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Actualités - REPORTAGES

ENQUÊTE - Dettes, écolages, dépenses quotidiennes et charges, sans compter les nombreux imprévus Les nouveaux pauvres s’enlisent

On les appelle aujourd’hui les nouveaux pauvres. Mais ils appartiennent tout simplement à cette nouvelle classe moyenne, la plus touchée par la crise économique, qui tente désespérément de s’accrocher à son mode de vie et passe le plus clair de son temps à se débattre au milieu des factures, dettes et dépenses imprévues. Et pour cause, ces commerçants, employés, enseignants ou autres assistent, impuissants, à une diminution de leur pouvoir d’achat, diminution résultant d’une importante baisse de leurs revenus et, dans certains cas, de la perte de leur emploi. Leur dernier recours ? se serrer la ceinture en attendant que cela aille mieux ou s’en aller, émigrer vers des horizons plus cléments… Les familles moyennes que nous avons interrogées ont toutes un seul et même souci : nourrir, loger décemment leurs enfants et les instruire dans une école privée. Mais aussi et surtout, rembourser les dettes qu’elles ont contractées pour l’achat de la maison, de la voiture, pour le paiement des scolarités et parfois même des emplettes au supermarché. Les loisirs, l’habillement parviennent avec peine à se tailler une minuscule place dans ces budgets très limités, où le remboursement des dettes représente un poids considérable, dépassant parfois la moitié des rentrées du couple. La famille proche est parfois présente pour donner un coup de main, mais certains ne peuvent compter que sur eux-mêmes et traversent des situations particulièrement difficiles. Nay est enseignante et son mari employé dans une société de télécommunications. À eux deux, ils encaissent 2 000 dollars par mois, somme qui doit leur suffire pour vivre avec leur bébé de 8 mois et payer les dettes de l’appartement et de la voiture d’occasion, qu’ils ont achetés. «Ma sœur nous a avancé la somme nécessaire pour les deux achats, avoue Nay, et nous lui remboursons 1 200 dollars par mois, sans intérêts, pour encore deux ans. Nous vivons avec le reste, ajoute-t-elle, c’est tout juste suffisant». Et d’énumérer les dépenses du supermarché qui vont en augmentant, l’entretien des deux voitures, les visites médicales du bébé, l’habillement, etc. Évidemment, avant la naissance de leur enfant, la situation était plus facile et Nay pouvait s’acheter plus d’habits, ce qu’elle affectionne particulièrement, mais elle réalise qu’elle doit à présent limiter ses dépenses personnelles et s’adapter à cette situation, le temps pour le couple de payer toutes ses dettes. Les fins de mois de Yasmine et de son époux semblent bien plus difficiles. Et pourtant, ils n’ont pas le souci de l’appartement, un rez-de-jardin qui leur a été offert au début de leur mariage par les parents de Yasmine, de même qu’une voiture. «Ce n’est pas le luxe, dit-elle, mais on y est bien, malgré le système de climatisation et de chauffage qui ne fonctionne pas». Avec trois enfants et une personne âgée à charge, le salaire de 1 000 dollars du mari qui est employé ne suffit pas à couvrir toutes les dépenses mensuelles, et encore moins à rembourser les 3 000 dollars empruntés à son employeur pour l’achat d’une voiture d’occasion. Le soir, après son travail, il exerce le métier d’encadreur, dans un coin de l’appartement aménagé en atelier, ce qui lui assure entre 100 et 500 dollars supplémentaires par mois. «Le plus dur, avoue Yasmine, c’est de payer l’école des deux aînés. L’année passée, malgré la réduction que l’on m’a accordée sur le retard de paiement d’un trimestre, j’ai dû vendre mes bijoux pour couvrir ma dette. Cette année, j’ai demandé une remise, mais j’attends toujours la décision de l’assistante sociale du collège qui est venue me rendre visite», dit-elle, sceptique. Et d’avouer qu’elle a présenté une demande d’emploi à l’école où ses enfants poursuivent leurs études, pour y enseigner le dessin, mais qu’elle n’a pas été engagée, peut-être par manque de diplôme, pense-t-elle. Yasmine tente alors de vendre les miniatures qu’elle fabrique elle-même, mais elle n’a rien vendu depuis 6 mois, «car les gens n’ont plus les moyens de se payer ce genre de choses», déplore-t-elle. Donnant la priorité à la nourriture, elle se fournit à crédit au supermarché du coin. «J’achète juste ce qu’il faut et j’essaie de régler 200 000 à 250 000 LL tous les 15 jours. Même nos deux cartes cellulaires, je les paie à crédit, mais elles sont indispensables, car on n’a pas le téléphone à la maison». Quant aux habits, aux visites chez le médecin, aux activités, aux sorties, Yasmine n’y pense même pas. Elle assure l’indispensable à ses enfants, et conclut, avec un brin d’humour : «Après tout, je pense que je suis une bonne mère». Pas de prêts bancaires pour les revenus instables Il est commerçant en