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Actualités - REPORTAGES

Voyage - Promenade gastronomique sur les routes poétiques des vins d'Espagne De Barcelone à Bayonne, les multiples chemins du plaisir

La tête pleine d’étoiles et le corps alourdi de kilos en trop, c’est la première image qui reste d’un voyage exceptionnel à la découverte des vins et de la gastronomie du nord de l’Espagne. Entre les cavas de Barcelone pétillants comme le champagne, les vins rouges de Haro qui enveloppent le cœur d’une étole de velours, le vin blanc de Bayonne qui élimine les soucis et surtout l’inoubliable eau-de-vie Orujo qui efface la fatigue comme une injection de dynamite, les 5 journalistes libanais invités par l’Icex (Institut pour le commerce extérieur espagnol) ont passé huit jours dans une bulle sur les routes des vins de la Catalogne, de la Rioja et de la Galice. En attendant la semaine de dégustation prévue au Liban du 2 au 5 mai à Enoteca... Au départ, il y avait une idée de Jésus Varela (prononcer Khéssous pour faire espagnol), conseiller économique et commercial à l’ambassade d’Espagne au Liban, désireux de faire connaître aux Libanais les merveilles gastronomiques de son pays, ou en tout cas d’une partie de ce pays, vu que l’Espagne est immense. Il sélectionne cinq médias locaux et c’est ainsi que Ghada (Femme Magazine) Micheline (First Look), Amale (Daily Star), Pascal (An-Nahar) et Scarlett (L’Orient-Le Jour), surnommée Gillette pour cause de lame à la place de la langue, se retrouvent à Barcelone par un dimanche pluvieux, mais plein de promesses. Le mauvais temps se maintiendra tout au long du voyage, mais il ne parviendra pas à refroidir l’atmosphère chaleureuse entre l’Icex et ses invités. La longue dégustation commence donc à Barcelone by night par un premier contact avec des vins capiteux mais aussi avec une huile d’olive onctueuse à souhait, utilisée ici, à toutes les sauces, crues ou cuites, et qui peut même se savourer avec un bout de pain, tant elle envahit délicieusement la bouche. Pour nos papilles libanaises, c’est une véritable découverte et un coup de foudre difficilement guérissable. Le cava et les platanes de Barcelone La première visite dans la région de Barcelone est à une petite entreprise de production de cava «Juvé y Camps SA». Née de la rencontre entre Joan Juvé et Teresa Camps, cette entreprise produit un cava raffiné dans le plus pur respect de la tradition familiale. Le «gran juvé» est ainsi le fleuron de cette production, un vin agréablement pétillant qui doit être consommé dans l’année qui suit son arrivée sur le marché. Il se déguste froid et accompagne merveilleusement la charcuterie (notamment le fameux chorizo) et les fromages (dont un sublime chèvre) de la région de Barcelone. La visite de la distillerie et des caves achevée, le groupe a droit à sa première dégustation dans un salon qui ressemble d’ailleurs à une cave, chauffée toutefois et agréablement éclairée. Ne sachant pas encore qu’on doit cracher le vin au cours d’une dégustation, les journalistes boivent poliment tous les verres qui leur sont servis. Au bout de quelques dégustations du même genre, ils ne tiennent plus le coup et ce ne sont plus que fous rires et plaisanteries, les bulles montant rapidement à la tête. Le ton du voyage est ainsi donné, la bonne humeur ne quittera plus les visages, même si, au fil des visites, les journalistes apprendront à mieux contrôler la quantité de vin à boire. Partout, ce sera le même scénario : visite du vignoble, même par un vent terrible au point qu’il arrache presque les oreilles, puis celle des caves humides où le vin se repose dans des tonneaux en bois de chêne français ou américain avant d’être mis en bouteille et d’y dormir quelque temps, pour s’adapter à son environnement avant d’atterrir dans les bouches des consommateurs. Freixenet est aussi une maison de production de cavas, mais là, c’est la grande entreprise qui occupe une bonne partie du marché et mise sur l’exportation. La campagne marketing de la société fait d’ailleurs appel à des personnalités internationales, c’est dire combien l’image de marque est importante pour elle. Un déjeuner gastronomique attend les journalistes libanais au restaurant de la compagnie, naturellement arrosé de plusieurs vins et cavas, tous produits par la maison. Le groupe a à peine le temps de digérer qu’une nouvelle dégustation l’attend dans un restaurant réputé de Barcelone. Cette fois, c’est Akhsam Hababa de l’Icex de Barcelone qui mène le ballet des verres. Sérieux comme un pape, Hababa explique aux journalistes comment doit être dégusté le vin espagnol, d’abord avec les yeux, en mettant le verre sous la lumière qui irisera ses teintes rubis ou dorées, puis avec le nez en humant les senteurs boisées ou fruitées et parfois les deux, puis en le faisant rouler dans la bouche pour