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Actualités - REPORTAGES

Tendance - Un décorateur des années cinquante fait flamber les salles de vente de Paris à New York. Les libanais en retournent leurs galetas La folie Jean Royère (photos)

Avez-vous du Royère ? Ou plutôt, en aviez-vous ? Car si la réponse est positive, soit vous venez de céder vos meubles aux enchères, ce qui vous permet de remeubler deux maisons plutôt qu’une, soit vous ne les avez plus : la lassitude, ou la guerre. Jean Royère est ce décorateur qui, associé avec l’architecte Nadim Majdalani, a le plus marqué le paysage ornemental libanais, de 1947 jusqu’au milieu des années soixante. Porté aux nues par les uns, abhorré par les autres, bluffeur, marchand de kitch ou poète et créateur de génie, il ne fait aujourd’hui l’unanimité que pour une chose : un retour de flamme pour le style des années cinquante fait atteindre à ses meubles des prix mirifiques. Après la Première Guerre mondiale, les années vingt à trente ont connu un foisonnement créatif inégalé. «L’art-déco» apporte une nouvelle esthétique dont la pureté et la rigueur continuent à s’imposer de nos jours. Il avait suffit de dix ans pour mettre fin à deux siècles de «styles» liés aux anciennes monarchies européennes. On croyait alors avoir définitivement écarté l’épouvantail de la guerre. Fin des années quarante, un monde hébété secoue ses cendres atomiques et tente de réapprendre à vivre avec ses traumatismes. Si le cœur n’est pas vraiment à la fête comme au temps des années folles, du moins l’est-il à un changement drastique, générateur d’oubli. L’ameublement est de plus en plus dépouillé. C’est en gros une reprise du style des années trente – déjà très sobre – mais radicalement privé de tout signe ornemental. Il fallait faire à la fois solide, hygiénique et bon marché, ce qui excluait le long travail de marqueterie et les sculptures «nids à poussière». La vie économique est marquée par une reconstruction dans l’urgence qui raccourcit les délais de livraison, et une relance rapide de l’activité industrielle qui impose aux ouvriers de se regrouper dans des cités à proximité de leur lieu de travail. Royère a déjà eu l’occasion de constater, après avoir meublé la cité ouvrière de Frileuse, au Havre, que les ouvriers se lassaient de cet ameublement uniforme. L’ensemble de sa carrière s’articulera désormais autour d’une interrogation dynamique : «Comment être moderne sans renier l’ornement ?». Sa réponse, fruit d’une recherche permanente, se traduit en couleurs éclatantes, en lignes courbes et en formes libres, le plus souvent des modules qui s’étirent ou se figent selon le contexte. Grand voyageur, il parcourt le monde s’inspirant autant de l’Orient que des pays scandinaves. Deux civilisations quasiment antinomiques qui se confondent dans l’œuvre de Royère en un mariage surprenant. Au Liban, les années cinquante sont marquées par le début d’un âge d’or dû à l’afflux des pétro-dollars. Ce boum économique est accompagné d’une grande ouverture culturelle et d’un grand désir de changement. Les centres de villégiature se modernisent et l’on construit à la montagne des villas audacieuses qui ne demandent qu’à afficher leur différence. Royère y contribuera, créant parallèlement à Beyrouth une décoration inédite pour l’hôtel Le Capitole, au centre-ville, dont on retiendra la célèbre salle de cinéma. En Orient, la réalisation la plus notoire de Royère est destinée au Shah d’Iran. À Téhéran, au palais du Golesthan, Royère succédera à Jansen, modernisant les salons, réaménageant les jardins d’hiver et installant une luxueuse salle de cinéma privée. Pour la princesse Shahnaz, il réalise des appartements privés et un mobilier de piscine comprenant des sièges à baldaquins. Il collaborera aussi, avec des architectes iraniens, à la décoration intérieure du nouveau sénat. Son style ludique fait irrésistiblement penser aux bandes dessinées de l’époque. Quelque part entre le Journal de Spirou et le cinéma de Jacques Tati (notamment Mon Oncle qui en est une caricature), l’univers créé par Royère est tellement hybride qu’il ne ressemble à rien de déjà vu, tout en étant extrêmement familier. Le design des années quatre-vingts est soumis à son influence. Garrouste et Bonnetti eux-mêmes se réclament de lui. Royère est d’ailleurs décédé en 1981, en Pennsylvanie, dix ans après avoir arrêté sa production. Peu de temps avant sa mort, il a vendu à Drouot une grande partie de sa collection et légué au Musée des arts décoratifs de Paris ses meubles personnels et la totalité de ses documents. Celui-ci lui a d’ailleurs consacré une importante exposition, d’octobre 1999 à janvier 2000, avec pour principal sponsor Tom Ford, pour la maison Gucci. Les voies de la mode sont décidément impénétrables !
Avez-vous du Royère ? Ou plutôt, en aviez-vous ? Car si la réponse est positive, soit vous venez de céder vos meubles aux enchères, ce qui vous permet de remeubler deux maisons plutôt qu’une, soit vous ne les avez plus : la lassitude, ou la guerre. Jean Royère est ce décorateur qui, associé avec l’architecte Nadim Majdalani, a le plus marqué le paysage ornemental...