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Interview - « L’avenir du pays dépend de l’avenir de l’opposition », estime le député de Jbeil Farès Souhaid : Le changement va se produire, bon gré mal gré(photo)

Samedi dernier, au couvent Notre-Dame du Mont, à Fatqa, Farès Souhaid a invité un groupe de personnalités de l’opposition, notamment des membres du Forum démocratique, du Renouveau démocratique et du Rassemblement de Kornet Chehwane, pour définir une nouvelle dynamique, nationale et plurielle, au sein de l’opposition. Un événement pour le moins original sur la scène politique libanaise, en proie actuellement à une désertification croissante.
Le député de Jbeil et membre de Kornet Chehwane s’exprime sans détour, dans un style clair, concis et percutant : si la rencontre de Fatqa, qui doit ouvrir la voie à un cycle de petits forums de l’opposition dans toutes les régions du Liban, est une nécessité, c’est parce que « l’avenir du Liban dépend de l’avenir de l’opposition, et pas de la classe politique qui gouverne le pays ». « Cette classe politique n’est pas capable d’assumer ses responsabilités dans la période transitoire que nous traversons au plan local et régional. Il faut donc dynamiser l’opposition », affirme-t-il. Pour ce faire, il convient, selon Farès Souhaid, de procéder à une remise en question de tout ce qui a été réalisé depuis la parution du célèbre communiqué des évêques maronites, en septembre 2000, jusqu’aujourd’hui. Sitôt dit, sitôt fait : M. Souhaid procède à l’autocritique de l’opposition, qui a eu ses moments de force – la bataille du Metn, qui « a permis de redonner un élan populaire à l’opposition et de briser certains tabous » – mais aussi de faiblesse. Jusqu’à ce que les projets américains en Irak transparaissent au grand jour : « Nous avons aussitôt “gelé” les revendications concernant toutes les questions épineuses, notamment celle des relations libano-syriennes, parce que nous sommes une opposition soucieuse de son milieu et de son appartenance arabes ».
Actuellement, poursuit-il, cette opposition est en train de voir comment dynamiser son élan politique à l’intérieur du pays. « Il convient de créer un courant national, islamo-chrétien, reposant sur la demande d’application des accords de Taëf et de la Constitution. Le pouvoir entretient une schizophrénie politique dans le pays. La classe politique qui devrait appliquer la Constitution ne le fait pas, et c’est la société civile libanaise et l’opposition, de droite et de gauche, musulmane et chrétienne, qui réclament l’application de la Constitution. Cette revendication existe chez toutes les composantes sociales, politiques et communautaires du pays », affirme Farès Souhaid.
En effet, estime-t-il, « si la vivacité politique existe chez les chrétiens depuis le communiqué des évêques maronites, elle existe aussi chez les musulmans, notamment en milieu chiite. Et pas seulement au Liban, mais en Irak et en Iran aussi. Le projet présenté par (le président iranien) Mohammed Khatami concernant le dialogue des cultures et la réconciliation du monde musulman avec l’Occident est assez révélateur à ce niveau. Or le pouvoir tente par tous les moyens de prouver que tous ces changements régionaux seront sans effet, qu’ils n’aboutiront pas à leur tour à un changement local. Mais ce n’est pas vrai : le Liban n’est pas à l’abri d’un changement, qui va nécessairement se produire ». Il suffit de jeter un coup d’œil sur la scène régionale pour s’en rendre compte, selon M. Souhaid : la société syrienne est en pleine mutation, l’on parle de réformes constitutionnelles en Arabie saoudite et en Égypte, d’une nouvelle administration en Irak, d’élections en Jordanie, d’un nouveau gouvernement en Palestine, sans oublier le vaste mouvement de rue en Iran... « Nous faisons partie d’un vecteur de modernité dans le monde arabe », souligne-t-il. Par conséquent, le Liban ne saurait se retrouver en porte-à-faux avec le vent de changement qui souffle dans la région.

Tourner la page du passé
Farès Souhaid jette la pierre à la caste politique au pouvoir, qui est en train de rater l’opportunité d’opérer elle-même le changement tant attendu. « Nous avons essayé, durant trois ans, de convaincre la classe politique d’opérer elle-même ce changement, à travers l’application de Taëf, notamment en ce qui concerne la rationalisation des relations libano-syriennes. Si elle avait perçu l’importance de cette demande, on n’en serait pas à parler du Syria Accountability Act aux États-Unis, et à inclure dans le panorama politique syrien ou libanais des propositions de loi américaines. Nous avons aussi demandé, en vain, au pouvoir de tourner la page de la guerre et de libérer Samir Geagea, pour mettre fin à une période de deuil politique chez les chrétiens, sans quoi le renouveau est impossible. La présence de Geagea en prison représente une injustice dans la mémoire collective chrétienne, et il faut absolument tourner cette page. » Et le même raisonnement vaut pour un retour de Michel Aoun, « qui doit recouvrer sa place dans son pays ». « Il existe un droit acquis aux Libanais de penser comme ils le veulent, même s’ils sont pour le Syria Accountability Act. Moi je suis pour l’application de Taëf, mais j’accuse le pouvoir de n’avoir pas pris les requêtes de l’opposition en considération. Son négativisme a conduit certains Libanais à se tourner vers des propositions de loi aux États-Unis », estime-t-il.

