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Actualités - REPORTAGES

Rétrospective - De 1982 à 2000, la significative évolution du Parti de Dieu Le Hezbollah ou l'art de concilier pragmatisme et dogmatisme

Sayyed Hassan Nasrallah arpentant majestueusement le hall en marbre du palais de Baabda, les pans de son abaya flottant autour de lui, avant d’être accueilli par un président Émile Lahoud rarement aussi chaleureux, l’image mérite d’être relevée. D’autant qu’elle a été précédée, il y a une dizaine de jours, par une autre image tout aussi étonnante, celle des 2 000 combattants du Hezbollah, saluant d’un même geste la mémoire du président syrien Hafez el-Assad, devant le mausolée qui lui est dédié. Autant de messages qui indiquent, malgré le discours officiel, le passage à une nouvelle étape soigneusement préparée par les responsables de la formation qui, depuis des années, ont mis beaucoup d’eau dans le vin de leurs discours. Chronique d’une évolution programmée. Le Hezbollah n’est plus ce qu’il était. Même ceux qui ont encore du mal à dépasser son identité islamique ne peuvent s’empêcher de le remarquer. Pour eux, c’est une simple dualité, une sorte d’habileté politique. Pour d’autres, il s’agit d’une évolution lente mais certaine qui a mené la formation intégriste née dans la foulée de l’invasion israélienne du Liban en 1982 jusqu’au Parlement et récemment au palais de Baabda, en qualité d’hôte de marque. Ce qui est sûr, c’est qu’elle est bien loin l’époque où le Hezbollah n’offrait à la presse que des barbus hirsutes tenant un langage extrémiste. D’ailleurs, de 1982 jusqu’en 1985, cette formation n’avait pas une structure définie ou un leadership reconnu. Elle apparaissait essentiellement comme une sorte d’organisation clandestine, totalement contrôlée par les gardiens de la révolution venus d’Iran pour la former et l’encadrer. Et bien qu’elle n’ait jamais reconnu une implication dans les enlèvements des otages occidentaux, les communiqués de l’époque justifiaient l’initiative, l’inscrivant dans une sorte de stratégie d’indépendance vis-à-vis de l’Occident. Naissance officielle en 1985 Au début des années 1980, sayyed Mohammed Hussein Fadlallah était qualifié de «guide spirituel» du Hezbollah, mais l’uléma a toujours contesté ce titre et, aujourd’hui, il est devenu clair qu’il dispose d’une assise populaire totalement distincte de celle du parti. Ce n’est qu’en 1985, avec la «lettre ouverte» publiée dans tous les médias, que le Hezbollah apparaît ouvertement pour la première fois sur la scène libanaise. Cette lettre ouverte se voulait un programme d’action et un exposé de «la pensée réelle» du parti. Dès lors, les groupes clandestins et hétérogènes, dotés de leurs commandements propres, sont devenus une formation unifiée avec un secrétaire général, cheikh Sobhi Toufayli, et un conseil de commandement. (Il y a eu, depuis, deux autres secrétaires généraux : cheikh Abbas Moussawi tué en 1992 et sayyed Hassan Nasrallah). En dépit de cette nouvelle structuration qui donnait une identité à un groupe jusqu’alors indéfini, le Hezbollah continuait à être perçu comme une formation intégriste et son discours avait peu de points communs avec celui que tiennent aujourd’hui les responsables de ce parti. Amal Saad Ghorayeb est détentrice d’un doctorat en études islamiques. Elle a consacré sa thèse à l’évolution du discours et de la pensée du Hezbollah. C’est dire qu’elle a bien creusé le sujet, et elle affirme aujourd’hui que cette évolution n’est ni le fruit du hasard ni récente. Pour elle, l’étape de la résistance armée est terminée, et aussi bien les condoléances à Qerdaha que la visite à Baabda en sont un indice. Toutefois, parce qu’elle est prévue depuis longtemps, cette transition se fait dans l’harmonie, le discours modéré en étant la meilleure preuve. Les prémices de l’ouverture dès 1990 Amal Ghorayeb précise que, depuis le début des années 1990, le Hezbollah cherche à modifier son image, son discours et son identité. Il y a partiellement réussi, mais au-delà des modifications, certains principes demeurent inamovibles. Selon elle, ce qui ne peut pas changer, c’est, d’abord, l’adoption de la thèse de «wilayat al fakih», qui conditionne la relation du Hezbollah avec le fakih iranien, l’ayatollah Ali Khamenei. Selon cette doctrine, depuis la disparition de l’imam Mehdi, il est nécessaire qu’un fakih puisse guider la communauté chiite. Ce fakih avait au départ un pouvoir spirituel, mais depuis l’ayatollah Khomeiny, il est aussi doté de pouvoirs politiques. Cette reconnaissance de «wilayat al fakih» conditionne la relation du Hezbollah avec l’Iran, c’est pourquoi elle ne peut être modifiée, même si aujourd’hui, notamment grâce au changement en Iran, le fakih n’intervient que rarement dans les questions propres au Hezbollah, se contentant de lignes générales. Par exemple, en 1992, un vif débat a opposé les différents membres du conseil de commandement du Hezbollah sur l’opportunité de participer aux élections législatives. Le secrétaire général du parti, cheikh Abbas