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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Santé - Congrès panarabe pourl la lutte contre le cancer II - Une couverture médicale qui laisse à désirer

Chaque année, plus de 3 500 nouveaux cas de cancer sont enregistrés au Liban. Les personnes touchées par cette maladie maligne ont de plus en plus de chance d’en guérir. Dans le cadre du congrès panarabe pour la lutte contre le cancer, des spécialistes venus des quatre coins du monde ont abordé la maladie sous divers angles, notamment les nouveaux traitements (voir «L’Orient-Le Jour» du 18 mai). Interviewés par «L’Orient-Le Jour», deux oncologues libanais, les Drs Marwane Ghosn et Nabil Chamseddine, ont évalué la situation des malades au Liban. Pays où les oncologues bénéficient d’une formation de pointe et où les nouvelles molécules de la chimiothérapie ont été introduites. Un problème se pose cependant : la couverture des patients par des tiers payants privés et publics, notamment les assurances, la Sécurité sociale, la mutuelle des fonctionnaires de l’État, l’armée libanaise et le ministère de la Santé publique. Ces derniers incitent les oncologues à adopter, dans le cadre du traitement, les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la Banque mondiale (BM). Directives concernant les pays en développement. C’est le traitement et la situation du malade qui tiennent le plus à cœur pour le Dr Marwane Ghosn, chef de service d’oncologie à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de France et professeur associé à la Faculté de médecine de l’USJ. Le spécialiste indique que «la prise en charge des personnes atteintes du cancer au Liban pose divers problèmes, notamment la nécessité d’entourer le malade d’une équipe pluridisciplinaire formée au moins d’un oncologue chirurgien, d’un oncologue médical et d’un radiothérapeute». Ensemble, ces spécialistes devraient effectuer le diagnostic et décider du meilleur traitement. Le Dr Ghosn relève cependant que «le système de santé actuellement en vigueur au Liban rend cette approche pluridisciplinaire difficile». Le malade fait face à des difficultés financières et économiques et a du mal à obtenir la couverture d’un tiers payant. «C’est ce dernier point qui rend fort difficile l’approche pluridisciplinaire», indique-t-il. De plus, il semble que la coopération entre les différents spécialistes est difficile pour plusieurs raisons. «Les médecins tentent de coopérer entre eux, mais après tout, chacun travaille dans son propre service», indique le Dr Ghosn en ajoutant que «la mentalité des patients occidentaux n’est pas la même que celle des malades libanais ; ces derniers n’acceptent pas facilement d’être traités par plusieurs spécialistes». «Ils expliquent qu’ils préférent consulter divers médecins ayant la même spécialisation», poursuit-il. Un cancéreux n’effectuerait-il pas ce genre de démarche pour avoir plusieurs avis médicaux et pour éviter les erreurs de diagnostic ? Reconnaissant que «l’erreur est humaine», le chef du service d’oncologie de l’Hôtel-Dieu de France indique qu’à «cause de la situation économique du pays et de l’état de la couverture des malades du cancer, un certain nombre de médecins tentent de réduire les coûts des examens». Mais en réduisant le coût des analyses, ils diminuent aussi les investigations. Et le spécialiste de souligner : «Si l’on était plus à l’aise dans le système de couverture des malades, on passerait moins souvent à côté de certains problèmes concernant les malades cancéreux». Et il semble que les moyens manquent même dans les grands centres hospitaliers de la capitale. La maladie n’attend pas Le Dr Ghosn relève également un autre problème propre au traitement des malades. «Il faut prescrire au patient le meilleur traitement disponible», dit-il, «ce qui n’est pas toujours le cas au Liban», reconnaît-il. Suppressions budgétaires obligent, un grand nombre de patients, traités par des oncologues fort compétents, devraient se faire avec les médicaments dont dispose le ministère de la Santé publique. Ces remèdes sont certes de moindre coût mais parfois de moindre efficacité. Notons que les plus récentes avancées dans le traitement des cancéreux reposent sur des molécules qui coûtent relativement cher. Et le spécialiste d’expliquer que «les oncologues libanais qui bénéficient d’une formation de pointe ont l’habitude de prescrire à