Carthage et l’Occident

 La colonie la plus importante et la plus illustre que les Phéniciens aient jamais fondée fut Carthage, gloire de l’émigration libanaise de tous les temps. Vers 827 av. J-C Élissa, appelée aussi Didon, fille de Mutto et sœur de Pygmalion, tous deux rois de Tyr, fuyait sa ville natale en compagnie des principaux membres de l’aristocratie tyrienne. Elle venait d’être chassée du pouvoir par une révolution populaire dirigée par Pygmalion lui-même, au cours de laquelle son oncle et époux, Sichée, grand-prêtre de Melquart, avait été assassiné. Ayant débarqué sur la côte septentrionale d’Afrique, Didon et ses compagnons fondèrent la ville de Carthage près de l’emplacement actuel de Tunis. Dans un parallèle entre la métropole phénicienne d’Afrique et Rome, son implacable rivale, Gérard Walter a écrit : «De quelque cinquante ans l’aînée de Rome, Carthage naquit un jour d’été 814 av. J-C. Une louve à l’air renfrogné montrant avec défi ses crocs redoutables a présidé à la naissance de l’une. L’image d’une jeune et jolie princesse flotte autour du berceau de l’autre». Carthage parvint pacifiquement à dominer l’Afrique et la plus grande partie des côtes et des îles de la Méditerranée. Elle se comporta volontiers en vassale de Tyr, la mère-patrie, tant que celle-ci demeura indépendante : chaque année une ambassade carthaginoise allait à Tyr pour sacrifier à Melquart et lui portait une offrande égale au dixième des revenus du budget de Carthage. Sans le conflit qui opposa Carthage à Rome à partir du IIIe siècle av. J-C le rayonnement phénicien eut été universel et certainement durable, et la Méditerranée plus phénicienne que latine. Ce fut sous l’aiguillon de son instinct de conservation, et de ses visées lointaines qui devaient lui assurer pendant longtemps la domination du monde ancien, que Rome entreprit contre Carthage les fameuses guerres puniques. La première de ces guerres (264-241 av. J-C) demeura sans résultat décisif. Durant la deuxième (218 à 201 av. J-C) Hannibal poussa jusqu’en Italie après avoir battu les Romains à Cannes (216) mais ne put exploiter sa victoire, et les Romains – après avoir vu leur ville menacée d’une invasion qui jeta la panique parmi la population au cri du fameux Hannibal ad portas – remontèrent le courant et finirent par imposer à Carthage une paix aux conditions draconiennes. En 196 Hannibal dut se réfugier à Tyr et, en 183, il se suicida en Asie mineure pour ne pas être livré à Rome. La troisième guerre punique commença en 149 – à la suite de la visite que fit à Carthage Caton l’ancien, qui en revint effrayé par la prospérité et le progrès social et culturel de la ville que les Romains croyaient abattue pour toujours, et se mit à répéter dans ses discours son fameux Delenda est Carthago (Il faut détruire Carthage) et se termina par l’odieuse destruction de Carthage et de sa civilisation, en 146 av. J-C. Les derniers défenseurs de la ville, leurs femmes et leurs enfants se jetèrent dans le temple qu’ils avaient incendié et périrent plutôt que de se rendre à leurs ennemis. Cet épisode rappelle la fin de Sidon et celle de Tyr.