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Actualités - OPINION

Lumières

Que Monsieur Lionel Jospin ait des problèmes de cohabitation, à propos de la semaine de 35 heures ou de la réforme publique par exemple, c’est son affaire et celle de nos amis, les Français. Qu’il se sente à l’étroit à Matignon, qu’il aille braconner dans les plates-bandes élyséennes en revendiquant sa liberté en matière de politique étrangère n’est déjà plus l’affaire des seuls Hexagonaux. Surtout quand pour se livrer à une telle proclamation d’indépendance (en lorgnant sans doute sur les suffrages juifs lors des prochaines élections de la mairie de Paris, comme le laissent croire les bêlements zélés de Jack Lang), le leader socialiste émet d’aussi énormes, d’aussi choquantes absurdités que ses commentaires de jeudi à Jérusalem. En qualifiant de terroristes les opérations anti-israéliennes du Hezbollah, M. Jospin, soudain atteint d’une surprenante cécité politique, a bousculé beaucoup trop de choses à la fois : le sens des responsabilités, le sens des nuances propres à tout gouvernant, et aussi celui des intérêts bien compris de la France ; le respect de la vérité vraie, que l’on était en droit d’attendre du premier ministre d’un pays perçu par la planète entière comme la patrie historique du droit ; et enfin le respect dû, celui-là, aux sentiments profonds d’une nation souffrante, le Liban, que lie à la France une si ancienne et solide tradition d’amitié. Pour s’aviser de condamner le «terrorisme» du Hezbollah, M. Jospin a bien mal choisi son moment : cela fait huit mois que cette formation n’a pas tiré une seule roquette sur la Haute-Galilée, comme elle le faisait toutes les fois qu’il s’agissait de répondre aux attaques israéliennes contre les populations civiles. C’est strictement à des soldats, se trouvant depuis plus de deux décennies là où ils ne devraient pas, que s’en prend le Hezbollah. Jean Moulin et ses héroïques compagnons de maquis ne faisaient pas autre chose contre les envahisseurs allemands, Monsieur Jospin ; et convenez que l’aubaine d’un débarquement allié de type Normandie n’est pas donnée, hélas, à toutes les nations occupées. Si en définitive Israël se résout aujourd’hui à un retrait annoncé du Liban, avec ou sans accord de paix, ce n’est évidemment pas parce qu’il se rallie un peu tard aux résolutions onusiennes, ou qu’il se plie aux fermes injonctions des puissances : c’est parce que dans la froide comptabilité guerrière – et grâce à la seule résistance, en l’absence évidente des armées arabes –, les pertes militaires résultant de l’occupation l’emportent désormais sur les profits et que l’effet en est proprement désastreux sur l’opinion publique israélienne. On peut évidemment être ou non d’accord avec l’idéologie intégriste du Hezbollah ; mais n’en déplaise à M. Jospin, il ne se trouvera pas un seul Libanais pour dénier à cette formation le label de résistance et l’insigne mérite d’avoir hâté la libération, là où ont échoué toutes les autres formes de pression. Et tant qu’à dénoncer le terrorisme (mais c’était sans doute trop demander à cet admirateur déclaré de «la démocratie israélienne»), le chef du gouvernement français aurait pu pour le moins s’étonner que pour venger la mort de ses militaires, l’État hébreu envoie son aviation bombarder des objectifs aussi éminemment civils que des stations électriques, comme il le fit le 8 février, ou plus simplement des villages habités, comme le veut la barbare routine quotidienne. Il aurait pu aussi, c’est vraiment le monde à l’envers, prendre exemple sur une Amérique peu suspecte de sévérité à l’égard d’Israël, et déplorer la dangereuse folie de David Lévy qui, fort du soutien de Barak, parle tantôt de «brûler la terre du Liban» et tantôt de rendre «sang pour sang, enfant pour enfant». Par ses propos irréfléchis qu’il s’est efforcé de tempérer dès hier, par la peu digne impasse qu’il a systématiquement faite sur les exactions israéliennes, Jospin n’a pas seulement choqué les Libanais et les Arabes : il a gravement porté atteinte au capital de confiance, à l’immense crédit que la France – celle des socialistes comme des gaullistes – a réussi, à force de courage et de clairvoyance politiques, à amasser dans cette partie du monde. S’agissant très précisément du Liban-Sud, c’est ce même capital qui a forcé la création, en 1996, du comité international de surveillance du cessez-le-feu , dont est membre la France : lequel comité, en prohibant les atteintes contre les civils, ne faisait que reconnaître en réalité la parfaite légitimité de la résistance militaire à l’occupation, celle-là même qu’a inconsidérément flétrie M. Jospin. Il faudra sans doute davantage que les subtilités sémantiques de ce dernier pour recoller les morceaux. Et on pouvait certes souhaiter des débuts libanais plus sereins à l’ambassadeur Lecourtier, dépêché en toute hâte par Jacques Chirac au lendemain de la dernière agression israélienne et qui était porteur d’une très appréciable offre d’assistance technique française. En attendant la grande explication qu’il doit avoir aujourd’hui avec le patron de l’Élysée, Jospin offre au monde la navrante image d’une France à géométrie variable, soudain affublée de deux diplomaties contradictoires, et d’un Quai d’Orsay scabreusement coincé entre deux chaises. Voilà ce qui s’appelle de la belle ouvrage !
Que Monsieur Lionel Jospin ait des problèmes de cohabitation, à propos de la semaine de 35 heures ou de la réforme publique par exemple, c’est son affaire et celle de nos amis, les Français. Qu’il se sente à l’étroit à Matignon, qu’il aille braconner dans les plates-bandes élyséennes en revendiquant sa liberté en matière de politique étrangère n’est déjà plus...