bien imprégner la langue de toutes ses saveurs. Des fous rires et des bulles L’impressionnante rangée de verres alignés devant chaque siège provoque d’abord une petite panique chez les journalistes, puis la dégustation aidant, ils ne retiennent plus leurs fous rires, un état qui deviendra courant tout au long du voyage, mais qui ne les empêchera pas d’apprécier ce qui leur est servi. Le lendemain, c’est à l’arraché et bien sûr sous la pluie («il plé», disent les Espagnols) qu’ils pourront admirer la cathédrale de la Famille Sacrée réalisée par l’architecte Antonio Gaudi dont le sceau marque Barcelone, une ville joyeusement protégée par les centaines de platanes qui bordent ses rues. L’édifice est spectaculaire, droit sorti d’un rêve avec ses multiples tours et sa façade très travaillée. L’architecte à l’imagination délirante n’a pas pu achever son chef-d’œuvre et les travaux se poursuivent aujourd’hui, conformément aux plans qu’il avait lui-même dessinés. Ensuite, visite d’une nouvelle bodega (cave de production de vin), celle de Miguel Torrès, à Vilafranca del Penedès. Le Penedès est d’ailleurs la région vinicole de Barcelone. C’est là que se trouvent les cépages et les caves. Dans cette région doucement vallonnée, les habitants ont conservé les anciennes traditions. Devant chaque maison, on trouve un cyprès et un olivier pour indiquer au passant qu’il peut trouver dans ce lieu repos et bonne chère. La saga des Torrès est aussi impressionnante que leur production. Dans les locaux qui donnent aussitôt l’image d’une entreprise prospère, un musée a été édifié en hommage à la famille qui depuis le terrifiant Jaime (prononcer Khaymé) à la moustache menaçante n’a cessé de produire un vin remarquable que l’on trouve d’ailleurs sur le marché libanais. Nouveau déjeuner gastronomique puis c’est le départ rapide vers l’aéroport de Barcelone en direction de Haro, au cœur de la Rioja, véritable pays du vin rouge espagnol. La Rioja, pays du vin rouge L’avion à hélices ayant décollé plus tôt que prévu, Khéssous est oublié à terre, parce qu’il était occupé par un coup de fil important. Comme des élèves faisant l’école buissonnière les journalistes trouvent la situation drôle, mais on ne la fait pas à Khéssous. Il prend aussitôt un avion pour Saragosse (la moitié du chemin). Il loue ensuite une voiture et... arrive avant nous à Haro (qui abrite 17 bodegas), plus précisément à la bodega Muga. Les deux frères Manuel et Juan Muga en charge de la bodega ont hérité de l’entreprise et cherchent à maintenir la tradition tout en modernisant les équipements. C’est avec flamme que Juan, responsable du marketing, explique les secrets qui rendent le vin rouge de Muga plus subtil au palais que d’autres. Il précise ainsi que le principe de la fermentation est le même, mais c’est la qualité du bois utilisé pour stocker le vin dans les barriques, ainsi que la façon de nettoyer celles-ci en les brûlant qui font toute la différence. Il nous révèle même un petit secret : l’utilisation des blancs d’œufs pour aider à la décantation des sédiments. Les jaunes, eux, sont utilisés pour faire des pâtisseries délicieuses qui étaient d’abord offertes aux bonnes sœurs toutes proches (l’Espagne est un pays très religieux). Toutefois, le taux de cholestérol ayant sérieusement augmenté chez les servantes de Jésus (pas Khéssous cette fois), les douceurs sont désormais distribuées aux ONG. On peut même en trouver sur le marché. Les Muga fabriquent eux-mêmes leurs barriques en bois de chêne français, le meilleur pour la fermentation du vin, selon eux. Au cours du dîner-dégustation, devant une cheminée ultraromantique, qui a toutefois moins réchauffé l’atmosphère que l’excellent vin Muga, les journalistes auront la chance de goûter ces pâtisseries. Mais le véritable choc, pour Gillette en tout cas, a été la rencontre avec la fameuse eau-de-vie Orujo, un véritable coup de poing dans l’estomac, et brusquement, indigestion, soucis et froid, bref tous les ennuis sont oubliés. Une pure merveille pour les amateurs de sensations fortes. Pascal, lui, préfère le pacharan, un digestif plus doré au goût subtilement sucré, fait à partir de baies sauvages, mais qui n’a rien d’une tendre liqueur. Orujo et pacharan ayant fait leur travail, c’est un nouveau vin qui remplit les verres, un Muga millésimé 1976 que les frères Manuel et Juan gardent précieusement dans leur réserve personnelle pour les invités de marque. Pascal en devient lyrique et perçoit un arrière-goût de banane et de bois français dès la première gorgée… L’hôtel Los Augustinos, un ancien château typique de la région, accueille les journalistes dans les vapes. Ici, on est au cœur de la Rioja, une plaine située entre les montagnes de l’ouest et celles de l’est, également sous l’influence des vents méditerranéens et ceux de l’Atlantique. Les montagnes faisant barrage, la