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INTERVIEW - Le vice-président du Sénat français explique à « L’Orient-Le Jour » les caractéristiques d’une bonne législation « Trop de lois tuent la loi », estime Adrien Gouteyron (photo)

Moteur de tout système démocratique, le processus législatif repose sur une série de critères, qui diffèrent peut-être d’un pays à un autre, mais qui devraient s’articuler, selon le vice-président du Sénat français, Adrien Gouteyron, autour de trois principes fondamentaux, dans la perspective d’une bonne législation : la nécessité, la logique et la clarté. « Il me semble que, par les temps qui courent, il faut que la loi soit nécessaire, c’est-à-dire qu’il ne faut pas trop en faire, sinon on tuerait sa crédibilité», a déclaré M. Gouteyron, dans une interview accordée à L’Orient-Le jour, en marge des travaux du séminaire sur « le développement d’un modèle pour la rédaction des textes législatifs pour les Parlements arabes ». Un mot d’abord sur le séminaire organisé par la Chambre, en collaboration avec le Pnud : « Son objectif est de définir les conditions d’un bon déroulement et fonctionnement du travail législatif », explique M. Gouteyron. Une telle tâche s’inscrit aussi dans le cadre d’« une bonne gouvernance », un principe auquel une « bonne rédaction de textes législatifs » est intimement liée, mais qui a quand même fait tiquer quelques participants arabes au séminaire. Ces derniers semblaient indisposés par le fait qu’on puisse sous-entendre une mauvaise gouvernance. Tout comme ils ont d’ailleurs exprimé des réserves sur la possibilité que des fonctionnaires puissent s’associer au travail législatif. « J’ai senti que ce débat était sous-jacent dans un certain nombre d’interventions ce matin (hier). Nous sommes là pour faire part d’une expérience. Celles des autres pays peuvent être différentes. L’intérêt est de confronter des expériences. Il y a sûrement des points communs, des exigences communes. Mon intervention s’organisait autour de trois termes ou principes. Il y a d’abord la nécessité : un des risques auxquels les Parlements modernes sont confrontés est celui de l’inflation législative. S’il y a trop de textes, la loi est affaiblie. Pour qu’un texte soit fort, il faut que sa nécessité soit reconnue. La logique ensuite : assurer la logique et la cohérence de l’ensemble de la législation. Nos Parlements sont dotés de commissions spécialisées qui s’attaquent chacune à un dossier. Il faut éviter qu’il y ait contradiction entre les lois examinées par une commission et une autre. La clarté enfin : elle suppose qu’on s’entende sur le sens des mots. Cela peut paraître banal mais ça ne l’est pas. Quand on prend le journal officiel d’il y a un siècle, on constate que tout le monde comprend les débats parlementaires de l’époque, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les débats sont devenus plus techniques, ce qui exige de la part du parlementaire beacoup de travail et qui rend le contrôle du citoyen beaucoup plus difficile. » M. Gouteyron souligne que dans les sociétés modernes, « comme les problèmes qui se posent sont le plus souvent techniques, ils exigent une connaissance technique du sujet traité et une expertise que le pouvoir exécutif possède, plus facilement que le pouvoir législatif parce qu’il est secondé par un grand nombre de fonctionnaires ». Mais cela ne doit pas empêcher, selon lui, les Parlements de se doter des mêmes expertises. « Il faut donc que les parlementaires s’informent des problèmes qu’ils traitent, qu’ils organisent des missions d’information, des missions de contrôle, des groupes de travail, des commissions d’enquête pour préparer le travail législatif, quitte à se rendre parfois sur le terrain », ajoute M. Gouteyron. « Une bonne rédaction des lois est une condition de la démocratie » Une bonne rédaction des lois peut-elle s’inscrire en dehors d’un cadre démocratique ? « Elle suppose évidemment que la démocratie soit un peu instituée, mais en même temps, une bonne rédaction des lois est une condition de la démocratie », déclare le