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Environnement - Privés de mazout, certains se sont rabattus sur des moteurs à essence datant des années 60 Les chauffeurs de minibus manifestent

Les automobilistes empruntant les artères principales auront certainement remarqué les dizaines de minibus garés sur le côté de la route, notamment à Nahr el-Kalb, Dora et Saïda. Ces rassemblements ne sont autres que des sit-in pacifiques organisés par les chauffeurs des minibus de la catégorie 16 à 24 places, empêchés de rouler au mazout depuis octobre passé, sans qu’aucune indemnité ne leur ait été payée à ce jour, ni qu’une solution ne leur ait été proposée. Les sit-in, qui ont commencé mercredi et se poursuivront, selon les organisateurs, « indéfiniment, jusqu’à ce que nos requêtes soient entendues », se sont tenus dans toutes les régions libanaises, sous l’œil vigilant des forces de l’ordre.
L’arrêt de plusieurs catégories de véhicules roulant au mazout (le carburant est importé au Liban, de mauvaise qualité, et n’est même pas valable pour l’industrie) avait fait l’objet de deux lois l’été passé : la première, celle qui porte le numéro 341, a été appliquée en juin 2002 aux taxis, qui avaient illégalement installé de vieux moteurs à mazout durant des années, alors que les autorités concernées fermaient l’œil. Cette loi s’est étendue, en juillet 2002, aux minibus de moins de 15 places, afin, a-t-on argué, que la concurrence soit plus équitable pour les taxis. Enfin, pour les mêmes raisons se rapportant à la compétition sur le marché des transports publics, les minibus de 16 à 24 places ont, eux aussi, fait l’objet d’une interdiction, dans le cadre de la loi n° 459. Si les chauffeurs de taxis étaient dans l’illégalité, les minibus, eux, avaient été importés en toute légalité. De plus, les véhicules sont conçus pour rouler au gasoil, et non pas à l’essence. Problèmes économiques (puisque l’essence est nettement plus chère que le mazout) et problèmes techniques posent un défi aux propriétaires de bus, d’autant plus qu’aucune assistance ne leur a été accordée, comme ils le disent eux-mêmes.
À Nahr el-Kalb, hier, la tension est à son comble, même si le sit-in, qui rassemble des dizaines de propriétaires de minibus (de 16 à 24 places), reste tout à fait pacifique. Et pourtant, selon leurs témoignages, ils ont essayé de se conformer à la loi, pour n’aboutir qu’à un désastre. « Les importateurs nous ont fait part de l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de nous fournir des moteurs à essence pour ces véhicules, puisque ceux-ci ne sont tout simplement pas fabriqués par les compagnies de voitures », nous explique Mohammed el-Sayyed, leur porte-parole. « Les propriétaires qui ont quand même essayé de se procurer des moteurs, le plus souvent anciens et d’une marque différente de celle de leur véhicule, en sont à leur troisième ou quatrième tentative, sans succès. »
Et c’est tout à fait compréhensible. Comme le précise Hassan Yehia, président du syndicat des propriétaires de minibus de 16 à 24 places, « les chauffeurs ont dû se rabattre sur des moteurs datant des années 60, alors que leurs véhicules sont neufs ». D’où le fait que les problèmes mécaniques se multiplient sur les routes. Les chauffeurs parlent de minibus qui ont pris feu, alors que l’été ne fait que commencer. « Les conducteurs font face à toutes sortes de problèmes, électriques notamment, et doivent changer de batterie parfois tous les deux jours », raconte M. Yehia.
Les moteurs à mazout inadaptés présentent en effet de nombreux inconvénients : comme l’explique un des chauffeurs, Milad Matar, le climatiseur ne fonctionne plus, ce qui ennuie nécessairement les passagers ; les bus sont pratiquement incapables d’accélérer en montée...
Outre les problèmes techniques auxquels aucun des responsables qui ont fait appliquer la loi n’a apporté de réponse satisfaisante, les soucis financiers des propriétaires de ces bus (qui sont tous des particuliers et non des compagnies) ne font que s’aggraver de jour en jour. Les indemnités promises par l’État, dont le montant devait être révisé par une commission ministérielle, dissoute après le changement de gouvernement, n’ont toujours pas été versées aux chauffeurs.
« Lorsque nous avons acheté nos minibus, nous nous sommes endettés auprès des banques et des agences », souligne M. Matar. « Aujourd’hui, les banques nous harcèlent pour réclamer le paiement des traites mensuelles, dont nous sommes incapables de nous acquitter depuis sept mois déjà. » Les changements successifs de moteurs, à coup de milliers de dollars, ont achevé de vider les poches des propriétaires de minibus. Les frais de mécanique et l’assurance, dont la date de paiement approche, finiront de faire fondre les maigres économies de cette catégorie très vulnérable de la population.