L’opposition, oui,
mais laquelle ?
À ceux qui reprochent à l’opposition d’être constamment sur la défensive et de ne pas être suffisamment agressive, Farès Souhaid nuance : « Nous n’étions pas sur la défensive lors de la réconciliation de la Montagne. Au contraire, c’est le pouvoir qui a répondu par des rafles dans les rangs des étudiants, le 7 août 2001. Nous n’étions pas non plus sur la défensive lors de la bataille du Metn, lorsque nous avons mené un combat pour montrer notre attachement aux concepts de la démocratie et de l’alternance, que l’on cherche à nous imposer maintenant avec des porte-avions. Après la fermeture de la MTV, c’est vrai, l’opposition a perdu de son éclat et s’est retrouvée sur la défensive, alors que nous aurions pu être un peu plus agressifs. Mais le problème régional et international a joué un rôle de frein inhibiteur. » Selon lui, l’opposition a œuvré durant cette période de crise irakienne en faveur de l’unité nationale, alors que le pouvoir a tenté de jouer sur les dissensions confessionnelles.
Pour le député de Jbeil, il est plus que jamais nécessaire de « former un courant politique national pour provoquer le départ d’une bonne partie de la classe politique au pouvoir et rétablir la démocratie ». Un courant politique qui ne serait pas taillé sur mesure pour Kornet Chehwane et le Forum démocratique, mais qui serait ouvert à d’autres forces vives de la société civile, notamment les étudiants. « L’important est de créer une dynamique populaire capable de s’imposer », dit-il. « Il faut susciter un discours politique rassembleur, à partir de ces pôles politiques, avec, en plus, des personnalités opposantes d’appartenances communautaires et régionales diverses, sans pour autant que chaque groupe perde sa spécificité et sa présence sur la scène politique. Avant la guerre, la dynamique existait sur la scène musulmane, avec Kamal Joumblatt et Moussa Sadr. Maintenant, elle existe chez les chrétiens, lesquels doivent tendre la main à des groupes modérés qui sont présents dans l’islam libanais pour créer un levier commun en faveur d’une démocratisation du monde arabe. »
À ses yeux, l’opposition devrait être un « phénomène cumulatif » qui, à partir des contacts avec différentes forces politiques dans toutes les communautés, aboutirait à la naissance d’un courant qui soit prêt à prendre les rênes du pouvoir. « L’alternance peut être réalisée par un gouvernement de transition formé de toutes les forces politiques présentes, y compris le Hezbollah. La mission de ce gouvernement sera de demander l’application de Taëf, la normalisation des relations syro-libanaise, le déploiement de l’armée sur tout le territoire, l’application de la Constitution, la lutte contre la corruption, la mise en place d’un projet de loi électorale équitable, et la création d’une relève au niveau de la classe politique. La tendance opposée à ce projet serait d’aiguiser les clivages confessionnels, de sorte qu’aucun match de basket-ball ne puisse plus se dérouler au Liban. » En bref, un avant-goût de chaos.

Le retrait syrien
Farès Souhaid croit à un retrait syrien total du Liban, qui se produirait au début de l’an prochain, et qui pourrait aboutir à un assainissement sur la scène politique libanaise. Mais si, côté syrien, on réclame un climat de confiance avant de procéder à ce retrait total, M. Souhaid, lui, est d’un avis contraire : « Il faut appliquer les accords de Taëf, puis aboutir à un gouvernement de transition nationale qui puisse faire face au gouvernement syrien et réclamer un retrait total des forces syriennes du Liban. » C’est ensuite que la confiance sera rétablie et qu’on pourra, dit-il, normaliser les relations avec la Syrie, dans le respect mutuel des spécificités des deux pays. « Le pouvoir syrien aurait dû tirer profit des douze années de son mandat sur le Liban, qui a été largement appuyé par les États-Unis, et œuvrer pour créer plus de confiance entre les deux sociétés pour que les Libanais se sentent à l’aise avec une Syrie démocrate et moderne. Mais rien n’est perdu. Il va y avoir un retrait syrien du Liban. Et il faut rejeter les influences syrienne et américaine. Ce que nous voulons, c’est une influence libanaise au Liban, capable de réconcilier le monde arabe et le monde occidental. »
Michel HAJJI GEORGIOU
Samedi dernier, au couvent Notre-Dame du Mont, à Fatqa, Farès Souhaid a invité un groupe de personnalités de l’opposition, notamment des membres du Forum démocratique, du Renouveau démocratique et du Rassemblement de Kornet Chehwane, pour définir une nouvelle dynamique, nationale et plurielle, au sein de l’opposition. Un événement pour le moins original sur la scène...