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Séminaire - Taher Labib : « Les Arabes doivent dépasser leur tradition de soumission » Débat sur les expériences démocratiques dans les pays arabes

On n’aura jamais épuisé le sujet tant il est vrai qu’il constitue un enjeu majeur au sein des sociétés en développement. La démocratie, une expérience par essence occidentale que le reste du monde essaye, tant bien que mal de calquer, continue de susciter des controverses. Elle a été au centre des débats qui ont eu lieu hier lors d’une conférence organisée conjointement par le département de sociologie de l’UL et la Fondation Friedrich Ebert avec la collaboration de l’Union européenne, sous le haut patronage du ministre de la Culture, Ghassan Salamé. Intitulée « Expériences démocratiques dans les pays arabes », la conférence, qui se poursuit aujourd’hui, a accueilli d’éminents professeurs et penseurs du monde arabe. Objectif : définir le concept et faire la lumière sur les expériences historiques respectives de l’Occident et du monde arabe. Si, en Europe, celles-ci ont abouti à la maturation du concept, dans les pays arabes, elles n’ont malheureusement pas eu le même effet. « La démocratie s’est-elle trompée ? » C’est par cette interrogation que le représentant de Friedrich Ebert, Samir Farah, entame son intervention, en relevant que la démocratie se porte mal dans le monde entier, à l’ombre d’une mondialisation qui a entraîné un changement fondamental dans les repères. « La faute n’est pas à la démocratie, a-t-il dit, mais aux méthodes d’application qui varient d’un régime à l’autre et d’une société à l’autre. » L’important, poursuit le conférencier, est de réaliser que la démocratie, « qui est en permanence menacée », suppose une lutte au quotidien. Énumérant les piliers d’un État démocratique – à savoir l’État de droit, le multipartisme, des élections libres et transparentes –, Patrick Renauld, chef de la délégation de la Commission européenne au Liban, a fait remarquer que la démocratie dans le monde arabe est différente du modèle occidental. Bien que « calquée » sur ce dernier, elle n’en reflète pas le même contenu. Par conséquent, poursuit le diplomate, il est nécessaire de définir, avec plus de rigueur, les questions relatives aux droits fondamentaux, tels que les droits de la femme, des libertés syndicales, l’abolition de la peine de mort, les droits des prisonniers, « en les adaptant toutefois au contexte local ». Pour le ministre de la Culture, Ghassan Salamé, les mouvements démocratiques ne sont pas linéaires. Certains États ont connu à travers l’histoire des expériences véritablement démocratiques, pour ensuite basculer dans des régimes militaires ou des dictatures, a relevé le ministre. Il en donne pour preuve l’expérience du Soudan qui, à un moment donné de son histoire contemporaine, a connu des élections libres, pour subir, 15 mois plus tard un coup d’État militaire. L’intervention du professeur tunisien Taher Labib, quant à elle, a dressé un bilan des plus pessimistes de l’avenir démocratique de la région. Bien qu’il y eut, à travers l’histoire du monde arabe, des tentatives de soulèvement et la création de mouvements de contestation ici et là, cette dynamique, a estimé le penseur, « n’a pu aboutir à la formulation de revendications sociales et politiques de manière systématique ». En revanche, a-t-il dit, il n’y a pas eu « accumulation » de ces expériences, « condamnées à ne jamais se poursuivre ». Au lieu de cela, « il y a eu accumulation d’expériences d’autoritarisme et de soumission », un phénomène qui a profondément marqué les peuples de la région. Citant le penseur de la Nahda, al-Kawakibi, il a affirmé que «le peuple arabe est voué à l’abdication tout comme ses gouvernants sont destinés à l’autoritarisme ». M. Labib a fait par ailleurs la distinction entre « la soumission à l ’héritage et la soumission à l’Occident », deux facteurs qui ont contribué à l’asservissement des peuples arabes. Il a affirmé en outre que les structures internes des sociétés proche-orientales n’ont jamais permis la maturation du concept de démocratie, « une formule posée et imposée par l’Occident ». Pessimiste quant à l’évolution de ces pays, Taher Labib en conclut qu’il ne croit pas que les sociétés arabes parviendront, dans un proche avenir, à « dépasser leur tradition de soumission ». La corruption, le manque de transparence ont également entravé le processus de démocratisation, a-t-il dit. C’est une thèse un peu différente qu’avancera Georges Tarabichi, traducteur et écrivain syrien. Pour lui, « c’est la disparition de la bourgeoisie qui aurait empêché l’avènement de la démocratie dans les pays arabes ». « Vecteur naturel de la démocratie », la bourgeoisie est la classe par excellence qui a conduit à la modernité. Or, a-t-il dit, « l’histoire des expériences soviétiques et tiers-mondistes montre que toutes les tentatives d’instaurer une démocratie, en éliminant la classe bourgeoise, se sont soldées par un échec ». Et le conférencier de préciser que toutes les révolutions qui ont été faites dans le monde arabe « sont d’inspiration soviétique ». Prenant la parole lors du débat qui s’ensuivit, certains participants ont contesté la position de M. Tarabichi pour dire en substance que l’absence d’une classe bourgeoise n’est pas le (seul) facteur qui fait obstacle à la mise en place de systèmes démocratiques. « Le clanisme et le confessionnalisme, des phénomènes que l’Europe n’a jamais connus », sont à l’origine de l’échec des expériences démocratiques dans cette partie du monde, a souligné un participant. Répondant à une question sur le rôle de l’État « censé être le promoteur d’une éducation citoyenne et d’une culture démocratique », M. Tarabichi a conclu que les régimes en place exploitent l’élément religieux afin de se légitimer, en même temps qu’ils surfent sur les pétrodollars, « une situation qui a contribué à détruire toute velléité de changement chez les peuples ». Je.J.
On n’aura jamais épuisé le sujet tant il est vrai qu’il constitue un enjeu majeur au sein des sociétés en développement. La démocratie, une expérience par essence occidentale que le reste du monde essaye, tant bien que mal de calquer, continue de susciter des controverses. Elle a été au centre des débats qui ont eu lieu hier lors d’une conférence organisée...