meubles de bureaux, elle traduit des films. Et la crise, ils la ressentent fortement dans leurs deux métiers. Ensemble, Michèle et son époux bouclent tout juste leur mois, avec des rentrées mensuelles instables oscillant entre 1 000 et 2 500 dollars, selon les périodes. Quant aux dépenses, elles sont interminables : une traite de 600 dollars par mois sur deux ans pour l’achat d’une voiture d’occasion, le loyer qui s’élève à 350 dollars par mois, les écolages des deux enfants et un minimum de 500 dollars pour manger, sans compter les charges, l’habillement et les dépenses imprévues. Et si le couple arrive tant bien que mal à gérer ses dépenses, il se heurte à deux problèmes de taille, vu qu’il n’a pas de rentrées fixes et qu’aucun des deux époux n’est employé. «Nous n’avons pas droit à la Sécurité sociale et devons assumer tous les frais médicaux. De plus, nous tentons de contracter un prêt bancaire pour l’achat d’un appartement, mais nous nous heurtons à la réticence des banques qui exigent énormément de garanties, car le travail n’est pas stable», déplore Michèle. Pour limiter les dépenses, elle a inscrit sa fille à la garderie au lieu de l’école, car à l’école il aurait fallu payer 400 dollars d’ouverture de dossier, 200 000 LL de fournitures, 200 000 LL d’inscription, 1 million 200 000 LL de transport et 2 400 000 LL de scolarité, alors qu’à la garderie, pour la même classe, les frais ne sont que de 120 dollars par mois. Sami est commerçant en gros d’accessoires d’ameublement. «C’est l’entreprise de la famille et je reçois un salaire mensuel de 2 000 dollars qui me permet de vivre décemment», explique-t-il. Si le loyer de son appartement est dérisoire, Sami échelonne le paiement de sa voiture sur 5 ans, à raison de 400 dollars par mois. Une dépense qui le gêne quelque peu, mais qui ne l’empêche pas d’allouer à son épouse un budget de 1 000 dollars par mois pour les dépenses de la maison, de payer les écolages relativement raisonnables de ses deux enfants, ainsi que leurs activités, d’acheter un ordinateur, d’installer l’air conditionné ou de s’adonner à son passe-temps favori, la chasse. «La seule restriction que nous ayons faite est celle de renvoyer la domestique depuis que nos enfants ont grandi, car nous n’avons plus vraiment besoin d’elle», avoue-t-il. En attendant d’acheter la maison de ses rêves à la montagne, une fois les traites de la voiture terminées, Sami loue durant l’été une cabine dans un complexe balnéaire réputé, moyennant 600 dollars, pour que sa famille profite des joies de la mer. Et même si l’entreprise familiale est quelque peu touchée par la crise économique, car les clients ne sont pas toujours bons payeurs, Sami reste optimiste. «Nous travaillons bien, malgré tout, et notre capital est intact. Nous ne lésinons pas sur les dépenses qui développent notre commerce. Simplement, ajoute-t-il, nous devenons prudents avec la clientèle et n’accordons pas de crédits à n’importe qui». Quand le chômage et les dettes s’accumulent Clara est assistante de réalisateur et s’est retrouvée au chômage le jour où la société qui l’employait a fait faillite. Du jour au lendemain, Clara et son époux, employé dans une chaîne de télévision, ont vu leur revenu mensuel passer de 2 500 à 1 000 dollars. «C’était très dur, dit-elle, d’autant plus que j’avais acheté une voiture d’occasion que je payais 400 dollars par mois, sans compter les 300 000 LL qu’il fallait régler à la Banque de l’habitat, pour l’achat à crédit de notre appartement». Le renvoi de la domestique n’a pas résolu le problème. Après le paiement des dettes mensuelles, des divers frais et de la scolarité de leur fillette, dont la moitié était payée par la société qui emploie le mari, il restait à la famille 100 000 LL par mois pour se nourrir. «C’était de la folie, avoue Clara, un vrai calvaire. Heureusement que les parents étaient là pour nous acheter à manger ou nous recevoir chez eux quand on n’avait rien à se mettre sous la dent». Clara a eu la chance de trouver un travail à l’étranger pour deux mois, qui lui a permis d’éponger la dette de sa voiture, de rétablir le téléphone qui avait été coupé, d’inscrire sa fille de 8 ans au conservatoire et même de lui fêter son anniversaire. «À présent, nous avons un budget de 300 dollars pour vivre durant le mois, c’est certainement mieux, mais c’est encore tout juste», dit-elle. Désormais, si Clara envisage d’acheter quelque chose, elle mettra de l’argent de côté et promet qu’elle ne s’endettera plus jamais. Le chômage, Marlène et son mari l’ont tous deux expérimenté. Et pour cause, Marlène vient de perdre son emploi alors que son époux est au chômage depuis 92. «J’assurais un travail de bureau et, du jour au lendemain, j’ai été remerciée, raconte-t-elle. Mon salaire mensuel de 2 000 dollars ne suffisait déjà pas aux dépenses familiales. Pour boucler le mois, il nous fallait 3 