leurs malades les meilleurs traitements recommandés en Europe et aux États-Unis. Cependant, le problème actuel réside dans le fait que les tiers payants publics et privés soumettent les médecins parfois à des restrictions budgétaires dans les bilans à effectuer». Évoquant les recommandations en question, prônées par les autorités libanaises, le Dr Ghosn indique qu’elles «proposent des plans de traitements reconnus par la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé utilisés dans les pays en voie de développement, où la médecine n’est pas aussi avancée qu’au Liban». Et d’ajouter : «Il est impensable de traiter de la sorte un patient libanais qui est habitué aux meilleurs traitements. De plus, les médecins du pays ont la culture et le savoir-faire nécessaires pour administrer les remèdes de pointe utilisés dans les pays développés». Combien coûterait le traitement d’une personne atteinte d’un cancer ? Le Dr Ghosn indique que «le coût des soins administrés à un cancéreux dépend de la forme de la maladie». Ainsi une chimiothérapie administrée à une femme opérée d’un cancer du sein s’élève, pour une période de six mois, à 3 000 dollars en chimiothérapie et à 3 000 dollars en radiothérapie, et à environ 2 000 dollars en examens et soins divers. Et le spécialiste de souligner que «le total de 8 000 dollars n’est pas très élevé compte tenu du nombre de femmes atteintes de cette maladie et auxquelles on donne la chance de guérir». Cependant, le coût du traitement d’autres formes de cancer est de loin plus élevé. Ainsi une greffe de moelle osseuse varie, selon les cas, entre cinquante mille et cent mille dollars. Pour le Dr Ghosn, «un malade atteint d’une maladie cancéreuse ou d’une maladie chronique coûterait moins cher à l’État ou au tiers pays s’il existait une bonne prise en charge dès le départ, et cela dans le cadre du diagnostic et du traitement». Les patients qui coûtent cher à la société sont mal pris en charge dès le départ et font souvent des rechutes à distance. Disponibilité des médicaments Et le spécialiste de préciser : «Il est nécessaire donc, dès le départ, d’établir un diagnostic précis et de suivre un bon plan thérapeutique. Il faut administrer ensuite au patient le meilleur traitement disponible au monde». «Bénéficiant de tels soins, un malade coûtera moins cher à la société qu’un autre patient qui a été traité avec des médicaments de qualité inférieure et de moindre coût», note-t-il. «Dans ce cas, il fera des rechutes, et l’on sera encore obligé de lui administrer des soins de plus en plus coûteux», ajoute-t-il. Se penchant sur le système de couverture des patients au sein du ministère de la Santé, le spécialiste explique que «le ministère, qui n’a pas encore des hôpitaux bien établis sur la totalité du territoire libanais, réserve des lits dans les différentes institutions hospitalières privées». Une personne touchée par le cancer, par exemple, et qui suit un traitement dans un hôpital privé, devrait remplir certaines conditions. L’attente d’un lit vide réservé pour le ministère de la Santé en fait partie. «Un patient pourrait donc attendre trois mois, voire plus, pour se faire soigner ; la maladie, elle, n’attend pas trois mois», souligne le spécialiste. Le ministère de la Santé couvre également d’une autre manière les frais des personnes atteintes de cancer. Ces dernières devraient se présenter à l’administration en question afin d’obtenir gratuitement les médicaments anticancéreux. Les médicaments moins coûteux sont disponibles, mais ce sont les remèdes onéreux, généralement une nouvelle indication, qui sont introuvables. «C’est ainsi que la galère des malades commence», déclare le Dr Ghosn en expliquant que «les patients doivent par exemple obtenir une autorisation spéciale pour se procurer le remède et, très souvent, le ministère de la Santé ne livre pas au patient toute la dose nécessaire». De plus, quand le traitement coûte cher, il est dispensé par le ministère, au cas par cas. Dans ce cadre, ce n’est pas le médecin traitant qui prend la décision mais un comité scientifique au sein du ministère de la Santé, qui opère sans examiner le patient à la présentation d’un résumé de dossier. C’est ce comité qui refuse ou accepte d’octroyer le médicament en question. Préserver la dignité du patient Le Dr Ghosn relève également que «le problème réside aussi dans la disponibilité des derniers traitements gratuitement