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Actualités - REPORTAGES

Dans la deuxième circonscription, Tripoli et Zghorta plongés dans l'incertitude Panachage soutenu et guerre des déclarations

Tripoli venait à peine de se réveiller que les rumeurs envahissaient ses quartiers avec l’ouverture des bureaux de vote. Très tôt le matin, la nouvelle concernant les directives données la veille par le courant haririen de soutenir ses candidats (Misbah el-Ahdab à Tripoli et Charles Ayoub à Batroun) courait déjà. De bouche à oreille, les informations sur une éventuelle percée de la liste Frangié-Mikati circulaient, sans plus de précision. Dans l’après-midi, on parlait de panachage entre Mikati et Safadi, pour atteindre la liste même de la dignité nationale, jusque là préservée par ce phénomène. Si à Zghorta, le paysage paraissait clair, net, et précis – on est pour ou contre mais on vote pour toute une liste –, dans la capitale du Nord, le cocktail des noms semble avoir été la règle, malgré les déclarations contradictoires des partisans de l’une ou de l’autre liste. Panachage ou pas ? se demandait-on, à la longueur de la journée. C’est surtout vers 11 heures que les inquiétudes commençaient à se lire sur les visages de certains délégués de Mohammad Safadi, dont le nom devait être biffé pour être remplacé par Misbah el-Ahdab, le favori de Rafic Hariri. Dans les ruelles encombrées de Tripoli, envahies par les photos des candidats, des petites boutiques converties pour l’occasion en bureaux électoraux servaient de relais pour les partisans de l’une ou de l’autre liste : «Que Dieu soit avec les “17”» scandait un groupe de jeunes en allusion à la liste de Solidarité et du développement de Frangié-Mikati. Mais celle-ci devait être menacée quelques heures plus tard par le panachage, essentiellement pratiqué, par les partisans du mouvement haririen. «Nous avons donné des instructions à nos sympathisants pour voter pour Misbah el-Ahdab en biffant le nom de Safadi», nous confie un délégué du mouvement. «Les gens sont libres de voter comme ils veulent bien entendu, mais dans l’ensemble, ceux qui sont dans notre ligne politique vont certainement suivre nos instructions» dit-il. Tee-Shirts jaunes et casquettes frappées du logo de Mohammed Safadi, les supporters du candidat sunnite ne pouvaient pas passer inaperçus. «Ils ont des moyens énormes, avec près de quinze délégués à chaque bureau de vote. C’est une machine parfaitement huilée», nous confie Mohammad, un délégué de la liste Karamé-Moawad. «Nous faisons piètre figure à côté», dit-il en signifiant que les moyens dont leur liste dispose sont minimes. Les partisans de Mohammed Safadi craignent-il la percée de leur liste par un Misbah, qui a promis à ses électeurs de mener la bataille contre vents et marées ? «Certainement pas, répond un sympathisant. Le moral de troupes est très élevé». C’était le discours de la matinée. Dans l’après-midi, on ne savait plus très bien qui biffait le nom de qui, et entre Safadi, Mikati et Ahdab, la règle des alliances semblait avoir complètement sauté. Côté Omar Karamé, La cohésion semblait se maintenir, du moins en début de journée. Si les sympathisants de ce dernier ne criaient pas victoire sur tous les toits – car ils se sentaient un peu moins confiants en voyant «les moyens» que déployait la liste opposée – ils restaient toutefois convaincus qu’ils avaient fait le bon choix. «Au moins, nous votons pour des principes, pour une ligne politique bien définie, pour des candidats intègres. Ce n’est pas comme pour l’autre liste qui pèse de tout son poids avec l’argent politique», affirme Osman, qui estime que le grand décideur reste la Syrie, et que tant qu’à faire, autant élire des gens crédibles. À Kobbé, fief de l’ancien Premier ministre Omar Karamé, les cartes paraissaient, quelques heures plus tard, on ne peut plus emmêlées. Sur le rond-point principal, les photos se chevauchent dans un assortiment unique, juxtaposant des candidats de toutes les tendances. À part Nayla Moawad et Samir Frangié, aucune autre photo de candidats chrétiens ne figure sur cette mosaïque. Rafic Hariri n’est pas absent non plus, un peu pour rappeler que sa présence sur la scène tripolitaine est incontournable. Les bulletins de vote devaient refléter ce