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Actualités - ANALYSE

Batailles à couteaux tirés dans les régions sensibles Les tensions risquent de persister après le scrutin

Un millier de postulants plus ou moins crédibles qui s’affrontent dans un mouchoir de poche : les tensions sont à la mesure même de cette condensation. La pâte du gâteau réservée à 128 élus, c’est le mot, va-t-elle se dégonfler d’un coup et retomber après avoir été portée à cuisson ? On peut en douter. Car les empoignades, dans les régions considérées comme sensibles, génèrent des antagonismes articulés sur de nouvelles donnes politiques, qui prennent corps indépendamment des élections elles-mêmes. Pour tout dire, les changements dans la région, le retrait israélien, mais aussi la relève en Syrie, entraînent des options qui auraient été impensables, il y a un an. Peut-on ignorer, par exemple, la portée du retour du président Amine Gémayel ; le virage à droite ou, plus exactement, vers l’Est, de M. Walid Joumblatt ; le retour en force de M. Rafic Hariri comme présidentiable ; le retrait fracassant de M. Najah Wakim ; la renonciation-dénonciation du Amid ; les remariages Husseini-Hezbollah et Skaff-Hraoui dans la Békaa ; ou encore le divorce Karamé-Frangié au Nord ? La redistribution des cartes est évidente. Mais cette gestation d’un panorama politique profondément modifié ne se fait pas dans la sérénité, tant s’en faut. Et si le pouvoir va pouvoir, sans doute, tenir sa promesse d’un scrutin régulier, les espérances qu’il avait placées dans un scrutin calme se sont bel et bien envolées. Par la faute, redisons-le, du hasard, cet antidieu capricieux sinon malicieux, qui a situé l’échéance électorale en plein milieu d’un été de mutation régionale, et même internationale si l’on prend en compte les présidentielles US. Pour aggraver cette malencontreuse coïncidence, des forces occultes, dénoncées aussi bien par les bons amis, nordistes ou autres, des décideurs que par leurs adversaires, s’acharnent à fabriquer des listes. Et à torpiller en prime des alliances déjà conclues, comme cela s’est vu justement au Nord, où coup sur coup les deux attelages principaux ont connu de brusques défections de déséquilibrage. Les ressentiments qui en découlent ne peuvent qu’être durables, surtout si des figures de proue se voient obligées de rester sur la touche, à l’instar d’un Wakim à Beyrouth. Cependant, certains professionnels s’efforcent de dédramatiser la situation, en soulignant que sans la fièvre électorale, les clivages prennent en temps ordinaire une vitesse de croisière, une routine qui en désamorce largement la nocivité. C’est logique. À cette nuance près que la virulence risque de rebondir après les élections sur la grogne populaire socio-économique de la rentrée. Il faudra bien que les politiciens se mettent alors de la partie, qu’ils ignorent superbement aujourd’hui, et se livrent à leur jeu favori, les surenchères démagogiques. En attendant d’être payés de retour, ce sont eux aujourd’hui qui chauffent le public, comme disent les artistes de music-hall, pour tenter de l’intéresser à leurs gesticulations électoralistes. Et il faut reconnaître qu’ils y réussissent assez bien, à preuve que la tension commence à gagner la rue et à provoquer des frictions ça ou là. Notamment dans la partie centrale du pays qui reste traditionnellement la plus politisée. La chaudière du Metn – Au Metn-Nord, les alliances se précisent, mais d’ultimes tractations se déroulent encore, ce qui retarde la proclamation des listes. Les pôles concernés s’en trouvent du reste satisfaits. Car cela leur permet de laisser flotter une certaine incertitude, psychologiquement avantageuse dans la bataille serrée qui se livre dans cette région. La vivacité, pour ne pas dire la virulence, des déclarations comme des discours de meetings reflète la rudesse de l’empoignade entre les chefs de file. Notamment et nommément, entre le puissant ministre grec-orthodoxe de l’Intérieur M. Michel Murr et son challenger maronite, M. Nassib Lahoud. – Dans cette partie tendue, le retour, assorti d’un fracassant come-back politique, du président Amine Gemayel, jette les germes d’une certaine confusion. L’ancien chef de l’État a certes proclamé sa volonté de ne pas intervenir dans le débat, mais sa présence dans le pays, à cette période, l’y force pratiquement. Ses contacts, ses réconciliations retentissantes, les visites qu’il rend ou qu’il reçoit prouvent d’ailleurs qu’il n’a nulle intention de se désintéresser de la vie publique. Et la politique aujourd’hui, affaire d’actualité, ce sont les élections. M. Gemayel, c’est une évidence, y est