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INTERVIEW - Le confessionnalisme politique continue de miner la société Michael Hudson : Le Liban a raté l’occasion de se moderniser(photo)

Celui qui avait prévu la guerre civile au Liban quelque sept ans avant son éclatement continue de croire que les clivages communautaires restent l’un des vices majeurs au sein de la République de Taëf. Professeur éminent à Georgetown, Michael Hudson avait, dans un célèbre ouvrage de 1968, The Precarious Republic (La république précaire), décortiqué le système politique libanaise en prévoyant la rupture qui allait s’ensuivre quelques années plus tard. Aujourd’hui, il affirme que le confessionnalisme s’est aggravé au sein du système. D’où son pessimisme quant à l’avenir du pays du Cèdre, qui, à l’ombre d’une nouvelle Constitution qui a perpétué le sectarisme, n’a toujours pas réussi à jeter les fondements d’un État moderne. Un problème d’autant plus inquiétant que « la présence syrienne n’a fait qu’exacerber les divisions confessionnelles », faisant péricliter le projet d’union nationale. Dans une entrevue accordée à L’Orient Le-Jour lors de son bref passage à Beyrouth, où il a pris part à une conférence régionale sur l’Irak, Michael Hudson nous confie ses impressions sur la question libanaise.
Lorsqu’il introduit le problème libanais à ses étudiants à l’Université de Georgetown, le professeur américain leur parle de quatre phases majeures qui ont ponctué l’histoire contemporaine du Liban : la période de la formation de l’État, l’âge d’or ou le temps de la République libérale, celui de la République des milices et, bien entendu, l’après-Taëf. « Malheureusement, je constate que le confessionnalisme est un point commun à toutes ces périodes », fait remarquer M. Hudson.
Pourtant, dit-il, le Liban aurait dû saisir la grande opportunité de changement qui s’était présentée à la fin de la guerre. C’était une période de transition par excellence au cours de laquelle ce pays devait choisir s’il fallait ou non continuer sur le même chemin, qui est celui du confessionnalisme institutionnalisé. « Or, les Libanais n’ont pas réussi à provoquer des changements majeurs à travers la Constitution de Taëf. La réforme qui a eu lieu a consisté à réintroduire le confessionnalisme dans le système en y apportant quelques rectifications », affirme l’expert. « Un véritable changement suppose qu’un leadership courageux prenne les choses en main et suggère une formule plus moderne dans laquelle le jeu politique se ferait par le biais des partis et des programmes électoraux et non des communautés. »
Et d’ajouter : « C’est drôle de voir comment, en définitive, les Libanais ont interprété la guerre. J’ai toujours pensé que le Liban, à cause de ses divisions, était particulièrement vulnérable et pouvait s’effondrer à n’importe quel moment », dit-il en allusion à son ouvrage.
Se gardant de juger les intentions des pionniers des accords de Taëf, M. Hudson se contente de faire remarquer que si les responsables avaient eu un temps de réflexion suffisant après la guerre, ils auraient peut-être pu mettre en place un système « moins fragile ». Or, dit-il, l’état d’esprit des gens au lendemain des hostilités était tel que le sentiment d’insécurité a augmenté, et avec lui, le confessionnalisme. « Les responsables se sont donc rabattus sur un modèle qu’ils connaissaient déjà. » Taëf était censé mener à l’abolition du confessionnalisme politique, de même que le pacte national de 1943 avait été présenté comme une mesure temporaire, rappelle-t-il. « Mais le provisoire trouve toujours le moyen de devenir permanent. »
Caractérisée par une stabilité apparente, la nouvelle formule a dévoilé beaucoup de défauts notamment au niveau de la répartition proportionnelle des fonctions publiques entre les communautés.
« Si je suis pessimiste à propos du Liban, c’est parce que les clivages confessionnels sont aujourd’hui plus profonds. La solidarité libanaise s’est nettement affaiblie », a-t-il indiqué, précisant que la grande faille du système est de voir les hommes politiques œuvrer dans leurs propres intérêts et non dans l’intérêt des citoyens, ce qui les porte à freiner toute politique publique et à ignorer les attentes de la population. Une situation qui, dit-il, devient d’autant plus critique que le pays passe par une crise économique.
« Lorsque je lis aujourd’hui les journaux libanais, je retrouve la même rengaine que dans les années 70. Ce sont les mêmes plaintes, les mêmes frustrations. Dans un tel contexte, la politique se réduit à une question de survie au jour le jour », constate le professeur d’université.

Le facteur syrien
La présence syrienne au Liban a-t-elle nourri les pratiques confessionnelles au niveau de l’État ?
« Si la Syrie jouit d’une telle domination, c’est justement parce qu’elle joue sur la fibre confessionnelle qu’elle exploite à son avantage. Il est certes plus simple d’étendre son hégémonie sur un pays divisé », a noté M. Hudson. Entendre : c’est elle qui manipule les hommes politiques et les formations en présence, en s’imposant comme autorité de référence et comme tuteur lorsque les Libanais se disputent entre eux.
Une politique que l’intellectuel considère astucieuse, voire cynique par moments.
Considère-t-il pour autant qu’un retrait syrien est imminent au regard des pressions américaines sur ce pays au lendemain de la guerre irakienne ?
Évoquant les intérêts mutuels qui lient depuis longtemps les États-Unis à la Syrie, M. Hudson relève l’ambiguïté qui caractérise la relation bilatérale : d’un côté, les relations sont tendues et conflictuelles , d’un autre, il y a coopération, dit-il. Par conséquent, « la Syrie joue à l’équilibriste, et les Américains exercent et continueront d’exercer une pression sur eux. Mais la question fondamentale est de savoir si les États-Unis veulent véritablement voir les Syriens quitter le Liban ». Quand bien même certains membres du Congrès et de l’Administration américaine sont en faveur de la libération du Liban, il est difficile de répondre à cette question, dit-il.
Selon lui, l’Administration continuera de faire pression sur la Syrie pour qu’elle sorte du Liban. Reste à savoir quelle sera l’ampleur de ces pressions. « Je ne pense pas que les Américains auront recours à une intervention militaire », poursuit M. Hudson. « S’ils décident un jour de mener une action contre ce pays, ce ne sera pas pour des considérations libanaises, mais plutôt irakiennes, dans le cas de figure où la Syrie permettrait l’infiltration de combattants en Irak à travers ses frontières. »
« Les États-Unis veulent engager la Syrie dans le processus de paix. Et celle-ci y trouve également son intérêt. Alors ils se livrent à un jeu tactique, à la différence près que la Syrie est en position de faiblesse actuellement, donc plus vulnérable aux pressions », conclut M. Hudson.

Jeanine JALKH
Celui qui avait prévu la guerre civile au Liban quelque sept ans avant son éclatement continue de croire que les clivages communautaires restent l’un des vices majeurs au sein de la République de Taëf. Professeur éminent à Georgetown, Michael Hudson avait, dans un célèbre ouvrage de 1968, The Precarious Republic (La république précaire), décortiqué le système politique...