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BANQUES - Conférence à Damas sur la coopération bilatérale Les réformes syriennes avancent à pas comptés

Transformer l’argent en investissement, la monnaie en capital, c’est le défi qui se pose à la Syrie, comme au Liban ou à d’autres pays arabes, tel que l’a résumé samedi Makram Sader, secrétaire général de l’Association des banques du Liban, qui était invité à Damas à l’occasion d’une conférence sur la coopération bancaire entre le Liban et la Syrie. Les fonds existent, comme en témoigne l’importance des dépôts détenus par des Syriens à l’étranger, mais le problème qui se pose est de savoir comment les mobiliser pour développer l’économie syrienne dont les ressources naturelles, notamment le pétrole et le gaz, ne suffisent pas à soutenir une croissance assez forte pour accompagner la croissance démographique. L’une des conditions de l’investissement est l’existence d’un système bancaire efficace dont le rôle est de drainer l’épargne pour la mettre au service de l’économie, qu’elle soit publique ou privée. D’où la nécessité de réformer le secteur bancaire syrien qui s’est révélé incapable d’assurer les services les plus simples. Pour ce faire, les autorités syriennes se sont engagées sur la voie de la libéralisation du secteur bancaire en ouvrant la voie à la création de banques privées, l’actionnariat majoritairement syrien (51 %). Le reste (soit 49 %) revient à des investisseurs étrangers qui ont de fait le contrôle de l’établissement, car, face à eux, les actionnaires syriens ne peuvent pas dépasser individuellement le seuil des 5 %. Cinq dossiers ont passé la première étape de la procédure d’octroi de licence. Et d’autres devraient suivre. Au moins trois banques libanaises sont déjà sur les rangs. Il s’agit de la Bemo, de la Blom et de la SGBL. La Banque du Liban et d’Outre-Mer a présenté un dossier en association avec la Société financière internationale (SFI, groupe Banque mondiale) qui détiendrait 10 % du capital, la Blom prenant 39 %, le reste devant revenir à des investisseurs syriens. La Banque européenne pour le Moyen-Orient a également demandé une licence, dans le cadre d’un montage incluant le Crédit agricole Indosuez, à travers l’une de ses filiales, la Banque franco-saoudienne, qui détiendrait 20 % du capital. Quant à la Société Générale de Banque au Liban, elle aurait 15 % de la banque prévue, 34 % du capital allant à sa maison mère, le groupe Société générale. Le capital minimum imposé par la nouvelle loi est de l’équivalent de 30 millions de dollars. Forte délégation libanaise Ces candidatures, de même que l’importance, en nombre et en qualité, de la délégation libanaise qui s’est rendue samedi à Damas pour participer à cette conférence sur la coopération bancaire entre les deux voisins témoignent de l’intérêt de Beyrouth pour la réforme financière en cours en Syrie. Pour les banques libanaises, ce marché représente une extension naturelle, car elles ont déjà établi des relations solides avec les Syriens et connaissent leur marché mieux que n’importe quel autre pays étranger. Le secteur privé syrien a très largement recours aux banques libanaises pour financer ses activités commerciales et certains particuliers syriens ont fait des placements au Liban, dans une proportion estimée par Makram Sader à 2,5 milliards de dollars. « Le Liban met son expertise et son expérience bancaire à la disposition du projet prometteur syrien, car la réussite de la Syrie sera celle du Liban », a déclaré Ghassan Ayache, président de la commission bancaire au sein du comité des hommes d’affaires libanais et syriens, présidé par Adnane Kassar. Pour lui comme pour beaucoup d’intervenants, la coopération bancaire, mais aussi économique et commerciale, constitue un objectif stratégique pour les deux voisins dotés d’atouts complémentaires. « Notre ambition est que cette conférence constitue un premier pas sur le chemin du rétablissement d’un système bancaire libano-syrien uni. Ce système est né il y a un siècle et demi et a été un succès pendant cent ans (…). Nous voulons le faire renaître, avec quelques modifications. Le système ancien avait été créé par des autorités étrangères pour servir des intérêts étrangers, tandis que le nouveau système sera l’œuvre de gouvernements nationaux pour servir les intérêts des deux pays. » Impatience du secteur privé Côté syrien, la participation active de représentants du secteur privé et d’économistes reflète les attentes voire l’impatience des entrepreneurs et des hommes d’affaires qui ont grand appétit de développer leur activité, mais sont brimés par un système financier obsolète. « Faute d’accès au crédit, nous dépendons entièrement de l’autofinancement, ce qui limite nos capacités », explique l’un d’entre eux. Il est vrai que plusieurs secteurs productifs se sont développés au cours des dernières années grâce à l’allocation centralisée des crédits. Le logement et l’agriculture en font partie. Mais ces crédits sont octroyés sans évaluation réelle des projets, selon les critères de rentabilité. De plus, les taux d’intérêt sont fixés par l’État et leur niveau ne correspond à aucune logique de marché. Au niveau des