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Anthony Rowley et Pierre Vallaud s’expriment sur la guerre en Irak « L’intervention US vise à une réorganisation militaro-économique de la région »(photo)

Depuis l’amorce de la crise irakienne, et au fur et à mesure de son développement, les spéculations, discours prospectifs, analyses médiatiques fusent de toute part concernant l’avenir du Moyen-Orient et, plus globalement, du système international. Aussi bien les médias arabes et internationaux, comme al-Jazira et CNN, que les analystes et les hommes politiques ont discuté, proposé et ressassé diverses sortes de scénarios : certains relatifs à l’effondrement du système international post-Yalta, fondé sur l’Onu, d’autres parlant même de refonte de ce système autour de l’unilatéralisme américain (déclarations du secrétaire d’État américain Colin Powell sur la « Vieille Europe » à l’appui). Au plan régional, les États-Unis ont, plusieurs fois, par la bouche du même Colin Powell et de certains membres de l’Administration US, manifesté leur volonté de « démocratiser » le Moyen-Orient. Le directeur du Centre d’études et de recherche stratégique (CERGES) du département d’histoire à l’Université Saint-Joseph (USJ), le Français Pierre Vallaud, et le professeur d’histoire à l’Institut d’études politiques (IEP), l’Américain Anthony Rowley – qui donnera aujourd’hui une conférence au campus des sciences humaines de l’USJ (rue de Damas) sur le thème « États-Unis, Europe : alliance et concurrence » –, estiment qu’il est un peu hardi de parler aussi bien de démocratisation du Moyen-Orient que de refonte du système international. « Tout le problème est, effectivement, celui de l’après-guerre. Cet après-guerre, le président américain lui a assigné un certain nombre de buts. Entre autres, il y aurait une démocratisation, non seulement de l’Irak, mais aussi de la région. Pour ma part, je pense que c’est une illusion. Abattre un dictateur et évincer son régime me semble une évidence, mais la démocratie ne s’importe pas. Elle est la résultante d’une volonté nationale, d’un processus culturel », affirme Pierre Vallaud. « On peut plaquer un certain nombres d’institutions et mettre en place un pouvoir militaire extérieur, une sorte de proconsulat américain. Mais, historiquement, tous les exemples similaires ont été des échecs. L’éviction de Saddam Hussein et du régime baassiste permettra sans doute au peuple irakien de bénéficier de plus de libertés, sans pour autant développer ex nihilo la démocratie en Irak. Et encore moins dans le reste de la région. Les autres États ne sont pas plus prêts à la démocratie que l’Irak, et je ne vois pas pourquoi ils deviendraient démocratiques par contagion », insiste M. Vallaud. De l’avis de M. Rowley, l’entrée des troupes US ne favorisera ni une démocratisation ni une libéralisation de la région. « Il n’y a pas d’harmonisation économique possible. Les pays de la région sont les sous-traitants au niveau de la mondialisation, et il n’y a aucune raison que, par miracle, ils soient absorbés dans le grand jeu mondial économique et diplomatique. Le mieux, ou le moins mal qui puisse arriver – il n’y a, à mon avis, que de mauvaises solutions – c’est qu’on assiste, à partir de l’Irak et dans le cadre d’un protectorat américain, à une réorganisation régionale militaro-économique sous le contrôle américain, et avec en partie des fonds européens, ce qui posera à l’avenir un problème économique américano-européen. Dans ce cadre-là, il se pourrait que l’on assiste à un changement en Syrie, sauf si ce pays devient une Allemagne de l’Est du Proche-Orient, mais je n’y crois pas vraiment. Mais, si le régime syrien disparaît, cela se passera très mal, notamment pour le Liban. Quelle serait alors la solution alternative en Syrie ? Le seul pays qui s’approche un peu de la démocratie, c’est le Liban. Les autres sont à une altitude sidérale... Ce serait un tour de force si les États-Unis arrivent à imposer la démocratie dans cette région du monde », estime-t-il. Redessiner le Proche-Orient « Les États-Unis veulent redessiner le Proche-Orient, parce qu’ils ne le maîtrisent plus », indiquent les deux historiens. « Les Américains dans la région ont trois grands alliés : l’Arabie saoudite, Israël et la Turquie. L’une des raisons pour lesquelles ils interviennent en Irak est qu’ils n’ont plus confiance en l’Arabie saoudite. Quant à Israël, il ne peut pas être un allié politique solide étant donné ses rapports conflictuels avec les pays arabes. Enfin, la Turquie est un allié qui devient encombrant parce qu’il n’a pas les mêmes objectifs stratégiques que les États-Unis », poursuit M. Vallaud. D’où la nécessité de faire de l’Irak un protectorat. « Au-delà du drame en soi, la guerre redessine les rapports de forces internationaux. D’un côté, il y a les États-Unis, première puissance militaire du