Rechercher
Rechercher

Actualités

Démocratie ou apocalypse ?

Par Ghassan TUÉNI « Mille mercis, président Bush (…) merci de révéler au monde le gigantesque abîme qui existe entre les décisions des gouvernants et les désirs du peuple. » Paulo Coelho Il nous faut absolument échapper à la dialectique de la mort où l’on semble vouloir nous enfermer : choisir entre l’appel au martyre collectif que Saddam Hussein adresse au monde arabo-musulman, et la démocratie militariste à laquelle nous invite la « nouvelle Rome », par sa technologie sophistiquée de la destruction, « live » sur petit écran. Contre le Saint-Empire romain-germanique, « born again » dans les prêches des « hezbollah chrétiens », si éloquemment résumées par Condoleezza Rice : « Washington est la Rome du nouveau millénaire »… que pouvons-nous dire, que pouvons-nous faire ? -1- D’abord et avant toute autre chose, oser proclamer le refus d’universalisation (j’allais dire de « mondialisation ») du mythe de Massada qui ne cesse de motiver, comme par instinct, les inspirateurs israéliens de la politique de George W. Bush, à tous les niveaux de son administration. Que le général Sharon construise tout seul la mini-muraille de Chine qui doit protéger son État-ghetto, sa forteresse du suicide… L’Amérique, elle, doit se libérer des Richard Perle et autres agents des boîtes à penser israéliennes qui ont inventé la guerre d’Irak et continuent de vouloir la gérer. Que l’Amérique daigne lire, dans sa presse demeurée assez libre de le dire, la mise en garde contre un enlisement semblable à celui d’Israël au Liban où le même Sharon menait son armée en, 1982, à sa « victoire » la plus tragique. -2- Mais parlons plutôt du Liban d’aujourd’hui. Au lieu de se réfugier dans sa diplomatie de perroquet bavard et insignifiant, le Liban doit se distinguer du monde arabo-musulman en s’affirmant, une fois de plus, comme « Patrie-message ». Sans circonlocutions inutiles, mais aussi sans haine ni violence, et surtout sans complexes, il nous faut répéter, à l’adresse de la très puissante Amérique, cet avertissement de Jean-Paul II : « La guerre d’Irak menace de détruire l’humanité. » Pourquoi le Liban ? Parce que c’est au Liban que commencera, en langue d’Évangile, l’apocalypse dont nous avons vécu les présages, pendant près d’un demi-siècle. Et que, triompher de l’apocalypse est le sens du message que Jean-Paul II est venu nous confier, en invitant nos églises à prier pour l’islam avec amour. Or, c’est ce même islam qui se sent aujourd’hui menacé, par une croisade – ô combien mensongère – mais tout autant par un obscurantisme despotique qui lui impose, chaque jour davantage, le faux jihad des Ben Laden d’occasion, fabriqués par les officines occultes des terrorismes d’État, féales d’Israël. -3- Ici, une parenthèse s’impose, à l’adresse des Libanais adeptes nostalgiques d’un militantisme chrétien : gare à ceux qui pensent qu’une nouvelle « géographie torturée » du Moyen-Orient, quelle qu’elle soit, leur réservera une meilleure patrie. Il n’est de sécurité, ni de libre épanouissement, pour les chrétiens arabes que nous sommes, en dehors du Pacte historique avec l’islam, héritage national commun de notre destin. Nous étions déjà arabes avant l’islam, nous sommes demeurés arabes et chrétiens après l’islam, et c’est à nous d’empêcher que l’islam ne désespère de partager avec les chrétiens d’abord, puis grâce à eux avec tous les chrétiens du monde, une culture de la liberté et de la paix. Or, contre cette culture de la liberté et de la paix se dressent deux ennemis : le despotisme dont nous souffrons et le retour d’un impérialisme impossible, qui s’obstine à nous mettre à genoux. Deux ennemis de la liberté et de la paix, mais néanmoins frères et alliés objectifs. Car rien ni personne ne sert mieux et n’a mieux servi les desseins secrets du colonialisme que les dictatures qui ont asservi leurs peuples et les ont obligés à se complaire dans un sous-développement politique et socio-économique. Les peuples ainsi opprimés sont le terreau du nihilisme le plus agressif : un terrorisme que ne légitime ni l’orgueil pseudo-révolutionnaire ni le désespoir érigé en philosophie nationaliste Ainsi, corollairement (dialectiquement, diraient certains) mais à une bien plus grande échelle, l’échelle universelle, c’est à juste titre que les sages d’Amérique craignent le péril qu’encourt un « ordre nouveau », perçu comme despotique et oppressif. Le péril d’une internationale du terrorisme, qui partirait d’un islam unifié