Moussawi, avait lancé l’idée de la participation, et cheikh Sobhi Toufayli représentait le chef de file de l’opposition à une telle participation. Le Hezbollah avait alors décidé de consulter l’ayatollah Khamenei sur la question, et ce dernier avait donné un avis favorable, estimant que «tout ce qui est utile à l’islam doit être accompli». Cheikh Abbas Moussawi ayant été assassiné par les Israéliens en février 1992, sayyed Hassan Nasrallah l’a remplacé et a décidé que le Hezbollah participerait aux élections législatives. Pour la formation intégriste, ce fut le début du grand changement. Si les principes généraux sont demeurés les mêmes, notamment l’allégeance au fakih, la conviction qu’un État islamique est l’expression la plus juste du pouvoir, le concept de la résistance et le rejet absolu de la légitimité de l’État d’Israël, le Hezbollah a entamé une étape d’ouverture et de ce qu’on a appelé la «libanisation», qui l’a finalement mené à Achrafieh et à Baabda. L’acceptation du régime Selon Amal Ghorayeb, ce qui a changé, c’est d’abord la conception de l’action militante. Avant les années 90, le Hezbollah avait une conception révolutionnaire de son action et refusait de s’intégrer à un système qu’il condamnait et trouvait injuste. Aujourd’hui, en fait depuis Taëf, il reconnaît la légitimité de ce régime, jugé moins injuste et portant en lui le principe de l’abolition du confessionnalisme, cher au parti. La thèse officielle du Hezbollah est désormais la suivante : si l’instauration d’un État islamique est toujours le rêve ultime, il faut toutefois s’adapter au système et éviter tout ce qui peut provoquer une discorde interne. Or, un tel État ne peut être accepté par la population libanaise, et en parler ne peut que provoquer des conflits, il faut donc y renoncer, puisque, selon le Coran, «il ne peut y avoir de contrainte dans l’islam». Cette évolution s’est faite lentement et aboutit aujourd’hui à une adaptation totale au régime. Après avoir participé aux législatives, le Hezbollah laisse entendre qu’il accepterait désormais de participer au gouvernement, même s’il y a de fortes probabilités que le prochain gouvernement soit amené à négocier un traité de paix avec les Israéliens. En somme, le parti qui avait toujours refusé de reconnaître le processus de paix accepte désormais, tacitement, non seulement son existence, mais aussi son aboutissement probable, tout en répétant qu’il continuera à résister contre toute normalisation des relations avec Israël. Islamique oui, mais non confessionnel Le Hezbollah a aussi modifié son discours au sujet de son identité islamique. Certes, il ne s’est jamais présenté comme un parti chiite ou confessionnel, même si l’écrasante majorité de ses adhérents appartient à cette communauté. Mais aujourd’hui, il accepte mieux le fait que chacun puisse vivre selon ses convictions. Dans le Sud libéré, nul n’a imposé aux débits de boissons de Naqoura et d’ailleurs de renoncer à leur commerce, et le Hezbollah ne cherche nullement à imposer son point de vue. Ses membres éviteront simplement les lieux où l’on sert des boissons alcoolisées, alors que ses représentants au Parlement n’ont jamais présenté une revendication à caractère islamique. Au contraire, leurs réclamations ressemblent à celles des partis dits laïcs : abolition du confessionnalisme, développement équitable des régions, rejet de la normalisation avec Israël, etc. Tout en affichant son identité islamique, sans laquelle il n’aurait plus de raison d’être, le Hezbollah prône désormais l’ouverture. Il édite d’ailleurs depuis quelques mois une revue al- Maoukaf distribuée essentiellement aux diplomates en poste au Liban. Et ses responsables distinguent désormais entre l’Europe et les États-Unis, multipliant les déclarations conciliantes envers l’Occident qui n’est plus assimilé au Satan américain. Ce qu’il veut aujourd’hui, c’est affirmer sa libanité, et, désormais, dans toutes les cérémonies, le drapeau libanais trône en bonne place à côté de celui de la formation. Il se veut aussi un parti national, doté d’un projet universel de résistance (c’est d’ailleurs pourquoi les brigades de la défense, qui se voulaient non confessionnelles, avaient été créées en 1997). Le chef de l’État, le pérsident Émile Lahoud, l’a bien souligné, recevant avec chaleur le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Nasrallah. C’est un peu à la reconnaissance de la nouvelle image du parti – image à la formation de laquelle le régime a énormément participé en appuyant sans détours la résistance du Hezbollah – que l’on assiste aujourd’hui, et cette image est le couronnement d’une stratégie établie depuis longtemps et qui s’affiche désormais au grand jour.
Sayyed Hassan Nasrallah arpentant majestueusement le hall en marbre du palais de Baabda, les pans de son abaya flottant autour de lui, avant d’être accueilli par un président Émile Lahoud rarement aussi chaleureux, l’image mérite d’être relevée. D’autant qu’elle a été précédée, il y a une dizaine de jours, par une autre image tout aussi étonnante, celle des 2 000...