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Actualités - INTERVIEWS

Débat - Faut-il abolir le confessionnalisme ? A. Messarra donne un avis de politologue Le problème est dans la pratique politicienne non dans le système

Plus de dix ans après l’accord de Taëf, le président du Conseil découvre que le confessionnalisme politique est un véritable fléau et que la Constitution prévoit un mécanisme pour l’éliminer. Cette prise de conscience est due aux graves incidents de Denniyé qui, selon lui, ont secoué les rues sunnite et chrétienne alors qu’en réalité ils ont surtout porté atteinte à la sécurité de l’État. Mais cela n’a pas empêché le gouvernement de respecter tous les critères confessionnels dans la formation du Conseil économique et social, pourtant censé être le fer de lance d’une certaine modernisation des institutions. Double langage, contraintes inévitables, lourdeur administrative ou omniprésence des confessions, les raisons sont sans doute multiples, mais le citoyen se sent plus perdu que jamais. Tiraillé entre de multiples appartenances, il écoute les appels à la déconfessionnalisation du système alors que la pratique confessionnelle est à son apogée. Le système confessionnel est-il réellement un désastre, ou bien c’est la pratique des politiciens qui serait à l’origine du mal ? Le Pr Antoine Messarra a longuement réfléchi sur la question. Politologue confirmé, il se situe au-dessus du débat politicien, mais cela ne l’empêche pas de poser un regard très dur sur la classe politique et sur les «intellectuels aliénés» qui préfèrent rejeter la responsabilité de la débâcle actuelle sur l’ensemble du système sans dénoncer les mauvaises pratiques. Éviter les exclusions Selon lui, le pacte national a été conçu, au départ, pour éviter les débordements confessionnels et l’exclusion de telle ou telle autre confession. Le système confessionnel a donc posé des règles et des limites, qui ne sont sans doute pas idéales, mais qui, si elles sont éliminées pourraient aboutir à une situation encore plus sauvage. Si, par exemple, le système électoral n’est plus confessionnel, il y a des chances que des confessions entières ne soient pas représentées ou alors que les électeurs ne votent que pour les candidats appartenant à leur confession, par réflexe d’autodéfense. Ce qui provoquerait de graves conflits entre les diverses confessions, alors que dans le système actuel, la rivalité est intracommunautaire, non intercommunautaire. Pour M. Messarra, le confessionnalisme est devenu une poubelle dans laquelle on jette tout ce qui ne plaît pas et qui sert de bouc émissaire aux politiciens afin de justifier leurs pratiques contraires à la loi. «Le terme en lui-même est un marécage équivoque, déclare le professeur. Et l’ambiguïté est souhaitée pour alimenter la confusion». Le confessionnalisme a pourtant trois aspects : le système de quota, ou la participation garantie, l’autonomie consentie aux communautés dans certains domaines comme l’éducation et le statut personnel et l’exploitation de la religion dans la politique. Concernant le système de quota (ou proporz), il ne prévoit en aucune manière que l’on choisisse des personnes incompétentes sur une base confessionnelle. Par exemple, dans les nominations administratives, sous couvert de respect du confessionnalisme, c’est le clientélisme politique qui dicte les choix. Il n’y a donc jamais eu autant d’infractions aux normes du système confessionnel. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se rappeler les propos d’un haut responsable : «Tant que le système est confessionnel, nous voulons notre part», comme si le quota de sa confession se résume à l’allégeance à sa propre personne. Une communauté de droit commun Concernant le statut personnel, l’arrêté 60 du 13 mars 1936 prévoit la création d’une communauté de droit commun, autrement dit l’option d’un statut personnel civil existe, mais elle n’a jamais été appliquée. De même, l’article 95 de l’ancienne Constitution prévoyait un partage confessionnel du pouvoir «sans que cela nuise cependant au bien de l’État». Cette phrase a été supprimée dans la nouvelle Constitution. Pourtant, selon M. Messarra, aujourd’hui elle peut être mieux appliquée qu’auparavant, le clivage entre les communautés ayant pratiquement disparu puisqu’on trouve désormais des compétences partout. Des incompétences aussi, malheureusement, d’autant que ce sont à elles qu’on a le plus souvent recours, les critères étant essentiellement clientélistes. C’est le troisième aspect du confessionnalisme : l’exploitation de la religion par les politiciens. Cet aspect pose le problème des frontières entre le religieux et le politique et ces frontières dépendent du niveau culturel. Lorsqu’il est élevé, le problème se pose en termes de droit et devient donc négociable. Par contre lorsque le niveau culturel est bas, la question n’est plus négociable. C’est, selon M. Messarra, la raison pour laquelle les politiciens ont souvent recours à la religion, celle-ci étant mobilisatrice. Par contre, les hommes de religion ont souvent un rôle positif pendant les périodes de crise ; par exemple lors des événements de Denniyé, le mufti Kabbani a condamné les rebelles coupant court à toute tentative de semer une discorde confessionnelle. Le Pr Messara juge toutefois très grave le fait de soulever le problème de la déconfessionnalisation politique à la suite de ces mêmes événements. Pour lui, dresser une embuscade aux soldats ou lancer un obus sur une rue passante est une atteinte à la sécurité de l’État (en tout cas bien plus qu’une manifestation ou une grève) et doit être par conséquent condamné. C’est une ligne rouge, qui en aucun cas ne doit être dépassée, sinon, ce serait une réédition de la situation qui prévalait en 1975, lorsque la sécurité a été liée aux réformes politiques. Aujourd’hui, quels que soient le prétexte ou les causes, il doit être interdit de mettre en danger la sécurité, qui ne doit donc pas être liée aux problèmes internes. Entreprendre une action militante D’ailleurs, selon M. Messarra, les conflits ne sont pas dus au système confessionnel, puisqu’en Égypte et en Malaisie, le système ne prévoit pas de quota de participation mais il y à pourtant des rixes entre chrétiens et musulmans. Au Liban, le problème réside dans la pratique des politiciens. La solution ? «Il faut à tout prix que le débat n’ait plus pour théâtre la rue, répond M. Messarra. L’article 95 de la Constitution prévoit la formation d’une commission chargée de mettre au point un mécanisme de déconfessionnalisation. Toutefois, il faut adopter la thèse de l’ancien président de la Chambre Hussein Husseini et élaborer une loi pour la formation de cette commission afin que, soumis à de fortes pressions, le gouvernement ne soit pas tenté de la former à l’image du Conseil économique et social». De plus, selon M. Messarra, les organisations de défense des droits de l’homme devraient dénoncer les infractions administratives et légales au lieu de se faire les complices des politiciens en attribuant l’origine du mal au système confessionnel. Mais c’est surtout le silence des intellectuels qui choque le politologue. «Ils présentent le problème ainsi : il y a le confessionnalisme et l’anticonfessionnalisme, comme s’il n’y avait rien entre les deux et en attendant que la seconde option soit possible, ils se croisent les bras». Selon lui, c’est une véritable action militante qu’il faudrait entreprendre. «Rien n’a été fait pour cultiver le traumatisme salutaire dû à la guerre. Il faut exploiter des lieux de mémoire, pour que les gens se souviennent des méfaits de la guerre et surtout, pour que les nouvelles générations ne soient pas tentées de rééditer l’expérience…»
Plus de dix ans après l’accord de Taëf, le président du Conseil découvre que le confessionnalisme politique est un véritable fléau et que la Constitution prévoit un mécanisme pour l’éliminer. Cette prise de conscience est due aux graves incidents de Denniyé qui, selon lui, ont secoué les rues sunnite et chrétienne alors qu’en réalité ils ont surtout porté atteinte...