et dans la quantité prescrite par le médecin traitant au sein du ministère de la Santé». «Si on octroie gratuitement la moitié du médicament au malade, celui-ci aura à payer l’autre moitié, ajoute-t-il en soulignant qu’une telle charge s’avère difficile, compte tenu de certains traitements onéreux qui pourraient coûter au malade 2 000 dollars par mois». Le Dr Nabil Chamseddine, chef du service d’oncologie à l’hôpital Saint-Georges et professeur associé à la Faculté de médecine de l’Université Saint-Jospeh, souligne pour sa part que «le problème économique auquel font face les personnes atteintes de cancer réside dans le coût élevé du traitement, notamment de la chimiothérapie, qui recourt à de nouvelles molécules onéreuses». Le spécialiste relève que «nombre de personnes s’interrogent sur la nécessité de dépenser de telles sommes pour guérir ou prolonger de quelques mois la vie d’un patient condamné par la maladie, et si un traitement aussi onéreux vaut la peine». «Cette question est souvent posée par les économistes et non par les médecins», ajoute-t-il en soulignant que «les oncologues, tout comme moi, répondront à la dernière question par l’affirmative alors qu’un responsable de la santé publique réfléchira, tandis qu’un ministre donnerait une réponse négative et irait même jusqu’à évoquer des contraintes économiques et budgétaires insurmontables». Pour le Dr Chamseddine, «les restrictions budgétaires ne doivent pas toucher la santé d’un malade car on ne peut estimer en dollars le nombre de jours, d’heures ou de secondes, que quelqu’un pourrait vivre». Le spécialiste affirme que «le problème économique auquel font face les personnes touchées par le cancer existe dans les sociétés occidentales et orientales ; il n’est pas propre aux pays en développement dont nous faisons partie». «C’est une situation très complexe qu’on ne résout pas par des décrets et des solutions improvisées», poursuit-il. À la question de savoir si de tels décrets existent au Liban, le Dr Chamseddine relève qu’il «est plus rassurant d’avoir une tentative d’organisation dans ce domaine que de faire face à l’anarchie». Il estime que «la politique d’organisation de la santé au Liban piétine, mais ce n’est pas un ministre, l’administration ou un gouvernement qui sont responsables ; le problème existe depuis plusieurs générations». Personne ne pourrait faire des miracles dans ce domaine. Selon le spécialiste, pour parvenir à une solution dans le système de couverture des patients, «il faut avoir le courage de prendre les décisions qui pourraient faire mal à la société mais jamais au malade». Et d’ajouter : «Les patients atteints du cancer au Liban ne souffrent pas uniquement de leur maladie, ils souffrent également parce qu’ils ne trouvent pas les moyens de se faire traiter». À la question de savoir combien coûte à la société une personne atteinte du cancer, le Dr Chamseddine indique que «les autorités libanaises n’ont pas de chiffres exacts à donner». Il souligne cependant que «l’État paie certes beaucoup, il remplit sa fonction à 100 %, mais il la remplit mal : le ministère de la Santé est capable de payer des médicaments onéreux, mais jamais la dignité du patient est préservée». Pour mettre en place une bonne politique de santé au Liban, le Dr Chamseddine propose «la création d’une équipe multidisciplinaire regroupant des économistes, des politiciens et des scientifiques». «Ces derniers ne devraient pas être uniquement des spécialistes du ministère de la Santé, qui sont certes nécessaires, mais ils devraient aussi appartenir à toutes les facultés de médecine du pays», ajoute-t-il. En attendant la création de cette éventuelle équipe, les oncologues libanais bénéficiant du savoir-faire des pays occidentaux, le Liban étant un pôle d’excellence dans le traitement du cancer dans la région, demeurent à l’écoute de leurs patients. Malgré les difficultés affrontées par les malades, le taux de guérison du cancer, toutes formes confondues, s’élève au Liban, tout comme à l’étranger, à 50 %.
Chaque année, plus de 3 500 nouveaux cas de cancer sont enregistrés au Liban. Les personnes touchées par cette maladie maligne ont de plus en plus de chance d’en guérir. Dans le cadre du congrès panarabe pour la lutte contre le cancer, des spécialistes venus des quatre coins du monde ont abordé la maladie sous divers angles, notamment les nouveaux traitements (voir «L’Orient-Le Jour»...