par la colère, et auquel se rallieraient tous les déshérités du monde, heureux de rejeter une légitimation de la puissance par l’exercice absolu de cette puissance même ! -4- N’est-ce pas là le summum du paradoxe, voire de l’absurde ? Bien curieuse démocratie que celle qui prétend que 5% des habitants de la planète – les Américains – pourraient dicter un ordre nouveau, par leur seule puissance, aux 95% du reste de l’humanité. Or, plus que le monde arabo-musulman en voie de conquête malgré ses richesses obscènes ; plus que la misérable Afrique, et plus que l’Amérique du Sud aussi appauvrie qu’ignorée – c’est l’Europe, à prédominance chrétienne, qui se rebelle, mais dialogue. C’est aussi la Russie qui se révolte et menace. C’est enfin la Chine qui se réveille, mais sans bousculer sa profonde et pesante sagesse. -5- Le spectacle, le paysage mondial est bien différent de ce qu’il était en 1920, lors de la Conférence de Versailles, ou de ce qu’il fut en 1945 quand la Conférence de San Francisco déclarait, au nom des « peuples du monde », leurs droits inaliénables à la paix et à la liberté. Cette déclaration, qui rappelait les accents des déclarations des droits de l’homme et du citoyen des deux révolutions américaine et française, préfaçait les articles d’association de la Charte de l’Organisation des Nations unies. Cette même Organisation que ridiculise aujourd’hui Washington la jugeant aussi inutile que son ancêtre, la Société des Nations éclatée en 1939 au début de la seconde guerre mondiale. Faut-il une nouvelle guerre mondiale pour persuader les superpuissances ainsi que les petits États, les vainqueurs autant que les vaincus, qu’ils ont besoin de revenir aux préceptes du « Droit des Gens » pour organiser les relations entre les nations dans le cadre d’une juste distribution des droits et des devoirs? Certes, Washington a raison de penser que l’Onu est à refaire. Mais alors dans la transparence la plus démocratique, « au nom des peuples » qui ont exprimé leur volonté de paix et de liberté par des manifestations mille fois plus éloquentes que tous les discours des diplomates et des chefs d’État. Cela d’ailleurs avait déjà été décidé dans une réunion du Conseil de sécurité, tenue en 1992 par les chefs d’État et de gouvernement, pour célébrer la fin de la guerre froide. Faut-il une nouvelle guerre froide pour revenir aux réformes de l’Onu alors formulées ? Ou bien devons-nous attendre une guerre nucléaire – peut-être par accident – où vainqueurs et vaincus se retrouveront également détruits ? Lieu des guerres et des paix d’antan, c’est de la Méditerranée que doit partir l’entreprise ultime pour établir une Paix que le monde espère juste donc durable. Les deux rives doivent s’unir, mais c’est de la rive dite Sud – et pourquoi pas du Liban particulièrement ? – que doit émerger le dialogue tant attendu par l’Union européenne. Ce dialogue pourrait très bien s’inspirer de l’amour de la Jérusalem, civitas dei, un amour partagé par tous, mais non divisible. Il devra tendre à un rééquilibrage des continents, qui supplanterait l’antique équilibre des forces, autant que l’illusoire choc des civilisations. La Russie ne pourrait-elle pas étendre l’Europe de l’Atlantique jusqu’aux rives rapprochées de l’océan Pacifique où elle retrouverait l’Amérique (côté Bush West), la Chine, le Japon ainsi que l’Asie (musulmane et indienne) comme partenaires de l’avenir? Le Pacifique – nom présage ! – ne serait-il pas destiné à devenir un centre de gravité du troisième millénaire – succédant ainsi à l’océan Atlantique – sur les rives duquel se déroulaient les guerres autant que dialoguaient les cultures des siècles passés ? Quel merveilleux et plus dynamique contexte peut-on espérer pour une reprise du dialogue entre une Amérique remise des velléités bonapartistes et une Europe qui trouvera dans l’option nucléaire russe l’argument dissuasif contre toute ambition washingtonienne de guerres préventives ? « Just in case » – comme diraient les Américains – la guerre d’Irak, et déjà celle d’Afghanistan, ne suffisent pas à prouver que les risques encourus sont supérieurs à ceux que l’on croyait prévenir.
Par Ghassan TUÉNI « Mille mercis, président Bush (…) merci de révéler au monde le gigantesque abîme qui existe entre les décisions des gouvernants et les désirs du peuple. » Paulo Coelho Il nous faut absolument échapper à la dialectique de la mort où l’on semble vouloir nous enfermer : choisir entre l’appel au martyre collectif que Saddam Hussein adresse au monde...