monde, et de l’autre, l’Union européenne, première puissance commerciale. Le rapport de forces est là », affirme-il. Un clivage qui met en exergue, selon lui, deux visions différentes des relations internationales : l’une, fondée sur le respect du droit international pour la résolution des conflits, est actuellement défendue par la France. L’autre est reflétée par la position US, et se ramène à la puissance et aux intérêts, autrement dit l’unilatéralisme réaliste. « On est à la veille d’une série de tremblements de terre à tous les niveaux. Quand on déclenche le séisme, il faut savoir si on est capable de le maîtriser », reprennent les deux analystes en chœur. Vers un retour US dans le système de l’Onu ? Par contre, les deux hommes ne percoivent pas une éventuelle refonte du système international en place. « Pour refondre, il faut être deux », estime Anthony Rowley. Le système international est un système commercial qui fonctionne bien, et la guerre irakienne n’y changera pas grand-chose. « Dans le cadre américano-européen, on est plus dans l’ordre de la concurrence que dans celui de l’affrontement », précise M. Rowley. Les deux hommes s’opposent à la lecture d’une Europe en désagrégation, traversée par un axe franco-allemand d’une part, et par un axe hispano-italo-britannique de l’autre. Au contraire, « les intérêts économiques et les échanges commerciaux entre les pays de l’UE dépassent tous ces clivages politiques », souligne M. Vallaud. « Le cas Aznar ne constitue pas un axe hispano-anglais. Les Américains ont toujours apporté un soutien idéologique, intellectuel et financier, notamment aux partis de droite au Danemark, en Espagne et au Portugal », indique M. Rowley. Et Pierre Vallaud donne l’exemple du refus final de l’Italie de participer à la guerre pour casser cette image de déconstruction de l’UE en axes. Les deux spécialistes relativisent les conséquences de cette guerre sur le sytème international, évoquant une « guerre économique entre l’UE et les États-Unis qui est, elle, beaucoup plus grave », selon le professeur français. D’autant plus, conclut M. Rowley, que les États-Unis, malgré l’unilatéralisme dont ils font preuve, seront bien obligés de retourner dans le cadre du système de l’Onu pour gérer l’après-guerre, et notamment pour pouvoir assurer la reconstruction de l’Irak. Michel HAJJI GEORGIOUDepuis l’amorce de la crise irakienne, et au fur et à mesure de son développement, les spéculations, discours prospectifs, analyses médiatiques fusent de toute part concernant l’avenir du Moyen-Orient et, plus globalement, du système international. Aussi bien les médias arabes et internationaux, comme al-Jazira et CNN, que les analystes et les hommes politiques ont discuté, proposé et ressassé diverses sortes de scénarios : certains relatifs à l’effondrement du système international post-Yalta, fondé sur l’Onu, d’autres parlant même de refonte de ce système autour de l’unilatéralisme américain (déclarations du secrétaire d’État américain Colin Powell sur la « Vieille Europe » à l’appui). Au plan régional, les États-Unis ont, plusieurs fois, par la bouche du même Colin Powell et de certains membres de l’Administration US, manifesté leur volonté de « démocratiser » le Moyen-Orient. Le directeur du Centre d’études et de recherche stratégique (CERGES) du département d’histoire à l’Université Saint-Joseph (USJ), le Français Pierre Vallaud, et le professeur d’histoire à l’Institut d’études politiques (IEP), l’Américain Anthony Rowley – qui donnera aujourd’hui une conférence au campus des sciences humaines de l’USJ (rue de Damas) sur le thème « États-Unis, Europe : alliance et concurrence » –, estiment qu’il est un peu hardi de parler aussi bien de démocratisation du Moyen-Orient que de refonte du système international. « Tout le problème est, effectivement, celui de l’après-guerre. Cet après-guerre, le président américain lui a assigné un certain nombre de buts. Entre autres, il y aurait une démocratisation, non seulement de l’Irak, mais aussi de la région. Pour ma part, je pense que c’est une illusion. Abattre un dictateur et évincer son régime me semble une évidence, mais la démocratie ne s’importe pas. Elle est la résultante d’une volonté nationale, d’un processus culturel », affirme Pierre Vallaud. « On peut plaquer un certain nombres d’institutions et mettre en place un pouvoir militaire extérieur, une sorte de proconsulat américain. Mais, historiquement, tous les exemples similaires ont été des échecs. L’éviction de Saddam Hussein et du régime baassiste permettra sans doute au peuple irakien de bénéficier de plus de libertés, sans pour autant développer ex nihilo la démocratie en Irak. Et encore moins dans le reste de la région. Les autres États ne sont pas plus prêts à la démocratie que l’Irak, et je ne vois pas pourquoi ils deviendraient démocratiques par contagion », insiste