500 dollars», dit-elle, énumérant la nourriture, les écolages qu’elle trouve énormes malgré la bourse de 25 % qu’elle a obtenue de l’ambassade de France, l’habillement de ses deux adolescents, la traite de 400 dollars sur 10 ans pour l’achat de l’appartement, les charges, les médicaments et les nombreuses dépenses imprévues. Et pourtant, la famille vivait très simplement : pas de domesticité, pas de sorties, pas d’invitations. Heureusement pour Marlène, ses parents sont toujours prêts à l’aider. Malgré leur soutien financier et moral et les indemnités qu’elle a touchées, elle appréhende l’avenir, car elle n’est pas sûre de trouver un emploi décent, vu son âge proche des 45 ans. Marlène pense partir et travailler à l’étranger, même si pour cela elle doit se séparer de sa famille. «De toute façon, conclut-elle, mes enfants sont Français et, dans 2 ans, ils iront faire leurs études universitaires en France». Quitter le pays représente parfois l’ultime recours Rima et son époux pensent eux aussi quitter ce pays où rien ne leur sourit plus. Car le commerce en gros d’habits, qui faisait vivre la famille aisément, ne rapporte plus grand-chose depuis la crise économique. Avec deux enfants à l’école et un bébé d’un an, la famille n’a plus que 1 000 dollars par mois pour se nourrir, payer la traite mensuelle de la maison d’un montant de 400 dollars, les écolages s’élevant à 460 dollars par mois, ainsi que les menus frais et charges. «Voilà déjà 7 mois que nous n’avons pas payé la traite de l’appartement, raconte Rima, car les ventes de mon mari se font à crédit. Notre banquier est conscient de nos difficultés et patiente jusqu’à ce que nous puissions éponger notre dette, car il refuse de saisir l’appartement. Nous sommes pourtant conscients que c’est une éventualité que nous devons considérer», dit-elle, impuissante. Un an et demi que Rima et son époux ne parviennent plus à joindre les deux bouts. Leur gêne est telle qu’ils n’ont pas réglé la dernière facture de téléphone qui était trop élevée, qu’ils ont renvoyé la bonne et accumulé des retards de paiement des scolarités. «Cela ne nous était jamais arrivé, raconte Rima. Si je savais, je n’aurais pas eu mon troisième enfant», dit-elle. Elle espère une amélioration de leur situation en décembre, vu les promesses de paiement qui ont été faites à son époux. «Mais si cela ne va pas mieux, c’est décidé, nous partons», conclut-elle. Ils ont déjà pris leur décision. Ils partent, et cette fois pour de bon. Hélène est d’ailleurs déjà au Canada où elle a pris un appartement, installé ses deux enfants à l’école publique et entamé des contacts pour trouver un emploi. Car leur situation ici empirait de jour en jour et le commerce d’articles de demi-luxe de son époux Karim n’enregistrait que des pertes, vu la crise économique. «C’est la seconde fois que nous décidons de partir, raconte Karim. La première fois, c’était pendant la guerre et nous avons eu le passeport canadien. Nous sommes pourtant revenus au Liban où nous avons recommencé à zéro. Pour cela, j’ai dû m’endetter. Mais la clientèle a diminué, de même que son pouvoir d’achat, et nous sommes contraints aujourd’hui de grignoter notre capital pour renouveler le stock», déplore-t-il. Parallèlement, le couple s’est vu submergé de frais et d’échéances. «Tout avait énormément augmenté à notre retour, constate Karim, l’électricité, le téléphone, la municipalité, les loyers, les écolages, la nourriture, à tel point que je ne pouvais plus y faire face, malgré l’aide de mon épouse et notre rythme de vie très raisonnable». Il attend à présent de liquider son commerce et ses biens fonciers pour rejoindre sa famille au Canada, et avoue être prêt à tout là-bas, loin des mauvaises surprises, où la qualité de vie est bien meilleure, car sa famille bénéficie d’une couverture médicale assurée par l’État, et ses enfants d’une éducation gratuite. Nombreux sont ceux qui peuvent se reconnaître dans les témoignages de ces quelques personnes. Certains ont appris à réduire leur rythme de vie, alors que d’autres s’accrochent encore à ce standing qu’ils se sentent obligés de suivre, pour la galerie. Mais comme l’explique si bien Carla, qui refuse absolument de s’endetter : «Nous ne prenons aucun risque. Et je préfère assurer tout ce qu’il faut à mes enfants, plutôt que d’aller chez le coiffeur, sortir tous les soirs, avoir des bijoux, un cellulaire ou une domestique à domicile, mais être couverte de dettes. Car je refuse de me tuer pour faire comme tout le monde…»
On les appelle aujourd’hui les nouveaux pauvres. Mais ils appartiennent tout simplement à cette nouvelle classe moyenne, la plus touchée par la crise économique, qui tente désespérément de s’accrocher à son mode de vie et passe le plus clair de son temps à se débattre au milieu des factures, dettes et dépenses imprévues. Et pour cause, ces commerçants, employés,...