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Guerre préventive, frappes contre l’Irak sans aval de l’Onu, détention illimitée de prisonniers à Guantanamo Bay : la politique US prête à polémique En faisant fi du droit international, Washington se livre à un jeu dangereux(photos)

Guerre préventive, opération militaire contre l’Irak sans aval de l’Onu, détention illimitée de prisonniers à Guantanamo Bay... Sous couvert de la lutte contre l’axe du mal, les États-Unis ont entrepris, depuis le 11 septembre 2001, une relecture du droit international qui prête à polémique. Dans quelles mesures l’Administration Bush respecte-t-elle encore les grands principes et les conventions du droit international ? Pour plusieurs experts, la situation est inquiétante. Le 1er juin 2002, lors d’un discours devant les cadets de West Point, le président des États-Unis dévoilait sa nouvelle doctrine. Avertissant les Américains qu’ils devaient désormais faire face à une menace d’un nouveau genre, le terrorisme international alimenté par la prolifération des armes de destruction massive, George W. Bush expliquait que les stratégies traditionnelles de dissuasion et d’endiguement ne suffisaient plus. « Si nous attendons que la menace se matérialise complètement, alors nous aurons trop longtemps attendu », lançait-il à une population toujours sous le choc des attentats contre le World Trade Center et le Pentagone. La notion de « guerre préventive » était née. « Une notion complètement inconnue du droit international », explique Carol Khouzami, juriste spécialisée dans ce domaine. La charte des Nations unies, signée en juin 1945, établit un contrat international entre tous ses États membres, au terme du duquel ils « s’abstiennent de recourir à la menace ou à l’emploi de la force » dans leurs relations internationales et « confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité, principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité, le Conseil de sécurité agit en leur nom » (article 2). « La seule exception à l’interdiction de l’emploi de la force dans le cadre des Nations unies est stipulée à l’article 51 », explique Mme Khouzami. Il s’agit de la légitime défense. « Aucune disposition de la présente charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. » « L’élément essentiel ici, souligne Mme Khouzami, est l’antériorité de l’agression à l’exercice de la légitime défense. » Appliquée à l’Irak, la doctrine Bush fait l’objet d’une polémique entre experts. Pour un certain nombre d’éminents juristes britanniques, une guerre en Irak violerait le droit international. Dans une lettre publiée vendredi dernier dans le Guardian, 16 juristes d’universités prestigieuses telles Oxford ou Cambridge expliquent, se fondant sur les informations rendues publiques sur la situation de la crise irakienne, que « rien ne justifie en terme de droit international le recours à la force contre l’Irak ». La légitime défense individuelle ou collective ne peut être invoquée, « personne ne pouvant sérieusement, à ce stade, affirmer que le Royaume-Uni est directement menacé », précisent-ils. Toutefois, pour Terence Taylor, vice-directeur de l’IISS (International Institute for Strategic Studies) et ancien chef des inspecteurs d’une commission spéciale des Nations unies en Irak, la perspective que Bagdad acquière des armes de destruction massive est suffisamment grave pour légitimer une attaque préventive. S’exprimant sur le site « crimes of war », il souligne qu’en 1992, le Conseil de sécurité des Nations unies avait établi que la prolifération d’armes de destruction massive représentait une menace pour la paix et la sécurité internationales. M. Taylor souligne toutefois les dangers que représenterait une attaque sans l’aval de l’Onu. La caution des Nations unies, ceci ne semble néanmoins pas être le souci majeur du président américain qui déclarait le 6 mars dernier : « Quand il s’agit de notre sécurité, nous n’avons vraiment pas besoin de la permission de qui que ce soit pour agir. » Un avis loin d’être partagé par tout le monde et certainement pas par Kofi Annan qui lançait la semaine dernière un avertissement solennel à George W. Bush contre toute tentation unilatéraliste. Le débat à ce sujet est aujourd’hui centré sur une éventuelle deuxième résolution au Conseil de sécurité ouvrant la voie au recours à la force. À mesure que l’opposition de la France, de l’Allemagne et de la Russie à une telle résolution se radicalise, des voix s’élèvent qui laissent entendre qu’une action armée, même sans deuxième résolution, resterait dans le cadre de la légalité. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, déclarait ainsi il y a une dizaine de jours que « la résolution 1441, qui renvoie à la première résolution 660 (d’août 1990) et ainsi de suite, nous donne suffisamment d’autorité légale pour justifier une action armée contre l’Irak si celui-ci est en nouvelle violation patente » des exigences de désarmement de l’Onu. Un argument irrecevable pour Clare Short, elle aussi ministre au sein du cabinet Blair, qui a menacé de démissionner si la Grande-Bretagne entrait en guerre sans nouvelle résolution. L’un des juristes britanniques signataire de la lettre publiée dans le Guardian explique, sur le site de « crimes of war », qu’une opération militaire nécessite légalement l’adoption préalable d’une nouvelle résolution de l’Onu. Pour Vaughan Lowe, professeur de droit public international à Oxford, la résolution 1441 a été élaborée de manière à suggérer que le recours à la force repose sur un simple constat : le non-respect par l’Irak de ses obligations en terme de désarmement. Si l’Irak ne saisit pas la dernière chance offerte par cette résolution, il s’expose à de « graves conséquences ». Ceci étant, rien dans cette résolution, selon M. Lowe, n’octroie à quelqu’un d’autre que le Conseil de sécurité le droit de décider quand cette « dernière chance » a été