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Plutôt qu’une victoire, un lot de consolation pour l’Est

Un tonneau des Danaïdes, percé et impossible à remplir. Des dizaines et des dizaines de milliers de naturalisations. C’est bien le diable si on parvient à en annuler quelques centaines. Concrètement, le mal est fait et ne peut qu’être partiellement réparé. Dès lors il est difficile de parler de victoire, même simplement morale, pour l’opposition. Et le renvoi du décret de 94 au gouvernement par le Conseil d’État, avec un hypothétique effet suspensif, revêt tous les aspects d’un lot de consolation, après la formation d’un cabinet monochrome dont l’Est est resté exclu. Quoi qu’il en soit, le ministère de l’Intérieur doit être incessamment, lundi ou mardi, notifié de l’arrêt rendu par l’instance que préside le juge Ghaleb Ghanem. La sentence, on le sait, admet indirectement le recours introduit par la Ligue maronite (en date du 26 août 1994 !) contre le décret des naturalisations promulgué le 20 juin de cette mémorable année marquée par l’arrestation de Geagea. La sentence n’abolit pas le décret mais s’en remet à l’Intérieur pour biffer les naturalisations illégitimes ou illégales. Les autres seront confirmées. Si la justice refile cette patate chaude à l’administration, c’est parce qu’elle-même manque de moyens pour mener à bien les investigations requises dans les délais. c’est-à-dire avant les dix ans au bout desquels une naturalisation devient entière et définitive, avec droit d’éligibilité. Or neuf années ont déjà passé et c’est là une des raisons du timing de la décision prise. Sur le plan psychopolitique, le pouvoir marque un point du côté de la rue chrétienne. Il semble en effet lui faire un cadeau, en même temps qu’il se présente lui-même sous un jour riant de gouvernant équitable. Ce qui fait que même certains opposants se sont crus obligés d’y aller d’un petit hommage aux responsables pour leur geste. Dans lequel, souligne un observateur averti, il faut voir avant tout un message de remerciements et d’excuses au patriarche Sfeir. Remerciements pour ses positions à l’égard de la guerre en Irak et, dans ce cadre, aux éloges rendus au président Assad pour son discours de Charm el-Cheikh. Et excuses pour n’avoir pas mis sur pied le cabinet d’entente nationale que le patriarcat souhaitait. En amont, la même personnalité souligne que la suspension du décret des naturalisations tombe à pic pour étayer le point de vue du régime farouchement opposé à l’implantation. En effet, le Liban montre ainsi qu’il se préoccupe effectivement de la question des équilibres démographiques confessionnels. Cet argument, on le sait, constitue la clef de voûte du rejet viscéral libanais de toute implantation des Palestiniens. Hôtes qui ne trouvent plus, en principe, une échappatoire pour s’incruster ici sous couvert de naturalisation. Seulement, au niveau jamais négligeable et souvent déterminant de la politique électoraliste, on se pose des questions sur l’évolution des rapports de force dans certaines régions, traitées depuis 94 à l’uranium enrichi des soi-disant nouveaux Libanais, souvent transbahutés par cars entiers d’un pays voisin pour déposer leurs bulletins dans l’urne. En principe, mais en principe seulement, ces surcharges voulues, qui faussent la volonté populaire, doivent être gommées. Mais en pratique on ne sait pas trop, du moment que c’est l’Intérieur qui est chargé lui-même de s’en occuper. Les députés et les avocats qui ont traité le dossier depuis l’origine, comme Nehmetallah Abi Nasr et Antoine Akl, s’inquiètent des mécanismes qui vont être adoptés pour apurer les comptes du décret 94. Certains suggèrent que la justice rentre de nouveau en scène pour surveiller tout cela. C’est-à-dire qu’à leur avis, il faudrait confier à des commissions présidées par des magistrats et comprenant des fonctionnaires le soin d’étudier les dossiers des impétrants un par un. Et de régler le cas de blocs compacts comme les Arabes de Wadi Khaled ou les sept villages enclavés en Palestine. Les mêmes sources soulignent qu’en tout état de cause, il faut veiller à ce que la politique politicienne dite du partage du gâteau n’entre pas en ligne. Et que les puissants ne puissent pas avoir leurs naturalisés comme ils ont leurs députés, leurs ministres ou leurs fonctionnaires bien à eux. Du côté de Kornet Chehwane, on apprécie la suspension du décret de 94. Mais on se hâte d’exprimer des craintes au sujet d’amalgames permettant de faire passer en partie l’implantation sous le couvert des naturalisations. Les opposants souhaitent de même que les vrais-faux naturalisés ne servent plus d’instrument électoral pour gonfler les urnes çà ou là au profit du pouvoir. Cela étant, le casse-tête juridique ne fait que commencer, que va-t-on faire, en cas d’invalidation, des passeports délivrés aux naturalisés, ou des biens qu’ils ont acquis, ainsi que des entreprises qu’ils ont mises sur pied en tant que Libanais ? Philippe ABI-AKL
Un tonneau des Danaïdes, percé et impossible à remplir. Des dizaines et des dizaines de milliers de naturalisations. C’est bien le diable si on parvient à en annuler quelques centaines. Concrètement, le mal est fait et ne peut qu’être partiellement réparé. Dès lors il est difficile de parler de victoire, même simplement morale, pour l’opposition. Et le renvoi du décret...