d’autant plus concerné que son fils Pierre est candidat. Et à ce propos, des proches de la famille indiquent mezza voce que «si le président n’insiste pas trop pour que Pierre déclare forfait, ce qui lui permettrait à lui de mieux se placer au-dessus de la mêlée (jouer les arbitres), c’est pour qu’on n’aille pas dire qu’il a troqué un tel retrait contre son retour». Il y a en effet tant de méchantes langues dans ce pays. Du côté du parti Kataëb, les tenants de la ligne directoriale actuelle affirment que l’ancien président de la République pourrait, par une visite à la Maison centrale de Saïfi, recoller rapidement les morceaux brisés. Et récupérer ensuite, pourquoi pas, la formation créée par son père. Selon ces militants, au geste du président, le Bureau politique répondrait ensuite en lui rendant visite à Bickfaya, l’intronisant ainsi comme parrain d’honneur d’un parti en voie de refondation. Moyennant quoi, le président Gemayel bénirait la candidature de M. Mounir Hajje, qui se présente sur la liste Murr. – Toujours est-il qu’à l’heure actuelle, les adversaires de M. Murr, ou ceux qui s’en démarquent sans lui être carrément hostiles, n’ont pas réussi à se constituer en force solidement unie. – Ainsi, M. Pierre Gemayel, qui est avocat de métier, a eu avec le Dr Albert Moukheiber une rencontre qui n’a pas donné de résultats positifs. À l’issue de cette entrevue, le fils de l’ancien chef de l’État a en effet annoncé qu’il allait se présenter en indépendant, sans rejoindre la liste du bon docteur ni celle de M. Nassib Lahoud. Des sources informées signalent que l’échec des tractations Gemayel-Moukheiber est imputable au fait que le vétéran a refusé d’associer son interlocuteur au choix des autres colistiers potentiels. Il aurait signifié au jeune avocat, sans autre forme de procès, qu’il doit se placer sous sa houlette et se considérer comme un candidat comme les autres, non comme un cochef de file. Il reste que l’orientation globale, nationale des deux hommes reste proche et la coopération électorale toujours à l’ordre du jour. Cela suffit-il pour que M. Gemayel garde des chances sérieuses de passer en se présentant en individuel ? Même des Kataëb proches de la famille en doutent. Ils indiquent cependant que leur camp va se mobiliser à fond pour que le candidat Gemayel enregistre le meilleur score possible. En vue de l’avenir. D’autres Kataëb déclarent pour leur part que le fils de l’ancien président ferait mieux de se retirer et de militer pour une réunification des rangs du parti derrière l’autre candidat, M. Mounir Hajje. Cela permettrait à leur sens de sauver des eaux le parti qui se noie. Un scénario séduisant, mais assez improbable. Surtout au moment où un autre Gemayel, le Dr Paul Gemayel, maintient sa propre candidature, risquant ainsi de tirer à lui la couverture, entendre le crédit politique du nom. – Du côté du Dr Moukheiber, on croit savoir qu’il aurait rejeté, par dignité, l’idée de publier un communiqué faisant un sort aux rumeurs selon lesquelles il aurait conclu avec M. Murr un accord secret. Ces rumeurs indignent à juste titre les partisans du Dr Moukheiber, dont la réputation de rectitude, de courage, de fidélité à ses convictions et d’attachement aux constantes nationales n’est plus à faire. Cependant les bruits qui courent se trouvent alimentés d’une part par les propos amènes tenus à l’égard du docteur par le ministre. Et d’autre part par le fait que sur la liste de chacun d’eux, le second siège grec-orthodoxe serait laissé vacant. Ce qui devrait assurer l’élection haut la main de M. Moukheiber, battu en 96. D’autant que sa liste comprendrait un autre siège vacant, maronite cette fois, au profit du jeune Émile Émile Lahoud. Par contre, les relations du docteur avec son ancien partenaire, M. Nassib Lahoud, ne semblent pas au mieux. Ils se sont de la sorte soigneusement évités chez le président Gemayel qu’ils visitaient en même temps, par hasard. – M. Lahoud (Nassib) fait équipe pour l’édition présente avec l’ancien ministre, M. Michel Samaha, qui est grec-catholique. La liste, après contact avec la communauté concernée, devrait également comprendre un arménien-orthodoxe. Ce qui ne serait pas le cas pour la liste incomplète du Dr Moukheiber, qui ne prend semble-t-il que des maronites.
Un millier de postulants plus ou moins crédibles qui s’affrontent dans un mouchoir de poche : les tensions sont à la mesure même de cette condensation. La pâte du gâteau réservée à 128 élus, c’est le mot, va-t-elle se dégonfler d’un coup et retomber après avoir été portée à cuisson ? On peut en douter. Car les empoignades, dans les régions considérées comme...