M. Vallaud. De l’avis de M. Rowley, l’entrée des troupes US ne favorisera ni une démocratisation ni une libéralisation de la région. « Il n’y a pas d’harmonisation économique possible. Les pays de la région sont les sous-traitants au niveau de la mondialisation, et il n’y a aucune raison que, par miracle, ils soient absorbés dans le grand jeu mondial économique et diplomatique. Le mieux, ou le moins mal qui puisse arriver – il n’y a, à mon avis, que de mauvaises solutions – c’est qu’on assiste, à partir de l’Irak et dans le cadre d’un protectorat américain, à une réorganisation régionale militaro-économique sous le contrôle américain, et avec en partie des fonds européens, ce qui posera à l’avenir un problème économique américano-européen. Dans ce cadre-là, il se pourrait que l’on assiste à un changement en Syrie, sauf si ce pays devient une Allemagne de l’Est du Proche-Orient, mais je n’y crois pas vraiment. Mais, si le régime syrien disparaît, cela se passera très mal, notamment pour le Liban. Quelle serait alors la solution alternative en Syrie ? Le seul pays qui s’approche un peu de la démocratie, c’est le Liban. Les autres sont à une altitude sidérale... Ce serait un tour de force si les États-Unis arrivent à imposer la démocratie dans cette région du monde », estime-t-il. Redessiner le Proche-Orient « Les États-Unis veulent redessiner le Proche-Orient, parce qu’ils ne le maîtrisent plus », indiquent les deux historiens. « Les Américains dans la région ont trois grands alliés : l’Arabie saoudite, Israël et la Turquie. L’une des raisons pour lesquelles ils interviennent en Irak est qu’ils n’ont plus confiance en l’Arabie saoudite. Quant à Israël, il ne peut pas être un allié politique solide étant donné ses rapports conflictuels avec les pays arabes. Enfin, la Turquie est un allié qui devient encombrant parce qu’il n’a pas les mêmes objectifs stratégiques que les États-Unis », poursuit M. Vallaud. D’où la nécessité de faire de l’Irak un protectorat. « Au-delà du drame en soi, la guerre redessine les rapports de forces internationaux. D’un côté, il y a les États-Unis, première puissance militaire du monde, et de l’autre, l’Union européenne, première puissance commerciale. Le rapport de forces est là », affirme-il. Un clivage qui met en exergue, selon lui, deux visions différentes des relations internationales : l’une, fondée sur le respect du droit international pour la résolution des conflits, est actuellement défendue par la France. L’autre est reflétée par la position US, et se ramène à la puissance et aux intérêts, autrement dit l’unilatéralisme réaliste. « On est à la veille d’une série de tremblements de terre à tous les niveaux. Quand on déclenche le séisme, il faut savoir si on est capable de le maîtriser », reprennent les deux analystes en chœur. Vers un retour US dans le système de l’Onu ? Par contre, les deux hommes ne percoivent pas une éventuelle refonte du système international en place. « Pour refondre, il faut être deux », estime Anthony Rowley. Le système international est un système commercial qui fonctionne bien, et la guerre irakienne n’y changera pas grand-chose. « Dans le cadre américano-européen, on est plus dans l’ordre de la concurrence que dans celui de l’affrontement », précise M. Rowley. Les deux hommes s’opposent à la lecture d’une Europe en désagrégation, traversée par un axe franco-allemand d’une part, et par un axe hispano-italo-britannique de l’autre. Au contraire, « les intérêts économiques et les échanges commerciaux entre les pays de l’UE dépassent tous ces clivages politiques », souligne M. Vallaud. « Le cas Aznar ne constitue pas un axe hispano-anglais. Les Américains ont toujours apporté un soutien idéologique, intellectuel et financier, notamment aux partis de droite au Danemark, en Espagne et au Portugal », indique M. Rowley. Et Pierre Vallaud donne l’exemple du refus final de l’Italie de participer à la guerre pour casser cette image de déconstruction de l’UE en axes. Les deux spécialistes relativisent les conséquences de cette guerre sur le sytème international, évoquant une « guerre économique entre l’UE et les États-Unis qui est, elle, beaucoup plus grave », selon le professeur français. D’autant plus, conclut M. Rowley, que les États-Unis, malgré l’unilatéralisme dont ils font preuve, seront bien obligés de retourner dans le cadre du système de l’Onu pour gérer l’après-guerre, et notamment pour pouvoir assurer la reconstruction de l’Irak. Michel HAJJI GEORGIOU
Depuis l’amorce de la crise irakienne, et au fur et à mesure de son développement, les spéculations, discours prospectifs, analyses médiatiques fusent de toute part concernant l’avenir du Moyen-Orient et, plus globalement, du système international. Aussi bien les médias arabes et internationaux, comme al-Jazira et CNN, que les analystes et les hommes politiques ont discuté,...