particuliers, les services bancaires sont quasi inexistants. À titre d’exemple, il n’y a que 14 000 cartes de crédit pour une population de 17 millions d’habitants. Pour transférer de l’argent d’une ville à l’autre, les Syriens ont recours aux services de sociétés de transport interurbain qui se sont transformées en sociétés de transferts de fonds. Les autorités syriennes, représentées à la conférence par le ministre de l’Économie et du Commerce extérieur, Ghassan Rifaï, et le gouverneur de la Banque centrale, Mohammed Bachar Kabbara, ont donné la mesure du défi qui se pose à la Syrie, consciente de la nécessité de la réforme, mais appesantie par les lourdeurs du système. Les premières lois définissant le cadre général de la libéralisation bancaire ont été adoptées, mais restent encore à définir les décrets d’application, à nommer le comité monétaire qui n’est pour l’instant qu’une coquille vide, etc. Sans compter le travail pour réformer l’ensemble des conditions de l’activité économique, que ce soit la législation sur le travail, le système judiciaire, la fiscalité, etc. « Le code de commerce n’a pas été retouché depuis plus de 50 ans », se plaint notamment Osmane Aïdi, l’un des grands entrepreneurs syriens. Quelques mesures concrètes ont été prises cette année, comme l’autorisation, à certaines conditions, d’ouvrir des comptes en devises et de les transférer à l’étranger, ou l’octroi de facilités de crédits pour les entreprises qui importent de la matière première. Près de 500 millions de dollars ont été mis à la disposition de la Banque centrale à cet effet. Le gouvernement a aussi décidé de débloquer 1,5 milliard de dollars pour financer à des taux de 5 % (inférieur au taux officiel de 9 %) les entreprises tournées vers l’exportation. La détention de devises, qui était passible de prison, ne l’est plus. Lenteur du processus de réformes L’objectif à atteindre est connu. Le gouverneur de la Banque centrale du Liban, Riad Salamé, a montré le chemin, en faisant la liste des « outils indispensables d’un secteur bancaire moderne » capable d’attirer à lui des capitaux pour les placer au service du développement d’un pays. Car les banques « contrôlent 60 % de l’épargne populaire dans les pays développés et plus de 80 % dans les autres pays, et représentent la principale source de financement des entreprises, de la consommation et de la stabilité sociale ». Cette boîte à outils comporte, outre l’économie de marché, l’existence d’une Banque centrale, une commission de contrôle indépendante et un gouvernement disposé à mettre en place les législations nécessaires. « Un secteur bancaire sain a besoin d’une monnaie stable et d’un État en mesure d’emprunter et de rembourser ses dettes. (Par ailleurs), il est très difficile de développer un secteur bancaire sans la liberté des transferts. » Même si le ministre de l’Économie Ghassan Rifaï a expliqué qu’il souhaitait pour la Syrie un système bancaire aux normes internationales, il est évident que le pays ne peut y parvenir du jour au lendemain, comme l’ont expliqué nombre d’intervenants. Outre les réticences d’ordre politique, et celles des groupes de personnes dont les privilèges liés au système risquent fort de disparaître, la lenteur de la réforme est aussi due au souci de ne pas créer un choc trop violent qui pourrait se révéler coûteux. Le modèle qui a la préférence de Damas est celui suivi par Pékin plutôt que celui de Moscou, répètent à l’envi les Syriens. Il est, par exemple, hors de question pour l’instant de privatiser les banques publiques, le gouvernement préférant les moderniser. La stratégie est bonne, à condition de mettre réellement en œuvre cette modernisation qui passe notamment par la formation de ressources humaines, estime un expert étranger. « La Syrie a la chance d’avoir une rente pétrolière et une certaine solidité financière qui lui permet de ne pas réformer dans l’urgence. Son potentiel est très grand, à condition de créer l’environnement propice à l’investissement », estime Jihad Yazigi, rédacteur en chef de la lettre The Syria Report. Toute la question est là, résume Makram Sader, selon qui « l’important c’est d’avoir un plan clair, avec des mesures étalées sur les cinq à dix ans à venir, et de faire attention de ne jamais refermer la porte de la réforme, afin de ne pas tout recommencer à zéro à chaque fois, comme c’est souvent le cas dans le monde arabe ». Il faut aussi avoir conscience que la transition a un prix, souligne-t-il. « Il faut clarifier le coût de la réorganisation de la structure des prix. La crise du secteur bancaire en Asie a coûté 5 à 7 % du PIB aux pays concernés. Au Liban, même s’il n’y a pas eu de crise, la loi sur les fusions destinée à assainir le secteur a représenté un coût de 400 millions de dollars. » S.R. De notre envoyée spéciale à Damas, Sibylle RIZK
Transformer l’argent en investissement, la monnaie en capital, c’est le défi qui se pose à la Syrie, comme au Liban ou à d’autres pays arabes, tel que l’a résumé samedi Makram Sader, secrétaire général de l’Association des banques du Liban, qui était invité à Damas à l’occasion d’une conférence sur la coopération bancaire entre le Liban et la Syrie. Les fonds existent,...