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Des décisions « arbitraires, illégales et anticonstitutionnelles », affirment deux juristes

Le scénario juridico-politique qui a entouré l’affaire de la New TV ressemble étrangement à celui de la MTV, du moins dans la forme. Dans les deux cas, les règlements de comptes personnels ont été sous-jacents et ont préludé à toute une série de décisions arbitraires. Ici et là, la politisation de la justice a permis que des mesures prises par l’Exécutif soient aussitôt entérinées par le pouvoir judiciaire. La décision de la présidence du Conseil de suspendre les émissions par satellite de la New TV, la réunion d’un « Conseil des ministres restreint » qui a abouti à une telle décision, ou encore l’interdiction faite par le procureur général Adnane Addoum à la NTV de diffuser l’émission à partir de sa station locale constituent autant d’infractions à la loi sur la diffusion par satellite (531/96) que de violations des principes généraux de droit, affirme Me Badaoui Abou Dib. Évoquant l’article 3, alinéa 4 du texte, Me Abou Dib rappelle que la loi stipule effectivement que les médias diffusant par satellite « s’engagent à ne pas émettre des programmes de nature à troubler l’ordre public et à nuire à la sécurité d’un pays et à ses bonnes relations avec des pays arabes ou étrangers amis ». Toutefois, commente Me Abou Dib, la New TV n’a pas enfreint cette loi « puisqu’il ne s’agissait que d’un projet d’émission » et que celle-ci n’a finalement pas été diffusée. Il n’y a donc pas eu d’infraction. Quoi qu’il en soit et si tel devait être le cas, « c’est le Conseil des ministres réuni, et sur proposition du ministre de l’Information (et si besoin est, du ministre des Affaires étrangères, article 4), qui décide d’appliquer la sanction prévue (l’arrêt immédiat de l’émission pour une durée maximum d’un mois, ou le retrait de l’autorisation) et non le président du Conseil qui n’est pas habilité à trancher », poursuit Me Abou Dib. À la question de savoir à qui revient la décision au cas où le Conseil des ministres ne siégerait pas, ce qui a été le cas dans cette affaire, Me Abou Dib affirme que le président du Conseil aurait dû tout simplement convoquer le Conseil des ministres pour une réunion exceptionnelle. Aucune urgence Une position également partagée par Me Naoum Farah, un juriste spécialisé dans les questions relatives à l’audiovisuel. Me Farah s’étonne d’ailleurs que le Conseil des ministres n’ait pas été convoqué dès la diffusion de l’annonce publicitaire de l’émission, c’est-à-dire samedi dernier. Pour Me Farah, les membres de l’Exécutif ne peuvent en aucun cas se réunir en dehors du siège du Conseil des ministres sauf en cas de force majeure (guerre ou catastrophes naturelles). Or, dit-il, il n’y a pas eu « urgence » dans ce cas précis, d’autant qu’il y a eu plusieurs jours ouvrables avant la date prévue de l’émission. « Si l’on admet ce précédent, qu’est-ce qui empêchera alors de voir à l’avenir des ministres se réunir n’importe où et prendre des décisions, se substituant ainsi à la direction collégiale qu’est le Conseil des ministres », souligne-t-il. « D’ailleurs je me demande pourquoi jusqu’à ce jour, et depuis le début de cette crise (lundi dernier), le Conseil des ministres ne s’est pas encore réuni pour débattre de la question et décider soit d’entériner soit de rejeter la décision prise par la présidence du Conseil ? » s’interroge Me Farah, en précisant que cette initiative aurait au moins réduit le caractère manifestement illégal de cette décision. Commentant la position du ministre de l’Information Ghazi Aridi, qui avait affirmé jeudi que « les programmes sur satellite doivent être préalablement soumis au contrôle du ministre compétent », Me Farah explique que le ministre faisait allusion à l’alinéa de l’article 3 qui stipule que c’est « la grille générale des programmes et non pas le contenu d’une émission précise qui doit être soumise, et à l’avance, au contrôle du ministre de l’Information ». Sinon, dit-il, ce serait une mesure « fatale » pour toutes les émissions diffusées en direct. « Cela signifierait également que Ted Turner, le patron de la CNN, devrait soumettre à M. Aridi le contenu de son journal toutes les fois que celui-ci est repris par une chaîne de télévision libanaise. » Le précédent d’avril 2001 Évoquant la question de la « censure préalable » qui, vraisemblablement, a été brandie par les responsables pour justifier les mesures prises contre la NTV, Me Naoum rappelle que ce principe ne figure ni dans la loi 531 sur la diffusion par satellite, ni dans la loi 382 sur l’audiovisuel, « ni nulle part ailleurs dans le corpus juridique libanais ». En revanche dit-il, la décision du conseil d’État d’avril 2001 concernant le litige qui opposait la LBC au ministre de l’Information de l’époque, Bassem Sabeh, avait mis fin à toutes les spéculations sur cette question. « L’arrêt du Conseil d’État explique d’ailleurs en long et en large que le pouvoir exécutif ne peut avancer l’argument de la raison d’État – qui n’est pas un concept flexible par ailleurs, mais une notion qui a ses garde-fous – pour justifier quelque censure que ce soit ». Cet arrêt, qui depuis a fait jurisprudence, dispose clairement que la censure préalable est anticonstitutionnelle et contraire au principe des libertés fondamentales. Quant au second volet, du litige, à savoir la décision du procureur général, Adnane Addoum, interdisant la diffusion de l’émission sur base de l’article 211 du code pénal, Me Abou Dib reprend les mêmes arguments de départ, à savoir que cette décision « est également arbitraire ». « Le texte de loi s’applique au cas où la personne physique ou l’entité juridique se serait effectivement rendue coupable d’une infraction. Or ce n’est pas le cas ici, et le juge Addoum a pris une mesure préventive en faisant un procès d’intention », dit-il. Le procureur général avait justifié sa décision en se basant sur le fait que le spot publicitaire était suffisamment explicite et présumait de l’orientation qu’allait prendre l’émission, un argument que Me Farah réfute en qualifiant cette démarche de « censure poussée à l’extrême ». « Il s’agit d’un précédent dangereux, qui, j’espère, restera orphelin et ne se transformera pas en jurisprudence », conclut-il. Jeanine JALKH
Le scénario juridico-politique qui a entouré l’affaire de la New TV ressemble étrangement à celui de la MTV, du moins dans la forme. Dans les deux cas, les règlements de comptes personnels ont été sous-jacents et ont préludé à toute une série de décisions arbitraires. Ici et là, la politisation de la justice a permis que des mesures prises par l’Exécutif soient...