24 ou 26 places, pas la même chose au nom de la loi...
Le résultat ? Le désespoir et une dégradation des conditions de vie de quelque 4 500 familles, vivant des 1 500 minibus de cette catégorie. « Je dois déjà cinq millions de livres à l’école, et je ne sais pas quand on m’obligera à retirer mes enfants de l’établissement », gémit Michel Chbib, père de deux enfants. « Nous ne sommes plus couverts par la Sécurité sociale depuis sept mois déjà », déplore Walid Khoury, un autre manifestant. Quant à M. Matar, il fait remarquer que « nos bus, que nous avons achetés flambant neufs à quelque 65 000 dollars, nous ne pouvons même pas les revendre pour 5 000 dollars, tant les circonstances de travail sont mauvaises ».
Lâchés, victimes d’une injustice, sacrifiés... C’est ainsi que les manifestants décrivent le traitement que leur a réservé un État sourd, disent-ils, à leurs appels. M. Yehia, président du syndicat, précise que « des contacts on été effectués avec tous les responsables, mais nous avons dû opter pour les sit-in quand nous n’avons obtenu aucun résultat ». Il s’est dirigé hier, à la tête d’une délégation, vers le siège du patriarcat maronite à Bkerké, afin de rencontrer le patriarche Nasrallah Sfeir, « toujours très compréhensif ». Selon lui, les contacts du patriarche avec le Conseil des ministres ont ouvert la voie à la tenue d’une réunion prochaine entre le syndicat et le chef du gouvernement.
Quelle serait la solution idéale, d’après lui ? « Des bus de 26 places, c’est-à-dire une catégorie légèrement supérieure, ne sont pas concernés par l’interdiction », souligne M. Yehia. « Ils appartiennent à la Compagnie libanaise pour le transport. Cela est injuste, pourquoi la loi a-t-elle spécifié 24 places ? Nous revendiquons le droit de rouler de nouveau au mazout, ou alors que l’essence soit imposée aux autres catégories. »
Les manifestants, eux, se montrent plus intraitables. « Ce qu’on appelle le mazout vert existe sur le marché depuis plus de sept mois », disent-ils. « Pourquoi ne reviennent-ils pas sur leur décision ? Il n’y a pas d’autre solution que de faire fonctionner nos bus au gasoil. » Quant à l’affaire des bus de 26 places, plusieurs manifestants soulignent l’injustice de la décision, évoquant de gros pistons et des pressions politiques en faveur de certains personnages bien introduits. L’animosité a déjà causé un incident mercredi, qui a failli tourner au drame : à Jdeidé, un manifestant, Imad Nassereddine, a eu une altercation avec le chauffeur d’un des bus de la Compagnie libanaise des transports, ce qui a nécessité l’intervention d’un agent de l’ordre qui a tiré, blessant Nassereddine légèrement. Selon M. Yehia, l’agent de l’ordre et le chauffeur ont été placés en garde à vue, alors que le manifestant a été hospitalisé.
Tous les Libanais, notamment les citadins, ont applaudi à la décision de lutter contre la pollution de l’air prise par le gouvernement l’été passé. Et pour cause, la population étouffait littéralement. Mais la gestion du problème comporte des lacunes, comme le prouvent les absurdités auxquelles sont confrontés les chauffeurs, ce qui ne prête pas à l’optimisme quant à la prise en charge d’autres dossiers explosifs, comme le traitement des dépotoirs qui polluent côtes et montagnes...

Suzanne BAAKLINI
Les automobilistes empruntant les artères principales auront certainement remarqué les dizaines de minibus garés sur le côté de la route, notamment à Nahr el-Kalb, Dora et Saïda. Ces rassemblements ne sont autres que des sit-in pacifiques organisés par les chauffeurs des minibus de la catégorie 16 à 24 places, empêchés de rouler au mazout depuis octobre passé, sans...