épuisée. Et si le Conseil de sécurité considérait qu’effectivement l’Irak est en violation de ses obligations, il faudrait encore une autre déclaration explicite pour permettre le recours à la force. Une déclaration qui n’autoriserait toutefois pas Londres et Washington à déposer Saddam Hussein et à installer une direction américaine à Bagdad. « Une nouvelle résolution devrait en effet définir clairement les objectifs d’une action armée », explique M. Lowe. Sur la validité des précédentes résolutions avancées, par M. Straw, le juriste britannique explique qu’elles étaient « des créatures de leur temps ». « Dire qu’un État qui s’est trouvé être membre d’une coalition il y a dix ans a le droit à perpétuité d’utiliser la force pour restaurer la paix au Moyen-Orient est tout simplement absurde. » Combattant illégal Dans le registre des notions inconnues du droit public international, figure également, aux côtés de la « guerre préventive », le concept de « combattant illégal ». Tel est le qualificatif attribué par l’Administration Bush aux détenus de la base américaine de Guantanamo Bay à Cuba qui, dès lors, ne bénéficient pas de la protection de la IIIe Convention de Genève. Or, d’après cette convention, sont des prisonniers de guerre les membres des forces armées d’une partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées. Sont également considérés comme prisonniers de guerre les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance organisés appartenant à une partie au conflit et agissant en dehors et à l’intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, pourvu que ces milices ou corps de volontaires, y compris mouvements de résistance organisés, remplissent les conditions suivantes : – avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnées ; – avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance ; – porter ouvertement des armes ; – se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de guerre. Pour Rayan Kouatly, spécialiste du droit public international, le principe est celui de la présomption que tout individu pris les armes à la main est prisonnier de guerre, sauf preuve du contraire. Un principe dont n’ont pas bénéficié les individus arrêtés par l’armée américaine en Afghanistan et soupçonnés d’appartenir au réseau el-Qaëda. Or, « le refus d’appliquer la convention conduit à une logique de non-droit qui permet notamment aux autorités américaines d’interroger les prisonniers comme elles l’entendent. Les prisonniers de guerre ne sont, en effet, tenus que de fournir leurs nom, grade et unité militaire », explique M. Kouatly. Les prisonniers de guerre doivent, en outre, être relâchés et rapatriés dès la cessation des hostilités. Ils ont également droit à un procès équitable et loyal, à une défense et à la possibilité de recours. De plus, les prisonniers de guerre poursuivis pour crimes de guerre doivent être jugés par la même cour et selon les mêmes règles que celles qui s’appliquent aux forces armées du pays qui les détient. Or, le département américain de la Défense se réserve le droit, grâce au Military Order du 13 novembre 2001, de les traduire devant des « commissions militaires » pouvant prononcer la peine de mort, de les renvoyer dans leur pays d’origine ou de les garder tant que se poursuivra la guerre globale contre le terrorisme. Une échéance pour le moins floue. Enfin, selon toute logique, les individus ne bénéficiant pas du statut de prisonnier de guerre devraient jouir de la protection de la IVe Convention de Genève relative à la protection des réfugiés civils en temps de guerre. Les incohérences et autres irrégularités des pratiques américaines vis-à-vis des détenus de Guantanamo ont été mises en exergue par trois juges britanniques en novembre dernier. Ces trois magistrats statuaient devant une cour d’appel, la plus haute instance juridique après la Chambre des lords, dans le cadre de l’affaire Feroz Abassi, un citoyen britannique détenu au camp Delta de Guantanamo. Refusant de contraindre le gouvernement britannique à porter plainte au nom d’Abassi pour des raisons de politique étrangère, les juges ont néanmoins souligné qu’il leur semblait légalement répréhensible qu’Abassi « soit sujet à une détention illimitée sur un territoire sous contrôle exclusivement américain, sans opportunité de récuser la légitimité de sa détention devant un tribunal ». Et de conclure que la politique américaine était « en apparente contravention avec les principes fondamentaux de l’habeas corpus, de la Convention internationale des droits civils et politiques et du droit international et les prisonniers de Guantanamo étaient arbitrairement détenus dans un trou noir légal ». L’Amérique, qui se pose en gendarme du monde bien qu’ayant refusé de ratifier le traité instituant la Cour pénale internationale, se livre aujourd’hui à un jeu dangereux dont elle n’évalue peut-être pas les conséquences à plus ou moins long terme. Le lancement d’un seul obus sur Bagdad sans l’aval des Nations unies justifiera, à l’avenir, toutes les opérations militaires unilatérales à l’image du bombardement par Israël, condamné en son temps, du réacteur nucléaire irakien Osirak en 1981. Le lancement d’un seul obus sur Bagdad sans l’aval des Nations unies fournira l’excuse tant attendue par New Delhi ou Islamabad pour déclencher les hostilités contre son voisin. Le lancement d’un seul obus sur Bagdad sans l’aval des Nations unies renforcera le règne de la loi du plus fort sur celui du droit international pour un monde un peu plus instable encore. Émilie SUEUR
Guerre préventive, opération militaire contre l’Irak sans aval de l’Onu, détention illimitée de prisonniers à Guantanamo Bay... Sous couvert de la lutte contre l’axe du mal, les États-Unis ont entrepris, depuis le 11 septembre 2001, une relecture du droit international qui prête à polémique. Dans quelles mesures l’Administration Bush respecte-t-elle encore les grands...