vice-président du Sénat. « Il me semble que, par les temps qui courent, renchérit-il, il faut que la loi soit nécessaire, c’est-à-dire qu’il ne faut pas trop en faire, sinon on tuerait sa crédibilité. C’est un peu comme l’impôt. Trop d’impôts tuent l’impôt. Trop de lois tuent la loi. Les lois doivent être élaborées à bon escient. Il faut que le corpus législatif soit cohérent même si cela ne paraît pas évident. » Mais pour qu’une loi soit bonne, il est indispensable qu’elle soit le fruit d’un travail rigoureux de recherche (missions d’information, groupes de travail, audition des personnes concernées) entrepris en grande partie par des « fonctionnaires extrêmement compétents et indépendants du pouvoir exécutif », dirigés par les parlementaires. « Le fait de disposer de fonctionnaires de qualité indépendants du pouvoir exécutif est essentiel », insiste M. Gouteyron. Mercredi, M. Ali el-Khalil, président de la commission parlementaire des Affaires étrangères, avait contesté cette formule, estimant qu’elle est en contradiction avec la raison d’être de l’Assemblée nationale et donnerait trop de pouvoirs au fonctionnaires. « Si les fonctionnaires prennent le pouvoir, ce serait une dérive inacceptable. Il faut que le parlementaire dirige la préparation de l’examen du texte, qu’il détermine les personnes qu’il doit écouter et qu’il décide lui-même. Le rôle du fonctionnaire est de lui montrer les choix entre les positions qu’il peut prendre les conséquences de chacune. Je comprends l’inquiétude de ces parlementaires. Ce matin aussi (hier), il y a eu des allusions à ce problème. Quelqu’un a insisté sur la nécessité de distinguer entre la politique et la technique, mais les deux se touchent. » Selon le vice-président du Sénat, il n’est pas possible qu’il y ait, en démocratie, une application sélective de ce système. Celui-ci s’inscrit dans le cadre de la bonne gouvernance qui s’articule, aux yeux de M. Gouteyron, autour de quatre axes principaux : « Elle suppose qu’on colle aux préoccupations des citoyens, aux besoins de la société. Une manière de gouverner ne peut pas être qualifiée de bonne si elle ne correspond pas aux attentes majoritaires de la société. Elle suppose aussi des rapports équilibrés entre l’Exécutif et le Législatif. Elle implique donc que les conditions d’élaboration d’une bonne loi soient bien définies et qu’une fois le texte voté, il soit appliqué, ce qui nécessite une administration qui soit à la fois compétente et obéissante. » Si certains pays arabes hésitent à suivre l’exemple français, le Liban s’est déjà engagé dans le processus d’optimisation de sa procédure législative, mais sans rechercher peut-être à calquer le système français. Qui sait ? peut-être qu’à la longue il sera possible de soustraire l’élaboration de nos lois aux influences politiques ? Dans le cadre du projet d’association libano-européenne, un programme de partenariat, établi sur trois ans, est prévu entre les deux Assemblées françaises et le Parlement libanais. Le programme prévoit des échanges de fonctionnaires, de formation et d’expertise. Un groupe de fonctionnaires de la Chambre a déjà suivi, il y a près d’un mois, une session de formation au Sénat. Il faut d’abord qu’ils disposent des ouvrages et répertoires juridiques nécessaires, de façon que les mots et le sens qu’ils doivent avoir leur soient accessibles », relève M. Gouteyron, avant de souligner que le débat engagé lors du séminaire enrichit aussi bien les pays arabes que les États occidentaux : « Car pour un pays comme la France, où la démocratie n’est pas récente, un des risques encourus est de ne plus se poser des questions sur son fonctionnement. Avoir un regard extérieur, c’est toujours bon. » Tilda ABOU RIZK
Moteur de tout système démocratique, le processus législatif repose sur une série de critères, qui diffèrent peut-être d’un pays à un autre, mais qui devraient s’articuler, selon le vice-président du Sénat français, Adrien Gouteyron, autour de trois principes fondamentaux, dans la perspective d’une bonne législation : la nécessité, la logique et la clarté. « Il me...