L’amour de 30 secondes

 Un petit poisson, un petit oiseau s’aimaient d’amour tendre, mais comment s’y prendre, quand on est là-haut ? Juliette Gréco a toujours chanté ça pieds nus, sur toutes les scènes de France et de Navarre, elle continue d’ailleurs, dans sa petite robe noire. Elle aurait dû être là, avant-hier jeudi, lorsque le très sérieux Sélim Ladki énumérait avec toute la componction du monde les trente patronymes, les trente portefeuilles, les trente glorieux, les trente élus du bazar, les trente hommes, etc. Un petit poisson, un petit oiseau s’aimaient d’amour tendre, mais comment s’y prendre... Le picvert royal s’appelle Rafic Woodpecker Hariri et en lui reposent les grandes espérances d’une majorité de Libanais, toutes classes confondues – Libanais – poissons rouges qui ont appris, bon gré mal gré, à (sur)vivre dans toutes les eaux. Petit poisson rouge a décidé d’aimer à nouveau picvert royal. Sauf que petit poisson rouge a bien eu l’impression, toujours avant-hier jeudi, que picvert royal a essayé de le noyer. Et de la belle manière. Un petit poisson, un petit oiseau s’aimaient d’amour tendre... Tout ce beau monde... C’est beaucoup, trente ministres, beaucoup trop, et les manques en ressortent davantage. Un petit poisson rouge perdu au milieu de kilolitres d’eau, on le remarque plus que s’il ne barbotait dans un aquarium – on remarque tellement plus la tache rouge... Où sont les partis de l’Est politique, où sont Nassib Lahoud, Amine Gemayel, Dory Chamoun ou Carlos Eddé ? Où sont les représentants aounistes ou FL ? Où est le Hezbollah ? Où est passé le second ministre arménien ? Où sont passés les arméniens du bloc Hariri ? Où est la véritable homogénéité du Cabinet ? Où est sa cohérence ? D’autant plus que l’un des principes d’un Cabinet d’entente nationale est, paradoxalement, l’hétérogénéité. Ça ne suffit pas d’être proche de Bkerké... Et puis surtout, où est(sont) la(les) femme(s) ? Émile Lahoud et Rafic Hariri sont passés à côté d’un acte historique : confier à une femme – ou à plusieurs – un portefeuille ministériel. Que ce soit Ghounwa Jalloul, Bahiya Hariri ou Nayla Moawad, elles auraient été, contrairement à une grande partie de nos trente hommes, à leur place. Un petit poisson, un petit oiseau... Il faut faire attention au petit poisson. Il faut faire attention aux Libanais(es). Il faut répondre à toutes leurs attentes. On a tellement prostitué ce pauvre peuple en lui faisant prendre régulièrement des vessies pour des lanternes qu’on a fini par lui donner une très mauvaise habitude : comme ces dames de joie, quand il aime, ça ne dure généralement pas plus de 30 secondes. Il faut enfin que cessent les amours de 30 secondes. Ziyad MAKHOUL