cocktail. Quelques mètres plus loin, le bureau de vote grouille de délégués devenus plus nombreux que les électeurs. À chacun sa braderie : listes truquées, listes panachées, listes avec un seul nom, listes avec deux ou trois noms, il y en avait pour tous les goûts. Et jusqu’à la dernière minute, la liste Solidarité et développement continuait de nier le phénomène du panachage, en assurant que ses partisans maintenaient le principe des «17» candidats. Sur la liste de la Dignité nationale, on biffe également des noms, mais rarement celui de Omar Karamé. Guerre des clans à Zghorta Dès qu’on arrive à Zghorta, le paysage électoral se décante. Mais la tension ne baisse pas pour autant. Là, on est en pleine guerre de clans : rivalité des listes, des familles et des noms. Pas question de panachage ni d’hésitation. On est avec l’un ou l’autre camp. On vote pour les «17» ou pour la liste Moawad-Karamé. Les candidats opposés évitent de se retrouver au même endroit. Sleiman Frangié débarque vers 10 heures du matin au bureau de vote entouré de ses partisans. C’est la fête dans le village, comme à l’habitude lorsque le zaïm se déplace. Les Youyou des femmes fusent à son arrivée et accompagnent le convoi jusqu’à l’entrée du bureau de vote. Même scénario lorsqu’arrive sa femme, deux heures plus tard, suivie quelques instants plus tard par Samir Frangié, candidat maronite de la liste opposée au siège maronite de Tripoli. À sa sortie du bureau de vote, M. Frangié s’en prend vivement aux moyens mis en œuvre par la liste opposée «qui n’a rien épargné durant ce scrutin, dont une utilisation à grande échelle de l’argent. Avec de telles sommes, on aurait pu reconstruire le Liban», souligne-t-il. Interrogé sur sa rivalité avec Jean Obeid à Tripoli, il affirme qu’il s’agit d’une opposition à la ligne politique qu’il incarne. Et le fils de Zghorta de critiquer les procédés utilisés par son adversaire contre lui, dont «la distribution de tracts à caractère confessionnel à Tebbané», dans lesquels il accuse M. Frangié d’être membre des Forces libanaises. Poursuivant sur sa lancée, Samir Frangié dénonce devant la presse l’affaire des 5 000 cartes électorales falsifiées, la majorité étant des «copies de remplacement» non justifiées. «Une personne a réussi à obtenir 5 cartes différentes pour 5 régions différentes, avec 5 noms, portant la même photo», a affirmé le candidat, qui a ajouté que deux moukhtars de Koura ont déjà été arrêtés, et qu’un recours en invalidation sera introduit devant le Conseil d’État. À midi, arrivée non moins remarquée de Nayla Moawad, immédiatement abordée par les journalistes. La candidate de Zghorta dénonce elle aussi les ingérences et les pressions exercées par les services. Sur la déclaration faite par Sleiman Frangié accusant l’État et plus particulièrement M. Sélim Hoss de prendre partie pour la liste de la dignité nationale, Mme Moawad a souligné avec ironie que si le Premier ministre avait le contrôle des services de l’État et des services syriens, «à ce moment-là, nous serions au paradis». Ce à quoi, Sleiman Frangié dira plus tard, lors d’un point de presse, que M. Hoss n’a pas prouvé son impartialité, et que son soutien pour «certains» est clair. «Quant aux services qui travailleraient pour notre compte, il n’y a qu’à les nommer», a souligné M. Frangié. Bref, rien de nouveau depuis la campagne électorale, dans cette drôle de guerre qui oppose les membres des deux listes entre eux, sauf que les prises de positions ont durci un peu plus. Quant aux pronostics, ils laissent place aux spéculations les plus folles, tant les inconnues sont nombreuses dans cette circonscription. Si la liste de la Solidarité et du développement paraissait, au départ, bien placée et relativement confiante quant à l’issue de ce scrutin, le panachage qui a été exercé à Tripoli risque de réserver quelques surprises et de créer des percées inattendues ici et là.
Tripoli venait à peine de se réveiller que les rumeurs envahissaient ses quartiers avec l’ouverture des bureaux de vote. Très tôt le matin, la nouvelle concernant les directives données la veille par le courant haririen de soutenir ses candidats (Misbah el-Ahdab à Tripoli et Charles Ayoub à Batroun) courait déjà. De bouche à oreille, les informations sur une éventuelle...