région est plutôt sèche, ce qui permet une meilleure qualité de cépages. Comme le dit Manuel Muga, il faut faire souffrir la vigne, pour qu’elle soit contrainte de chercher son eau dans les entrailles de la terre, afin d’avoir une bonne qualité de raisins. Essentiellement formée de la vallée de l’Ebre, La Rioja offre aux visiteurs des paysages sublimes : des collines verdoyantes, des monastères nichés dans le flanc des montagnes et des villages aux maisons aux toits de tuiles rouges, serrées les unes contre les autres. Un paysage qui porte à la sérénité et qui donne une immense sensation d’éternité. Marquis, baron et troubadour Mais les journalistes sont aussi là pour apprécier le vin. Commence alors la visite de la bodega Roda. C’est la grande entreprise moderne, dotée de l’une des équipes les plus performantes d’Espagne, notamment dans la recherche pour l’obtention du meilleur vin. C’est d’ailleurs à Roda, dont l’emblème est formé de trois chardons entrelacés qu’on crée le Circion, un vin qui se veut parfait, résultat de plusieurs années de recherches et de divers croisements. Chez Roda, les journalistes goûtent enfin la fameuse tortilla espagnole (omelette avec des pommes de terre) ainsi qu’un large éventail de charcuterie, alors que les bouteilles se succèdent sur la table : Roda 2, un vin plutôt jeune et léger, Roda 1, plus capiteux et plus fort, et enfin le fameux Circion, dont le goût traîne longtemps sur la langue. Cette région est réputée pour le cépage Tempranillo, un raisin idéal pour le vin rouge de La Rioja, mais il y a aussi un peu de Garnacha (grenache), du Mazuelo (carignan) et du Graciano. La Rioja possède 250 bodegas à production variable et les 250 000 habitants de la province vivent donc principalement du vin, qu’ils soient vignerons (cosecheros) ou travaillant dans la production. Dernière entreprise visitée de la région, la bodega du marquis de Riscale, au cœur du pays basque. Entre le marquis et le baron de Chirel, ici, le vin est d’un velouté quasiment inégalable. Il accompagne merveilleusement le porc, mais aussi le gibier, l’agneau et certains fromages. Un vin fermenté dans la tradition, mais avec des équipements modernes. Au sous-sol de la bodega du marquis de Riscale, se trouve une véritable cathédrale du vin. Ici, certaines bouteilles ont parfois 140 ans d’âge. Couvertes de poussières et de moisi, elles semblent terrifiantes au regard du non-connaisseur, mais un vin qui reste vivant si longtemps ne peut qu’inspirer le respect. D’ailleurs, toute l’atmosphère de cette cave est quasi spirituelle et le vin, après tout, est la boisson religieuse par excellence des communautés chrétiennes... De La Rioja, les journalistes prennent l’avion vers la Galice et plus précisément Vigo, au bord de l’Atlantique. Là, le paysage est totalement différent. Bien sûr, il « plé» toujours, mais la région est si verte qu’on se croirait en Irlande. La côte atlantique est une pure merveille, un véritable rêve. Même le ciel torturé, bas et lourd, ne parvient pas à gâcher l’effet que produit sur nous la vue des différents estuaires. Ici, on dit d’ailleurs qu’ayant voulu se reposer au moment de la création du monde, Dieu a posé sa main et les phalanges ont constitué les criques. De Vigo à Pontevedra, en passant par Santiago de Compostelle et Bayonne, c’est la même magie, un bonheur pour les yeux et la bouche avec le vin blanc de la région et les fruits de mer consommés à profusion. Crabes aux pinces aussi gigantesques que savoureuses, huîtres, moules et les fameux «percebe» qui font courir beaucoup de risques à ceux qui les cueillent parce qu’ils s’accrochent aux roches, les plaisirs du palais sont un véritable enchantement. Ceux du tourisme aussi, avec les stations balnéaires et le site de Santiago de Compostelle où toute la piété des anciens pèlerins remonte à la surface. La bodega de Martin Codax reflète d’ailleurs à merveille l’ambiance particulière de cette région. Le vin y est délicatement fruité et particulièrement soigné, mais il y est surtout poétique, Martin Codax, un troubadour ayant vécu au IIIe siècle, a été le premier à faire de la poésie en s’aidant de notes musicales. Le meilleur cru de la maison s’appelle d’ailleurs «allegro» et c’est de l’allégresse qu’il met dans les esprits. De la dernière nuit à Madrid, les journalistes garderont l’immense frustration de ne pas avoir vu le Prado et ils quittent l’Espagne avec le sentiment qu’elle garde encore de multiples secrets à découvrir…
La tête pleine d’étoiles et le corps alourdi de kilos en trop, c’est la première image qui reste d’un voyage exceptionnel à la découverte des vins et de la gastronomie du nord de l’Espagne. Entre les cavas de Barcelone pétillants comme le champagne, les vins rouges de Haro qui enveloppent le cœur d’une étole de velours, le vin blanc de Bayonne qui élimine les soucis...