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Actualités - REPORTAGES

Correspondance "La jeune fille à la boucle d'oreille" La servante, le modèle et l'amante de Vermeer

«Ma mère ne m’avait pas dit qu’ils venaient. J’étais en train de découper les légumes. Ils avaient des voix que l’on n’entendait pas à la maison. Dans leur voix, je percevais de riches tapis, des livres, des perles et des fourrures. Ils furent accueillis par la voix de ma mère qui avait la résonance d’une marmite et d’une dame-jeanne. «C’est la fille ?», demande sèchement la femme. «Elle est petite. Est-elle solide ?». «Catharina», interrompt l’homme, qui prononce ce nom comme s’il avait de la cannelle dans la bouche, puis il s’approche de moi et regarde les légumes de la soupe que j’avais découpés et disposés par couleur : les choux rouges, les oignons, les poireaux, les carottes et les navets. – «Je vois que vous avez séparé les blancs de l’orange et du mauve. Pour quelle raison ? Les couleurs placées côte à côte se combattent», dit-il, en mélangeant dans sa main un morceau de choux rouge et un morceau de carotte. – «Ça suffit de jacasser ! réplique la femme, demain elle commence chez nous». Ce couple venu engager une servante, nommée Griet, n’est autre que M. et Mme Johannes Vermeer. Leur choix est tombé sur cette jeune fille parce que son père, spécialiste dans le vernissage des tuiles, faisait partie de la Guilde des Artistes et des Artisans, dont le célèbre peintre de Delft était le patron. Griet, (16 ans à ce moment là), dont la tâche initialement consistait à nettoyer le studio de l’artiste deviendra par la suite son modèle favori (c’est elle dans la toile intitulée «La jeune fille à la boucle d’oreille») et son amante. Son histoire est brillamment contée dans un ouvrage qui vient de sortir sous le titre “La jeune fille à la boucle d’oreille». Son auteur, Tracy Chevalier, qui a bien étudié la période, (le 17e siècle hollandais), où elle place son roman, en restitue les divers aspects de la vie à travers le caractère des personnages et les règles sociales et morales qui s’y pratiquaient. En particulier dans le milieu des peintres. Ainsi les artistes et les artisans étaient très protégés par la Guilde qui avait notamment à charge de leur assurer du travail. Lorsque le père de Griet était devenu aveugle quand son four à tuiles avait explosé, la Guilde s’était chargée de placer sa fille. Cette dernière avait appris par son père combien il fallait vénérer l’art. En se sacrifiant pour aller travailler chez les autres, afin d’aider sa famille à survivre, elle y trouvera un immense plaisir. Elle est la seule à pénétrer dans le saint des saints, le studio de Vermeer : elle doit le nettoyer en y respectant l’ordre et le désordre établis par le maître, c’est-à-dire remettre chaque chose là où elle la trouve. Ce qu’elle fait à la perfection. Sensibilité esthétique et lucidité Elle fera même mieux. Dotée d’une grande sensibilité esthétique, elle appréhendera de suite l’esprit des toiles que réalise Vermeer. Elle refusera un jour de nettoyer les vitres pour que ne soit pas altérer la lumière éclairant une toile en pleine élaboration. Ailleurs, elle remarque qu’une carte géographique encombre le fond d’une composition ou encore suggère d’ajouter un tissu bleu pour animer un portrait tout en sérénité. Elle a aussi pour mission de broyer les matières achetées chez l’apothicaire (os, plomb, racines de plante) et parfois de les mélanger aux couleurs et à l’huile. Et quand, en définitive, elle pose pour le portrait «La jeune fille à la boucle d’oreille», elle sait que ce sera l’éclat de la boucle d’oreille qui illuminera le portrait. Et Vermeer est émerveillé par son esprit brillant, la beauté de sa chevelure et sa beauté tout court. Il ne fallait pas plus pour qu’il soit emporté par le tourbillon de la passion. Au grand dam de l’épouse de Vermeer, de sa belle-mère et de la mère de Griet, une femme sage qui voudrait la voir mariée au fils du boucher. La jeune fille n’a pas besoin de ses conseils et de ses mises en garde. Pour elle, qui se cherche et qui cherche sa place dans la vie, Vermeer représente la découverte d’un monde plus vaste que le sien et la découverte d’une puissance inattendue, celle de l’art. Elle sait pertinemment bien qu’aux yeux de l’artiste elle est la femme dont il a besoin dans ses toiles, même lorsqu’il lui dit que «ses yeux valent une chambre remplie d’or». Une lucidité qui l’amènera à ne pas dire non à Pierre, le fils du boucher qui deviendra son refuge.
«Ma mère ne m’avait pas dit qu’ils venaient. J’étais en train de découper les légumes. Ils avaient des voix que l’on n’entendait pas à la maison. Dans leur voix, je percevais de riches tapis, des livres, des perles et des fourrures. Ils furent accueillis par la voix de ma mère qui avait la résonance d’une marmite et d’une dame-jeanne. «C’est la fille ?», demande...