un vote, dont l’issue est obligatoire. Pour qui ? Le texte ne le précise pas. Par contre, les nominations sont adoptées par un décret du Conseil des ministres, ce qui revient à dire que l’approbation du ministre est toujours indispensable.
M. Nasri Lahoud considère qu’une justice libre passe forcément par une indépendance vis-à-vis du ministre qui représente le pouvoir politique. Selon lui, cela n’a rien à voir avec la personne de Bahige Tabbarah, puisque du temps où il était président du CSM, il avait présenté toutes ces propositions et nul ne l’avait écouté. « M. Tabbarah peut faire avancer les choses, ajoute M. Lahoud. Il connaît bien les réalités de la justice. Mais il lui faut obtenir le feu vert de ses supérieurs, et je ne sais pas si on veut réellement des magistrats. On préfère sans doute en faire des fonctionnaires, plus dépendants et donc plus dociles. »
M. Lahoud est donc partisan d’un système qui donne plus de pouvoir aux magistrats eux-mêmes, tout en instaurant des mécanismes de contrôle et de demande de comptes. « Pour être pur, il faut être dur. » Cette phrase de Robespierre, Nasri Lahoud l’avait reprise à son compte et il l’avait maintes fois répétée à ses collègues. Il avait même proposé d’instaurer une médaille du Mérite de la magistrature pour honorer les juges performants.
« J’ai tout essayé pour faire parvenir les messages, affirme M. Lahoud. Mais on n’a jamais voulu m’écouter et en dix mois, on m’a empêché de travailler. Aujourd’hui, j’essaye encore de me faire entendre. Je n’y renoncerai jamais, car la magistrature, c’est un engagement à vie. »

Scarlett HADDAD
S’il a eu envie de parler aujourd’hui, c’est, dit-il, à cause des appels répétés en faveur d’une justice équitable. Or, les problèmes de la justice, l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (de janvier à novembre 2002), M. Nasri Lahoud, les connaît bien, puisque tout au long de sa brève présidence, il n’a cessé d’alerter les responsables sur...